Éthiopie, une histoire. Vingt siècles de construction nationale

Recension rédigée par Christian Lochon


Chargé du cours d’histoire de l’Éthiopie et de la Corne de l’Afrique à l’INALCO depuis 2018 et à l’Institut des Chrétiens d’Orient, l’auteur a pour but d’« illustrer la construction territoriale et nationale dans l’épaisseur du temps … pour éclairer un public très large sur de nombreux aspects » (p.14).

En ce qui concerne le pays lui-même, le terme « Éthiopie » est l’appellation occidentale du grec « Visages brûlés » ; les Grecs venaient en Éthiopie chercher de l’encens et des esclaves (p.18). Le terme « Abyssinie » vient du sémitique « habasha », région décrite au temple de Deïr el Bahari et repris dans le Coran (p.18). En 1923, l’Éthiopie est admise par vote unanime à la Société des Nations à Genève (p.316). « Erythrée » apparaît dans le Périple de la Mer Erythrée, récit anonyme (p.17). Éthiopie et Erythrée ont en commun les Royaumes de Da’amat au -Ve siècle et d’Aksum, la langue et la culture guèzes et la religion chrétienne tawahedo (p.17). L’annexion, en 1952, de l’Erythrée à l’Éthiopie, décidée par l’ONU, permettra à l’Éthiopie de retrouver le port de Massawa que les Ottomans avaient occupé en 1557 (p.362). Entre le 4e et le 14e parallèle Nord, sa superficie de 1.104.000 km la place au 27e rang mondial ; 14 sommets dépassent 4000m. Le Nil Bleu (en amharique « Noir ») y prend sa source (p.28), passe par le Lac Tana et est retenu en partie par le barrage de Bahar Dar. Ses ressources traditionnelles, or, ivoire, céréales, civettes, esclaves (p.142) furent longtemps convoitées. Aujourd’hui, la dépendance financière de l’Éthiopie vis-à-vis de la Chine est critique.

Deuxième populationde l’Afrique, 12e du monde, avec ses 200 millions d’habitants en 2020, l’Éthiopie possède les fossiles de Lucy (3,5 millions d’années), qu’Yves Coppens découvrit en 1974 dans le Rift et d’Ardi hominidé de 4,5 millions d’années (p.29). Venant du guèze devenu langue liturgique, l’amharique devint langue de travail de l’Administration (p.41). 70 langues parlées appartiennent aux deux familles afro-asiatiques (sémitique, couchitique, omotique) et nilo-sahariennes (Chari-Nil, Koman). Les Oromos nomades, islamisés à l’Est, christianisés à l’Ouest, entrèrent dans l’Éthiopie chrétienne au XVIe siècle (p.62). Les défis du XXIe siècle éthiopien (p.398) viennent du quadruplement de la population en un demi-siècle (p.402). Les 4/5e des Éthiopiens vivent sur les Hautes Terres, soit un tiers du territoire national.

Le pays est multireligieux. Le roi Ezana, vers 340, se convertit au christianisme sous le Patriarcat d’Athanase (328-356) ; St Frumence, né à Tyr, est consacré premier évêque d’Aksum (p.91). Dorénavant jusqu’au XXe siècle, l’Église éthiopienne sera dirigée par un évêque copte égyptien, l’Abun (p.92) et observera en partie le sabbat du samedi (p.123). Des moines éthiopiens logent au Saint Sépulcre depuis le XIIe siècle (p.126).

En 615, Mohamed et des disciples auraient trouvé refuge chez le Négus. Au VIIIe siècle commence l’islamisation de la Mer Rouge (p.131) et au XIIIe siècle celle de l’Éthiopie centrale (p.136). De 1527 à 1543, l’invasion de Gran, sultan d’Adal soutenu par le Pacha ottoman du Yémen met en péril la population chrétienne qui se voit secourir par les Portugais de Goa (p.141). L’islam devient majoritaire dans les Basses Terres (p.39). Les Éthiopiens appellent les musulmans locaux « Djabarti » (p.138).

En 1420, le Négus Yeshaq imposa la conversion aux Juifs (Beta israël) en les menaçant de prendre leurs terres. De ce fait, les Amhara appelèrent alors les Juifs « Falashas » ou « Exilés ». Ils étaient environ 40.000 au XIXe siècle (p.170). En 1984-1985 et en 1991, deux opérations aéroportées organisées par Tel Aviv les emmenèrent au nombre de 100.000 en Israël (p.174).

