L'Algérie en 100 questions : un pays empêché

Recension rédigée par Miloud Belkaid


Depuis le 22 février 2019, les Algériennes et les Algériens investissent en masse la rue pour réclamer, de manière pacifique, un changement profond du système politique qui régit leur pays depuis l’indépendance. Entamé avec le refus d’accepter un cinquième mandat du désormais ex-président Abdelaziz Bouteflika, élu pour la première fois en 1999, le mouvement de contestation populaire a élargi ses exigences et entend donc obtenir une rupture profonde avec près de six décennies d’autoritarisme. Publié en avril 2019, soit quelques semaines après le début de la « révolution du sourire », le livre du journaliste et écrivain Akram Belkaïd évoque brièvement cette soudaine irruption du peuple algérien dans l’arène politique. Son ouvrage à propos d’un pays « empêché » d’être ce qu’il devrait ou, plus exactement, ce qu’il pourrait être, permet surtout de comprendre pourquoi l’Algérie en est arrivée là. Rédigé sous la forme d’une centaine de questions précises, le texte offre des précisions thématiques et des analyses condensées à propos de nombre de problématiques.

C’est le cas, par exemple, de toutes les grandes questions liées au premier « printemps » algérien (1989-1992) qui a débouché, pour le plus grand malheur des Algériens, sur la tristement célèbre « décennie noire ». Pourquoi ce dérapage ? Qui en furent les acteurs ? L’ex-Front islamique du salut (FIS) a-t-il failli prendre le pouvoir ? Qui fut responsable des massacres de populations civiles ? Quel rôle a joué Abdelaziz Bouteflika dans le retour de la paix et dans le vote de lois d’amnistie ? Les éléments de réponse apportés permettent au lecteur de mieux appréhender l’évolution de l’Algérie entre 1999 et 2019. Une période marquée par d’importants revenus pétroliers et gaziers mais aussi par un refus du régime de renouer avec la dynamique démocratique entamée en 1989. L’économie tient d’ailleurs une bonne place dans le livre avec ce constat accablant : la diversification économique demeure un vœu pieu et le pays souffre toujours du fameux « mal hollandais » qui frappe tant de producteurs d’hydrocarbures.

L’auteur revient aussi sur le rapport ambigu des Algériens avec la politique et les raisons de leur détestation du régime. Il permet aussi de saisir pourquoi le pays est resté « calme » durant les révoltes populaires de 2011 dans de nombreux pays arabes. En réalité, rappelle l’auteur, il y eut des émeutes et des tentatives d’occuper la rue mais le régime avait alors réussit à calmer les contestataires par la répression mais aussi par le biais de mesures financières destinées à acheter la paix sociale. Au fil des pages, c’est aussi la réalité et la structure du pouvoir algérien qui est décryptée. Quel est le rôle exact de l’armée ? Pourquoi est-il faux de dire que c’est le Front de libération nationale (FLN) qui a dirigé le pays depuis l’indépendance ? On comprend aussi, à lire l’auteur, les mécanismes qui ont poussé Abdelaziz Bouteflika à être candidat à un cinquième mandat, une erreur majeure d’appréciation à l’origine de la colère d’une partie de la population pourtant longtemps réticente à l’idée de déclencher une crise politique.

Et dans cette affaire, la jeunesse, a joué un rôle fondamental. Représentant les deux tiers d’une population qui augmente au rythme impressionnant d’un million de naissances par an, les jeunes ont été les premiers à investir la rue pour réclamer un changement profond. Victimes d’un chômage endémique, du clientélisme adossé à la corruption et de la « hogra », terme algérien désignant un mélange d’injustice et d’arbitraire, les jeunes sont l’acteur de poids dans la remise en cause du statu quo espéré par le clan Bouteflika.

Mais le livre d’Akram Belkaïd n’est pas simplement lié à l’actualité immédiate. Une première partie résume les grandes lignes historiques d’un pays qui puise ses racines dans l’Ifriquiya, cette Afrique du nord berbère, numide, punique puis, pour aller vite, romaine, byzantine, arabe, ottomane puis française. Il ne s’agit pas simplement pour l’auteur de donner un résumé chronologique mais d’aborder les grands points qui fondent encore les débats contemporains. D’où viennent les Algériens ? Sont-ils tous berbères ou faut-il donner crédit à la vieille dichotomie antagoniste exacerbée par le colonialisme français qui sut exploiter les rivalités entre arabophones et berbérophones ? Autre question : que reste-t-il aujourd’hui des trois siècles de présence ottomane, près de trois fois ce qu’a duré l’Algérie française ?

Dans son intention explicitée dans l’avant-propos où il s’explique sur l’usage de l’expression « pays empêché », l’auteur rappelle que l’Algérie demeure peu connue en France. On en parle lorsque l’actualité est tragique ou agitée, comme c’est le cas depuis février dernier mais elle disparaît vite des radars médiatiques. Le livre permet donc d’en savoir plus sur l’Algérie et les Algériens. Quelle est leur cuisine ? Leur sport préféré ? Quelle place tient chez eux l’arabe algérien ? Parlent-ils encore la langue française ? Et, d’ailleurs, détestent-ils les Français ? Plusieurs entrées sont consacrées aux arts et à la culture. On connaît de nombreux écrivains algériens d’expression française mais qui sait que c’est une auteure arabophone qui affiche le plus grand nombre de ventes de romans dans le monde ? Et que dire aussi de ce cinéma qui renaît peu à peu de ses cendres mais dont la particularité est qu’il est plus présent à l’étranger faute de salles dans le pays.

Une partie géopolitique termine le livre que clôt une conséquente bibliographie. Le rapport des Algériens au monde y est décliné en plusieurs entrées. Les relations avec la France, bien sûr, mais aussi avec les États-Unis, la Russie, la Chine, les autres pays du Golfe mais aussi les voisins marocain et tunisien. Dédié à la vulgarisation avec trois pages maximum par question abordée, l’ouvrage laisse parfois sur sa faim mais c’est la règle admise de l’exercice. Cela permet néanmoins de bien mieux connaître un pays engagé dans une nouvelle étape de sa quête vers l’État de droit et, plus encore, vers la démocratie.