Auteur | Eva Saenz-Diez |
Editeur | l'Harmattan |
Date | 2022 |
Pages | 228 |
Sujets | Catholiques Égypte Histoire Minorités religieuses Égypte Histoire Christianisme Empire ottoman Histoire |
Cote | 67.586 |
L’auteure, spécialiste de l’histoire de l’Égypte à l’Université de Louvain, est elle-même une descendante de ces grandes familles levantines qui ont fait la prospérité de l’Égypte. C’est pourquoi, elle connaît les raisons pour lesquelles les Chrétiens ottomans ont quitté l’Égypte à un rythme accéléré à partir des années 1960 (p13).
Dans sa préface, le Pr. Pierre Vermeren rappelle comment les Syro-Libanais appartenant à des professions et à des classes sociales variées ont pleinement participé à la gouvernance et à la direction de l’Égypte libérale au XIXe siècle puis durant la première moitié du XXe siècle (p.7).
Au XVIIIe siècle, les Grecs Catholiques nouvellement formés, fuyant la persécution en Syrie et au Liban de leurs congénères orthodoxes (p.95), s’établissent à Marseille, Trieste, Livourne, où ils deviennent les partenaires incontournables du commerce interméditerranée. A Damiette, à Alexandrie, aux deux ports du Caire, ils se font adjuger le système de fermage des douanes qu’ils subtilisent aux Juifs d’Égypte (p.98). Au XIXe siècle, Mohamed Ali Pacha d’Égypte (1805-1849) encourage les différentes communautés chrétiennes ottomanes arabophones et turcophones à venir s’installer en Égypte, soit comme ouvriers pour la culture du ver à soie, soit pour sa garde rapprochée, (p. 17), soit comme ses proches conseillers et banquiers (p.99), soit comme armateurs pour sa flotte marchande (p.111). Cette élite jouera un rôle de premier plan dans la culture et la pensée politique du pays jusqu’à l’apparition d’une classe égyptienne instruite, copte et musulmane (p.117).
Le français, diffusé par les écoles chrétiennes et la presse quotidienne francophone, est la langue de cette population bilingue qui l’utilise à la Cour, au sein des juridictions mixtes, dans la vie publique. En 1926, 15 quotidiens et 35 périodiques sont publiés en français (p.120). Bechara Taqla crée le quotidien AlAhram LesPyramides en 1875, que nationalisera Nasser en 1951, mais il est demeuré le journal égyptien le plus connu et le plus populaire. Parmi ses rédacteurs en chef, on rappellera l’écrivain et poète Khalil Moutran (1872-1949) et le financier, également sénateur, Antoun Gemayel (1887-1948). Le statut privilégié du français en Égypte s’imposera pratiquement de1850 à 1960 (p.125). Il est dû aux missions religieuses françaises qui occupent une place prépondérante dans l’enseignement d’autant plus que la fermeture des établissements scolaires catholiques en France qui découla de l’adoption de la loi de 1905, permit l’expatriation de nombreux religieux français chassés de l’enseignement (p.127).
Le Khédive Ismaïl nomma à trois reprises Premier Ministre l’Arméno-Égyptien Nubar Pacha au XIXe siècle, mais la nomination en 1908 par le Khédive Abbas Hilmi de Boutros Ghali (père de Boutros Boutros Ghali qui sera Secrétaire Général de l’ONU) comme Premier Ministre provoque de nombreuses protestations et son meurtre (p.133). Il n’y aura plus désormais en Égypte de Premier Ministre non musulman. Pourtant, remarque l’auteure : « Les immigrés de manière générale purent continuer à mettre l’accent sur leurs différences communautaires et culturelles par rapport à la société égyptienne tout en se sentant parfaitement chez eux et installés définitivement en Égypte » (p.137).
Cependant, la situation des communautés chrétiennes sous Nasser va être difficile. Quand les officiers libres prennent le pouvoir, la ligne directrice de la politique arabe est en parfaite adéquation avec l’islam. La notion d’arabisme viendra plus tard. Nasser, dans sa préface à l’ouvrage de Mohamed Atta La Mission civilisatrice de l’islam, écrit : « Arabes et musulmans à travers le monde, unissez-vous en un seul front contre quiconque est votre ennemi. Ces mots jaillissent de mon cœur qui croit profondément en l’islam » (p.145). Le coup d’État militaire du 23 juillet 1952 est l’œuvre de Nasser mais la base populaire nécessaire à son succès, ce sont les Frères Musulmans qui l’ont fournie. Le conflit violent, qui par la suite a opposé les Frères et les Nassériens, a occulté le tropisme islamique marqué des Officiers Libres (p.145). La Constitution de 1953 mentionne que le Président de la République doit être musulman, descendant d’un père et d’un grand-père égyptiens. La marginalisation des non-Musulmans dans la fonction publique s’aggrave sous ce nouveau Régime. Alors que le prosélytisme est strictement interdit aux non-Musulmans, l’islamisation ouverte est pratiquée sans complexe (p.154). D’autre part, l’Égypte a toujours eu du mal à reconnaître comme Égyptien le non-autochtone même si son installation remontait à plusieurs siècles (p.157). L’intervention militaire de 1956 donna un coup d’accélérateur au processus d’égyptianisation. Ce qui a eu pour conséquence de provoquer la migration de la majorité des Catholiques mais également d’accentuer la marginalisation de la communauté copte (p.161).
Une des premières mesures adoptées par Sadate fut la remise en liberté des Fréristes. Les Coptes sont mis à l’écart de la haute fonction publique (p.182). Pourtant, l’ouverture économique prônée par Sadate va amener une surreprésentation d’hommes d’affaires non-musulmans (p.183). Sous Moubarak, le traitement des communautés non-musulmanes ne s’améliora pas (p.190). El Sissi tente de redresser la situation mais il reste encore beaucoup à faire pour permettre la construction de nouvelles églises et l’entretien des anciennes (p.192).
L‘auteure a voulu rappeler que les Chrétiens ont été les intermédiaires privilégiés entre l’Europe et l’Empire ottoman et ont joué un rôle d’ouverture vers l’autre (p.193). Actuellement, les Coptes détiennent un quart de la richesse nationale grâce à leurs importants investissements dans les domaines de l’agriculture, des transports, de l’industrie, des télécommunications, des travaux publics et du secteur bancaire alors qu’ils ne représentent que 10% de la population. En revanche, ils ne sont que 2% dans l’appareil judiciaire, les médias, les missions diplomatiques, l’armée et la police (p.199). Cette révélation nous interpelle car l’homogénéisation imposée par les régimes successifs égyptiens n’a pas réussi à déstabiliser économiquement cette communauté chrétienne qui demeure dans ce pays depuis deux mille ans.