Colonialisme, impérialisme, décolonisation : contributions à l'histoire de l'expansion européenne

Recension rédigée par Jean Martin


      Nous ne présenterons pas notre éminent confrère Henri Wesseling, longtemps professeur à l'Université de Leyde (1973-1995) où il avait soutenu sa thèse en 1966, puis recteur du Netherlands College for Advanced Studies de Wassenaar.

Auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont deux ont été traduits en français : Le partage de l'Afrique: 1880-1914et Les Empires coloniaux européens 1814-1919 (2009) il fut, comme nous même, l'élève d’Henri Brunschwig à l'EHESS et c'est sans doute sa meilleure référence. Wesseling nous donne aujourd'hui un recueil un recueil de huit articles, conférences ou contributions à des colloques rédigés au long de sa carrière.

Dans une brève introduction intitulée : « Les mots et les choses », il nous propose quelques définitions des trois mots qui constituent le titre de son ouvrage. Il n'était peut être pas inutile de nous rappeler la genèse du terme de colonialisme, inventé par l'Anglais Hobson et introduit en français par le militant socialiste Paul Louis en 1905. On sait combien ce terme a été galvaudé et pris en mauvaise part par la suite. Wesseling a toute raison de lui préférer celui d'expansion européenne. C'est également Hobson qui est à l'origine du terme d'impérialisme dont il avait donné une définition liée à la surproduction capitaliste qui contraignait les producteurs à rechercher de nouveaux débouchés (On sait que Lénine a repris ce thème dans l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme). Quant au terme de décolonisation, dont le sens est obvie, apparu dans une encyclopédie anglaise en 1932, il a été repris en français par Henri Labouret en 1952, alors que le phénomène commençait à peine à être à l'ordre du jour.

Un premier article, (pp. 15-31) version abrégée d'une conférence au Musée du Quai Branly en 2009, brosse un panorama de l'expansion néerlandaise des origines au milieu du XIXe siècle. Celle-ci fut au départ l'œuvre de compagnies à charte basées à Amsterdam (V.O.C et W.I.C.) et fut essentiellement mercantile et sans projet d'établissement colonial particulier. L'installation de Jan Van Riebeck et de ses compagnons au Cap de Bonne Espérance en 1652 n'eut longtemps qu'un caractère provisoire. En échange de la Nouvelle-Amsterdam, laissée aux Anglais, qui en firent New York, en 1664, les Bataves reçurent le Surinam dont ils firent une florissante colonie de plantation de même que quelques îles des Antilles dont Curaçao. Ils procédèrent à un apport considérable de population servile. (Les Pays-Bas n'abolirent l'esclavage qu'en 1863) La pénétration néerlandaise en Indonésie est ensuite évoquée et la brève domination française (1808-1811) n'est pas oubliée. Les Néerlandais firent de l'Insulinde une colonie prospère, en recourant à la contrainte et au système des cultures de rente obligatoires instauré par Van den Bosch. En 1863, l'arrivée au pouvoir des libéraux mit fin à ce régime et inaugura l'ère de la colonisation moderne, caractérisée par la politique éthique qui apporta des améliorations à la condition des planteurs indigènes, devenus des ouvriers agricoles salariés.

Un deuxième texte (pp. 32-61) traite des guerres coloniales et procède à d'intéressantes comparaisons entre les diverses méthodes de conquête, notamment celles de certains soudards, basées sur la violence et au besoin la terreur (Pélissier, Archinard) et celles de Gallieni et de Lyautey basées sur le pragmatisme, le recours à la négociation. On relève une pensée intéressante « Pour l'armée française, la route de Sedan à Verdun passait par le Tonkin ».

