Les fabuleux voyages d'Alexandrine Tinne, 1835-1869

Recension rédigée par Christian Lochon


Alexandrine ou Alexine Tinne est une jeune aristocrate hollandaise, exploratrice intrépide, ayant mené avec sa mère des aventures très risquées en Égypte et au Soudan et qui sera assassinée au Sahara par des Touaregs en 1869. Avide de connaissance, elle aura choisi une vie de liberté, dépensant pour ses voyages et ses expéditions en terres inconnues des sommes considérables que le montant de son héritage lui permettait d’assumer. Pénélope Gladstone, descendante de sa famille, publie sa biographie en anglais en 1970 sous le titre Travels of Alexine, estimant : qu’« Alexine et sa mèreavaient amené tout ce dont elles risquaient d’avoir besoin et cet amas monstrueux de bagages faisait problème » (p.145). La traductrice Emmanuelle Brunschvig estime qu’« Alexine, capricieuse, butée et dominatrice, avait toujours sû ce qu’elle voulait et Harriett envoûtée par le regard suppliant de sa fille avait toujours cédé… Elle n’aurait jamais affronté tant d’épreuves sans la frénésie d’Alexine de voir des lieux insolites (p.67). Elles se mêlaient avec naturel aux gens de toutes nations et de toutes races. Alexine se renseignait sur tout ce qu’elle rencontrait. Harriett était réputée pour son charme et son hospitalité » (p.91).

La Société de Géographie de Londres aura abondamment commenté le voyage au Soudan méridional et bien qu’aucun nom n’ait été mentionné, la nouvelle de l’arrivée d’Alexine à Gondokoro avait été largement mentionnée dans la presse (p.133). Son frère John Tinne évoqua à la Société de Géographie de Liverpool « les Expéditions en Afrique Centrale menées par trois Hollandaises » mais sans révéler les drames qu’elles avaient connus (p.170). Alexine rapporta de ses expéditions des dessins botaniques, des graines et des fleurs qu’elle envoya au botaniste viennois Theodor Kotschy qui en publia une sélection dans un volume intitulé Plantae Tinneanae (p.178).

Alexandrine et sa mère Harriet parcoururent d’abord l’Europe occidentale (p,15) dans des conditions très luxueuses à Londres, Paris, Nice, Naples puis plus spartiates en Scandinavie jusqu’à Trondheim en Norvège et retour par Stockholm et Copenhague (p,27). A Berlin, elles sont reçues à la Cour (p,29). Elles voyageaient par train lorsque le réseau le permettait, en diligence, mais aussi en charrette ou en traîneau.

Après une déception amoureuse pour Alexandrine (p.34) et un séjour à Venise (p.38), toutes deux décident de visiter l’Égypte en prenant un bateau à Trieste. Le débarquement à Alexandrie est commenté par Harriet qui, pour la première fois, est confrontée à la promiscuité d’une foule orientale « de créatures à la peau noire portant toutes les tenues possibles ou dénudées » (p.44). Une fois installées à l’hôtel, il faut visiter la ville. Cornaquées par un janissaire, elles doivent renoncer à le faire à pied, comme elles en avaient l’habitude en Europe et louer une voiture (p.45). Le Consul des Pays-Bas les fait recevoir par une des femmes du Vice-Roi qui les initie au « café doux et corsé » (p.46). En janvier 1856, elles gagnent Le Caire, logeant au Shepheard et se liant d’amitié avec la famille de l’ingénieur français Linant de Bellefonds (p.47). Elles décident alors de louer une dahabiyeh de 27 mètres de long pour descendre le Nil jusqu’à Assouan en compagnie d’un compatriote hollandais. Elles se rendent aux temples de Karnak sous bonne escorte (p.54) mais n’évoquent pas le temple de Louxor encore en partie enfoui à l’époque. A Assouan, elles voient le Nilomètre, le temple de Philae. Au retour, elles s’arrêteront aux temples de Kom Ombo, Edfou et Edna. Revenues à Louxor, elles décident de gagner la Mer Rouge qu’elles découvriront au bout de dix jours de marche à dos de chameau et la mère d’Alexandrine montée sur un âne. A El Quseyr, le vice-consul autrichien leur loue une maison meublée durant 2 jours ; l’expédition regagne alors Louxor et le confort de la dahabiyeh. Leur absence du Caire aura duré 2 mois et demi (p.59).