Histoire et légendese confondentdans le livre Kebra Negast, La Gloire des Rois,où la première royauté serait liée à la rencontre de Salomon et de Magda ou Bilqis, reine de Saba, dont le fils Menilek, aurait porté en Éthiopie l’Arche d’Alliance (p.15). Les Égyptiens connaissaient les royaumes éthio-sabéens en liaison avec le Yémen (p.54), Mareb et le Royaume de Saba. Les inscriptions guèzes les plus anciennes, datant de -500, se trouvent dans le temple de Yeha dédié à la divinité sabéenne Almaqah (p.56). Aksum à 2.100m d’altitude est mentionné par Ptolémée au IIe siècle (p.82) avec le port d’Adulis (p.129). Au IIIe siècle, Aksum se bat contre Saba et le Himyar (p.82), puis contre Yusuf Du Nuwas en 525 y imposant le christianisme (p.83). La conquête arabe isole Aksum (p.85). Du VIIIe au XIIe siècle, les Zagé règnent à Lalibala (p.103) puis les Amhara les renversent en 1268 (p.103) ; Lalibela demeurera un centre de pèlerinage.

L’État salomonien (1270-1632) s’installe au Choa septentrional (p.115). Les Negus Amhara conserveront le pouvoir jusqu’au XXe siècle (p.116), contestés par les rois du Tigray. En 1517, le Sultan Sélim annexe l’Égypte et étend l’hégémonie ottomane en Mer Rouge. Les Portugais s’étaient rendus en Inde en contournant l’Afrique en 1488, où ils s’établirent à Goa avec les Jésuites en 1549. Le Négus Labna Dangalles les appelle à l’aide en 1535 contre l’invasion musulmane ; en 1541, Christovao de Gama débarque et consolide la résistance éthiopienne chrétienne (p.162). Le Négus Susenyos qui règnera de 1607 à 1632 se convertit au catholicisme sous l’influence des Pères jésuites (p.163). A Gondar, capitale de l’époque, l’influence architecturale portugaise est présente. Fasiladas, régnant de 1632 à 1667, restaure l’Église éthiopienne et expulse en 1634 les Pères jésuites (p.164). Gondar (1632-1855), demeurera la capitale amhara jusqu’en 1855 (p.183).

L’Ere des Princes (1769-1855) est une période d’empereurs falots qui sera marquée par la lutte entre Tigréens et Oromo. Néanmoins, « la figure symbolique et l’idéologie impériale demeurèrent irréfragables » (p.202). Au XIXe siècle, la pénétration européenne militaire et missionnaire (p.207) sera concurrencée par une pénétration arabe, égyptienne qui occupa Harrar de 1875 à 1885 (p.215) et omanaise en Mer Rouge à Zanzibar (p.217)). La Corne de l’Afrique vécut une islamisation accrue grâce aux confréries soufies Qadiriyya et Tijaniyya (p.213). La Conférence de Berlin (1885) concrétisa le droit à l’hinterland pour les puissances européennes (p.222). L’inauguration du Canal de Suez influa considérablement sur le sort de l’Éthiopie qui revenait dans l’espace méditerranéen (p.225). La deuxième moitié du XIXe siècle voit la recentralisation du pays grâce à Tewodros II, régnant de 1855 à 1868 (p.231). Mais son impopularité après avoir mis à sac Gondar et son arrestation de diplomates européens, conduit Londres à envoyer une expédition militaire qui bat l’armée éthiopienne à Magdala en 1868 (p.234). Lui succédèrent Yohannes IV qui protégea le pays des visées égyptiennes, soudanaises et italiennes puis Menilek en 1889 (p.250). Les Italiens s’étaient emparés de Massawa puis du Tigray en 1890 (p.251).