Henri Wesseling a intitulé « Mythes et réalités de l'impérialisme colonial néerlandais », une conférence qu'il fit à l'Institut néerlandais de Paris en 2006 (pp.62-79). L'hommage rendu à Henri Brunschwig transparaît clairement dans ce titre. Nous apprenons que certains Néerlandais ne se considéraient pas comme impérialistes, car l'impérialisme est, parait-il, le fait des grandes puissances (déclaration d'un ministre chrétien-historique p. 63). On trouvera d'intéressantes informations sur l'achèvement territorial des Indes néerlandaises et la résistance acharnée que les sultans d'Atjeh ont opposée aux envahisseurs. Cette guerre, qui prit fin en 1903, aurait coûté la vie au tiers de la population du sultanat. Le régime administratif mis en place par les Néerlandais est décrit pp. 71-72. Il était caractérisé par l'indirect rule, les sultans ou princes indigènes (appelés régents) et les chefs de districts (wedonos) continuant d'administrer le pays sous le contrôle de fonctionnaires néerlandais.

On trouvera pp. 80-96 des remarques instructives sur les Pays-Bas face au partage de l'Afrique et à la conférence de Berlin (1884-85). Aucun de ces thèmes ne passionnait les dirigeants de la Haye, qui n'étaient pas partie prenante dans les affaires du continent africain.

Dans quelle mesure les responsables de la politique coloniale française s'intéressèrent-ils au modèle colonial néerlandais et voulurent-ils s'en inspirer? C'est la question que Wesseling se pose pp. 97-143. Il estime que les théoriciens de la colonisation française auraient voulu s'inspirer de ce modèle dans deux exemples: celui de la recherche de la rentabilité économique (prospérité de Java), et celui du régime administratif, caractérisé par sa souplesse et la collaboration de l'administration coloniale avec l'administration indigène. Mais ce modèle ne fut connu que très tardivement et s'il alimenta quelques débats de spécialistes, il ne fut jamais véritablement appliqué, même en Indochine. La France n'avait pas d'objectifs précis, ni de politique coloniale définie et cohérente.

Les gouvernants des Pays-Bas ne s'intéressaient que d'assez loin aux affaires du Maroc, évoquées pp. 144-159, bien que certaines firmes y eussent des intérêts non négligeables. Ils étaient surtout inquiets de l'anarchie qui régnait dans ce pays et s'opposaient aux visées allemandes. A la conférence d'Algésiras ils s'alignèrent sur les positions françaises et refusèrent le poste d'inspecteur général de la force de police internationale, qui devait être confié à un ressortissant d'un pays neutre. On sait que le poste échut à un colonel suisse.

La décolonisation néerlandaise est étudiée aux pages 160-176. Elle ne fut pas un modèle du genre, surtout en Indonésie, où elle fut marquée par des guérillas, des tentatives de reconquête et des sécessions insulaires. La métropole dut mobiliser 260.000 hommes, ce qui était énorme pour le pays,  dont plus de 2500 périrent. La décolonisation eut pour conséquence le retour aux Pays-Bas de près de 250.000 expatriés, et l'installation de 32.000 Moluquois et de 215.000 Surinamiens et l'identité nationale néerlandaise allait s'en trouver modifiée.

Dans un dernier article, publié en 2000 dans le bulletin L'Espoir de l'Institut Charles de Gaulle, (pp. 177-186) Henri Wesseling étudie les réactions de la presse néerlandaise devant la crise algérienne de 1958 et le retour du général de Gaulle: réactions assez mitigées mais l'opinion générale, toutes tendances confondues, était assez favorable à De Gaulle, bien qu'il lui ait été parfois reproché de s'exprimer par énigmes, notamment au sujet de l'Algérie. Seuls les communistes l'accusèrent un temps d'aspirer à la dictature. En revanche, les jugements sur ses séides, notamment sur Jacques Soustelle étaient sévères. L'arrivée aux affaires du général, alors que le pays s'était trouvé au bord de la guerre civile, était dans l'ensemble considérée comme un moindre mal, comme la meilleure solution, du moins pour le moment…

Un petit livre qui, sur des sujets très divers, donne beaucoup à penser…