Géographie amoureuse du maïs

Auteur Sylvie Brunel
Editeur J.-C. Lattès
Date 2012
Pages 249
Sujets
Cote 58.821
Recension rédigée par Clément Mathieu


           Pour l’auteur, déjà connue par ailleurs pour son style direct et ses prises de position très tranchées, le maïs n’est ni plus ni moins l’origine et l’avenir du monde. Avec un milliard de tonnes récoltées par an, il est effectivement la première plante cultivée au monde et ainsi le symbole végétal de la mondialisation. Il faut reconnaître que depuis sa découverte chez les amérindiens, au début du XVIIe siècle, le maïs a aujourd’hui envahi littéralement la planète grâce à une multitude de variétés adaptées à des situations climatiques extrêmement variées.

Dans cet ouvrage passionnant, l’auteur nous raconte le fabuleux destin de la plante des dieux « qui devint l’aliment des gueux avant de devenir celui des bœufs ». Travaillant depuis plus de 30 ans sur la faim dans le monde, elle nous rappelle que les défis essentiels qui se posent à l’humanité sont d’abord alimentaires et environnementaux, les autres défis découlant de ces deux premiers. Une des réponses à ces défis, c’est le maïs, tant il en existe une multitude de variétés, et cela malgré les contestations et les accusations dont il est l’objet.

Sa rencontre avec le maïs commence dans le Quercy avec le président des syndicats des producteurs de semences de maïs de cette région qui lui rappelle que la France est le premier producteur européen de semences de cette culture. Elle va confronter ses idées reçues avec ce producteur ; celui-ci va lui montrer comment cette plante est victime d’un ostracisme systématique, soit disant une grande consommation d’eau et épuisante pour les sols, un véritable paradoxe lorsqu’on connaît les multiples usages qu’on en fait aujourd’hui ; certains voudraient même en faire un outil du capitalisme. À partir de cette discussion, elle va démêler le vrai du faux et essayer de comprendre pourquoi nous réagissions ainsi face au maïs et ce qu’il faut en penser.

L’histoire se poursuit par la façon dont ce géant vert a conquis le monde, comment il est devenu la plante de la mondialisation. En 1960, on produisait 100 millions de tonnes de maïs soit 10 % des céréales récoltées sur la planète. Aujourd’hui, la production mondiale de céréales atteint 2,4 milliards de tonnes dont 1 milliard pour le maïs soit près de 42 % de l’ensemble des céréales !

On accuse le maïs de « dévorer » les terres, en fait il permet à ceux qui le cultivent de ne pas souffrir de la faim. En rappelant l’origine de la plante, elle rappelle que c’est grâce à elle que se sont développées les civilisations américaines non seulement celles des amérindiens mais également celles des migrants, dans les plaines qui vont des Appalaches aux Rocheuses. Ce qui permet aujourd’hui aux Américains de contrôler la moitié du commerce mondial du maïs. Dans cette histoire, elle retrace celle de Henry Wallace (1888-1965) qui fut à l’origine de la généralisation des variétés hybrides à haut rendement ainsi que celle de la célèbre société Pioneer qui règne aujourd’hui à travers le monde sur la production des semences de maïs. Il faut reconnaître que la création des maïs hybrides issues de croisement entre deux variétés distinctes a été une véritable révolution concernant les rendements, de 15 quintaux/ha au début du XXe siècle et jusque vers 1950, ils avoisinent aujourd’hui les 100 quintaux/ha.

Vient ensuite l’aspect environnemental de cette culture. S’il s’agit de protéger la planète, ainsi qu’on nous le rappelle tous les jours, le maïs est « la plante des cieux ». Non le maïs ne pollue pas plus que les autres cultures, non le maïs n’est pas le consommateur d’eau que l’on veut bien le dire. Aujourd’hui, pour produire en France, l’irrigation est devenue un des fondamentaux de l’agriculture pour garantir la récolte. C’est le maïs fourrage, par exemple, qui garantit aux éleveurs une alimentation suffisante et de qualité en cas de sécheresse dévastant le foin et les céréales à paille. C’est le mode de l’utilisation de l’eau qu’il faut revoir : 100 mm d’eau donnent 800 kg de tournesol, 2 tonnes de blé et 3 tonnes de maïs (source CNRS) !

Le problème des OGM est aussi posé. De nos jours, l’Europe assure près de la moitié des exportations mondiales des produits alimentaires. Mais les États-Unis et le Brésil sont sur les starting-blocks pour nous remplacer sur les marchés émergents. Voulons-nous d’une Europe Musée ? Vouloir se passer des OGM c’est vouloir se replier sur la nostalgie du passé et laisser la recherche génétique quitter la France.

Après cette lecture agréable et instructive, j’ajouterai cependant les remarques suivantes :

-        Pour nourrir aujourd’hui 7 milliards de personnes, il n’est effectivement pas possible de revenir en arrière alors qu’il est impératif de protéger la planète, cependant ce qu’oublie l’auteur c’est que la protection de la planète passe d’abord par la protection des sols qui ne sont que très rarement cités dans ce sujet. Lorsqu’elle écrit « ... de vaincre le défi d’une population croissante sur les territoires de plus en plus fragiles », pourquoi ne pas insister en disant que la fragilité des territoires concernent aussi et surtout les sols (acidification, érosion, perte de matière organique, de diversité, etc.).

-        Concernant les maïs africains, l’auteur aurait pu citer le maïs Kitale du Kenya adapté pour les tropiques d’altitude, 2,50 m de haut, gros producteur de matière organique dont les sols tropicaux ont grandement besoin.

-        Lorsqu’elle dit que le paysan, en Afrique, travaille à sols constants, je ne suis pas d’accord. Non seulement, il n’a pas les moyens d’enrichir ses terres mais il pratique une agriculture "minière", il exporte de la parcelle sans rien y apporter en retour, d’où un appauvrissement continuel jusqu’au stade d’infertilisation du sol... attention c’est aussi vrai pour maïs. Cela ne pousse vraiment que lorsque les charrettes de fumier viennent "engraisser" les sols, sinon les rendements sont minables.

-        Lorsqu’elle assure que le maïs n’épuise pas les sols, je dirais que sur cet aspect elle manque de prudence, car si dans le Quercy on peut cultiver le maïs sur une même parcelle depuis 40 ans, c’est parce que le maïs est producteur de sa propre matière organique indispensable pour obtenir un sol de qualité et parce que "Pierre", son interlocuteur, y apporte chaque année les compléments chimiques indispensables pour produire les 100 quintaux/ha.

Soyons logique, toute exportation de la parcelle doit trouver compensation d’une manière ou d’une autre. Ne prenons pas le sol comme un pourvoyeur d’éléments inépuisables. Concernant le bilan d’eau, globalement je suis d’accord. L’économie en eau à la parcelle est mal pratiquée, y compris chez nous. Lorsqu’elle dit que le « cinquième » des terres irriguées dans les pays pauvres est endommagé par une irrigation inadaptée... elle pourrait ajouter qu’environ 1/3 des installations (pivots et enrouleurs) en France sont mal réglés et mal utilisés.

En dehors de ces quelques remarques agronomiques, je reconnais le grand intérêt de cet ouvrage consacré à une plante mal aimée ; c’est un véritable plaidoyer pour la sécurisation alimentaire de la planète, qui rétablit en grande partie la vérité sur cette céréale universelle.