En 1895, l’armée de Menilek leur inflige une défaite cinglante à Adwa en 1896 et le Traité d’Addis Abeba du 26 octobre 1896 met fin à la première guerre italo-éthiopienne (p.262). Néanmoins, pour affaiblir le Tigray rebelle, Menilek laissera l’Italie occuper en partie cette province (p.286). Malade à partir de 1908, il abandonne le pouvoir à l’Impératrice Taytu; en 1909, son petit-fils Iyasu (1897-1935) est nommé Pince héritier. Menilek meurt en 1913. Il avait choisi le site de sources thermales d’Addis Abeba (« Nouvelle Fleur ») comme capitale, où il éleva son palais, le Guebbi et la Cathédrale tawahedo Saint Georges. De 1911 à 1919, la succession de Menilek sera compliquée du fait qu’Iyasu affiche des sympathies islamiques (p.305). Un coup d’État le dépose et la régence est offerte à Tafari Makannen (1892-1975), fils du cousin germain de Menilek et qui avait été très proche du souverain. Tafari aura été l’élève de Mgr Taurin, capucin puis du Père Jarosseau et d’Abba Samuel, prêtre éthiopien catholique (p.306). Il sera couronné comme Empereur le 2 novembre 1930 sous le nom de règne de Haïlé-Selassé Ier (p.319).

En 1929, l’inauguration de la Gare d’Addis Abeba avait matérialisé la mise en connexion de l’Éthiopie avec le monde via Djibouti (p.323). L’invasion et l’occupation italiennes de 1936 à 1941 fait s’exiler à Londres l’Empereur (p.342), qui dénoncera cette agression à la tribune de la S.D.N. à Genève, (photo p.337). L’Éthiopie est libérée grâce aux troupes britanniques, aux volontaires australiens, sud-africains, aux aviateurs français et belges (p.347). En 1960, Addis Abeba devient le siège permanent de l’O.U.A., dont le premier Secrétaire Général sera un Éthiopien (p.363) et qui bénéficiera d’un nouvel édifice de verre et d’acier, offert par la Chine en 2012 (p.405). Le régime éthiopien se résumera alors à un empereur autocrate régnant sur une aristocratie aux privilèges fonciers ponctionnant en plus des impôts le revenu des agriculteurs, soit 90% de la population. A partir de 1972, une grave pénurie alimentaire frappe le Tigray et le Wallo entraînant une famine générale (p. 372). L’empereur est déposé en 1974 et exécuté 11 mois plus tard. S’ensuivront 17 années de dictature sanglante (p.373) d’un Régime militaro-marxiste de 1974 à 1991, dirigé par un commandant, Mengistu Haîlé Maryam et un Comité d’officiers, le Derg.  De nombreuses provinces se révoltèrent, au Tigray, chez les Afars, en Erythrée, qui y gagnera sa réindépendance en 1991 (p.389). Le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Éthiopien, dirigé par un étudiant en médecine Mallas Zenawi, mort en 2012, impose alors un programme de nature marxiste qui débouchera sur la proclamation en 1995 d’une République fédérale démocratique (p.392), présidée jusqu’en 2018 par Hayla Maryam Dessalagn. Pendant ce temps, l’armée éthiopienne était en guerre contre l’Erythrée et la Somalie.

En 2018, Abbiyy Ahmed prend la tête de l’État et du Gouvernement. Il met fin à la guerre contre l’Erythrée, se voyant décerner le Prix Nobel de la Paix en 2019. Mais les Tigréens révoltés souffrent des exactions à caractère ethnique des Amhara et des Oromo (p.395). L’opposition du Soudan et de l’Égypte à la mise en eau du grand Barrage sur le Nil Bleu participe aussi à la déstabilisation actuelle de l’Éthiopie (p.396).

Le lecteur consultera avec intérêt la chronologie historique (p.421), les 25 « encadrés » ou « fiches » qui permettent au lecteur de sortir du déroulé historique pour se pencher sur les stèles d’Axum (p.81), l’architecture rupestre (p.104), la peinture (p.203), ou sur l’islam en Éthiopie (p.138), l’évangélisme et les nouvelles églises qui se développent si rapidement aujourd’hui (p.397). Une copieuse bibliographie (p.428 à 458) rassemble des ouvrages en langue française, anglaise, italienne, amharique. On se reportera aussi au glossaire général (p.417), à la table des 19 cartes illustrant l’histoire de l’Éthiopie (p.459), à l’index onomastique (p.470 à 478).

Tout cet appareil pédagogique sera bien utile aux étudiants et à tous ceux qui veulent comprendre le passé et l’avenir de ce pays africain, fleuron original d’un continent qui a encore beaucoup à apporter à la civilisation universelle.

Il faut féliciter l’auteur de cette profonde expérience abyssine qu’il nous offre généreusement.