Lors d’un deuxième séjour en Égypte, Alexine décide d’explorer le Soudan (p.71). A nouveau toutes deux atteignent Assouan, poursuivent jusqu’au temple d’Abou Simbel qui n’était pas encore dégagé et dans lequel on se laissait glisser comme l’auront fait Flaubert et Du Camp par une ouverture étroite et débarquent à Wadi Halfa mais bloquées par la deuxième cataracte, elles doivent revenir au Caire.

En avril 1856, Harriett et Alexandrine quittent l’Égypte pour passer six mois en Terre Sainte. Après le débarquement à Jaffa (p.75) où le vice-consul hollandais les accueille et leur montre la ville, leur caravane de 12 personnes se dirige vers Jérusalem. Elles y assistent au Saint-Sépulcre au tumultueux miracle du samedi saint du « feu sacré » ; bousculades et empoignades font des blessés mais elles sont bien protégées (p.63). Elles se rendent sur la Mer Morte, accompagnées de quatre lanciers du Consulat de France. A Nazareth, ce sont les fils du vice-consul qui les accueillent (p.65). Elles n’hésitent pas à aller à Damas par une piste dangereuse et en passant la nuit dans des camps bédouins. Elles assistent au départ de l’immense caravane annuelle de 10.000 pèlerins vers La Mecque et apprécient l’hospitalité des dames damascènes (p.67). Puis elles se rendent au Liban, visitant Les Cèdres et Baalbeck. A Beyrouth, elles logent au Monastère Saint-Roch bénéficiant des attentions de Ferdinand de Lesseps alors Consul dans cette ville. Alexine peut même louer un piano !

En juillet 1860, elles se rendent en Égypte pour la troisième fois avec Addy, 48 ans, sœur d’Harriett, 64 ans (p.87). Alexine réengage le janissaire Osman Agha pour diriger la domesticité. Elle obtient l’autorisation du Vice-Roi Saïd Pacha de se rendre au Soudan, colonie égyptienne (p.93). D’Assouan le bateau atteint en 3 jours Korosko. L’expédition doit laisser les bateaux à cause des rapides et se dirige à dos de chameau vers Khartoum, sous la direction d’un Cheikh tribal soudanais qui avait déjà accompagné en 1856 le Vice -Roi et Linant de Bellefonds. La caravane atteint la capitale soudanaise le 11 avril 1862 après que les exploratrices aient parcouru depuis Le Caire 3200 km. Elles voient les eaux laiteuses du Nil Blanc se mêler aux eaux limpides du Nil Bleu (p.105). Ne trouvant pas de maison à louer, elles campent sur le rivage près des bateaux. Le Maire Mohamed Effendi, le consul de France M.Thibaut, en poste depuis 30 ans et marié à une Soudanaise et le pharmacien M.Titant viennent leur rendre visite.A l’époque, on s’interrogeait sur les sources du Nil Blanc ; Speke et Grant les recherchaient en Ougandapour la Société de Géographie. Le 11 mai 1862, Harriett, Alexine et Addy Van Cappelen quittèrent Khartoum sur une dahabieh lourdement chargée avec les domestiques, les soldats, l’équipage et les vivres pour les nourrir tous et un vapeur qui les fit arriver à Kaka en 5 jours. A une escale pour ramasser du bois, des Shillouks entièrement nus montèrent à bord, stupéfaits de voir des femmes blanches en longues robes et portant des gants, le mobilier et le moteur du bateau. Le lendemain, ils offrirent une vache aux passagers (p.123). Le spectacle venait aussi des troupeaux d’éléphants, de buffles, d’hippopotames, de crocodiles qui se déplaçaient, cachés par les immenses roseaux (p.125). Après 3 semaines sur le Bahr el Ghazal, affluent occidental du Nil, ils atteignirent la Mission Holy Cross de 9 missionnaires autrichiens affaiblis par la fièvre. Avec eux, Alexine visite les villages, dort dans les toukouls en branchages « sur son lit en fer rapporté de sa maison de La Haye » (p.128). Puis l’expédition atteint Gondokoro, le point le plus éloigné sur le Nil atteignable en bateau, car au-delà les rapides empêchaient la navigation. Leur vapeur était le premier à y arriver en 5 mois depuis Khartoum. Elles y passèrent un mois.

