Le divin, l'État et le droit international : essai sur l'apport de la pensée biblique et du religieux dans la construction du droit international contemporain

Recension rédigée par Étienne Le Roy


Alors que la question de la laïcité met très souvent la recherche universitaire dans l’embarras, ne sachant trop comment aborder le fait religieux et, en particulier, traiter des origines chrétiennes de nos institutions politiques contemporaines, Mathieu Altbuch publie ici une thèse de doctorat en droit qui, comme le souligne notre collègue Raphaël Draï dans sa préface, va à l’encontre « des courants dominants de la théorie du droit et du droit international en particulier.

N’y constate-t-on pas, ajoute-t-il, la prédominance, pour ne pas dire l’hégémonie d’un positivisme qui se réclame magnétiquement de Kelsen, comme si l’œuvre de ce dernier n’était pas, elle même, justiciable d’aucune approche généalogique ». Car, en s’inscrivant dans la controverse qui a opposé durant le premier XXe siècle Hans Kelsen à Carl Schmitt, Mathieu Altbuch montre combien les arguments de ce dernier doivent à ce que R. Draï qualifie « d’antisémitisme insensé et opiniâtre qui ne dissimulait guère ses appartenances catholiques telles qu’il les comprenait vis-à-vis du premier désigné en tant que juif à son corps défendant ».

Car « Hans Kelsen se serait fait hacher menu plutôt que de se livrer à un exercice » mettant en évidence sa propre religiosité. Pourtant, finalement, il n’est pas sans intérêt de relier La théorie pure du droit de 1934, l’opus majeur de Hans Kelsen, à la genèse de la pensée juridique dans la Bible puis à ses développements parallèles dans le décret de Gratien puis dans l’œuvre de la première et de la seconde scolastique du côté chrétien et de Maïmonide, Abravanel et du Maharal dans la pensée juive de la même époque. On y découvre une forme de rationalité qui, derrière la structure pyramidale kelsénienne si souvent commentée, associe la pureté supposée du droit à un principe que je qualifie, à la suite d’un auteur qui aurait dû être cité, Gérard Timsit, de « monologique », un monologisme que je définis comme une réduction de la diversité à l’unité imposée d’une instance unique qui sera successivement Dieu, l’État, le Droit ou « The Law » selon les traditions et les époques.

L’ambition de l’auteur n’est cependant pas d’approfondir cette «  tentation du un seul », le Monos, qu’il nous fait apercevoir de manière magistrale dans les cinquante premières pages de sa recherche. S’il avait lu et exploité Pierre Legendre, malheureusement incompris voire rejeté par ses confrères juristes, il aurait pu élargir son analyse de la souveraineté divine au registre du pontife romain, à la contre-réforme puis la voir se diffuser dans les constructions politiques modernes, Républiques comprises. Espérons que ce n’est que partie remise car notre jeune collègue fait preuve d’une culture encyclopédique (avec trente pages de bibliographie intelligemment ordonnée) et d’une curiosité de bon aloi.

Revenons donc à la thèse et à un plan en deux parties (thèse de droit oblige !) qui, considérant l’époque contemporaine, traitent successivement de la « place incertaine de Dieu dans le soubassement théorique du droit international » puis d’une présence du « divin et de la religion dans les pratiques » juridiques. Je signale en particulier les développements consacrés aux relations diplomatiques israélo-pontificales (p. 387-470). Malgré des oppositions dogmatiques et des intérêts divergents, les deux États ont négocié en 1993 un « accord fondamental » qui, bien que non encore ratifié par Israël, a permis de régler des différends patrimoniaux et d’apaiser certaines tensions.

La conclusion de l’auteur, toute aussi soignée que le reste du texte, reprend les différents arguments en soulignant la dette du droit à l’égard de la Bible et le non dépassement de l’État souverain, « car c’est par l’expression de leur souveraineté que celle-ci a été limitée ; de la sorte elle paraît restreinte mais c’est par leur imbrication qu’une telle limitation a été rendue possible » (p. 472). Il souligne aussi l’imparfaite sécularisation du juridique et propose d’appliquer à l’Islam une démarche analogue, n’oubliant pas le risque d’ethnocentrisme occidental et l’intérêt d’y associer « les polythéismes influents dans le passé, le présent et le futur » (p. 476), ce que les Africanistes de l’Académie des sciences d’outre-mer et les anthropologues ne peuvent qu’approuver.