Revenue à la capitale, Alexine prépara une deuxième expédition sur le Bahr El Ghazal afin de pénétrer dans les terres en direction des hauts plateaux de l’Afrique Centrale. Deux scientifiques allemands et un Hollandais, le Baron d’Ablaing, qui arrivait d’Éthiopie, se joignirent à elle. Ils se dirigèrent vers Mechra-er-Rek puis de là continuèrent à pied avec 80 porteurs vers le Bahr Jur mais la saison des pluies étant commencée, ils en souffrirent beaucoup. Un marchand d’esclaves Buselli leur causa des problèmes de sécurité. Harriett avec une pointe d’optimisme résuma la situation : « C’est un pays magnifique et cela rachète largement toutes nos difficultés, notre fatigue et nos dépenses » (p.154). Malheureusement, cette courageuse exploratrice malgré elle de 65 ans succombe subitement. Alexine, terrassée, décide d’interrompre l’expédition qui revient à Khartoum le 29 mars 1864. Deux mois plus tard, Addy meurt également. Affectée par ces deuils successifs si rapprochés, Alexine est déterminée à quitter le Soudan ; elle le fera en empruntant la piste qui la conduit au port de Suakin sur la Mer Rouge, afin de se rendre par bateau à Suez (p.177).

Ne voulant pas rentrer en Hollande, Axeline achète un yacht et entreprend une longue croisière en Méditerranée, puis s’installe à Alger. Elle garde toujours le désir d’une nouvelle expédition au cœur de l’Afrique. Le livre de Duveyrier et son exploration courageuse du Mzab influencent Axeline qui entreprend un voyage préparatoire en 1868 à Laghouat puis à Biskra en revenant par Constantine et Philippeville (p.205).

En 1868, elle décide que cette expédition au Sahara se fera à partir de la Libye. Elle arrive à Tripoli le 13 octobre 1868, où elle est accueillie par le consul hollandais M.Testa qui la présente au Gouverneur Général ottoman Ali Reza (p.208). Ce dernier la recommande au Chef des Touaregs du Tassili N’Ajjer (en Algérie aujourd’hui), Ichnuchen. Le 30 janvier 1869, la caravane peu disciplinée d’Alexine visite Bondjem, ancienne ville romaine puis arrive à Mourzouq, à 800 km de Tripoli en 36 jours. Elle y loue une maison et retrouve Gustav Nachtigal, chargé de convoyer des présents du Roi de Prusse au Sultan de Bornou (p.221). Elle quitte avec une petite escorte Mourzouq pour rencontrer dans le Wadi Al Gharbi, Ichnuchen, qui se montre très sympathique. Ils projettent de se retrouver à Ghat, où Alexine sera tuée le 24 juillet par des Touaregs qui voulaient se venger d’Ichnuchen. Elle avait 33 ans (p.229).

Ainsi, Axeline aura entraîné sa mère et sa tante dans de dangereuses aventures en Égypte et au Soudan, où elles décèderont.

Elle-même, s’en sentant coupable, perdra tragiquement la vie dans le Sahara libyen cinq ans plus tard.