Auteur | Christian Leclerc |
Editeur | Quæ |
Date | 2012 |
Pages | 244 |
Sujets | Baka (peuple du Cameroun et du Gabon) Agriculture 1970-.... Établissements humains Cameroun 1970-.... Mobilité spatiale Cameroun 1970-.... |
Cote | 59.120 |
Cet ouvrage a été rédigé par un chercheur, docteur en ethnologie et sociologie comparative, qui poursuit des recherches au CIRAD. Il est préfacé par Serge Bahuchet, éminent spécialiste des populations pygmées, qui, dans sa préface, écrit : « l’étude de Christian Leclerc reste unique parce qu’elle affronte dans toute sa complexité sociale et historique l’analyse d’un double changement : l’installation dans un habitat permanent et l’adoption d’une nouvelle technique de production, l’agriculture » (p. 6).
Ce volume, 244 pages, petit format, comprend une introduction d’une vingtaine de pages, puis huit chapitres. Il est complété par une bibliographie très fournie (plus de 250 références) qui, à elle seule, constitue un outil de travail précieux pour tous ceux qui s’intéressent aux populations forestières d’Afrique centrale, du Cameroun en particulier : tous les grands noms, tous les travaux de référence, dans un spectre de disciplines bien au-delà de l’anthropologie et de la sociologie, y figurent. C’est d’ailleurs là une caractéristique globale du livre : il est à la fois très pointu dans son domaine et sur son terrain, et en même temps susceptible de toucher tous ceux qui souhaitent réfléchir à la dialectique mobilités/sédentarisation, qui concerne, sous des formes variées, beaucoup de populations de l’Afrique forestière.
L’ouvrage est dense, riche de données de terrain très précises, glanées sur place depuis 1994, en particulier lors d’un séjour de deux ans chez les Baka ; il est néanmoins relativement facile à lire, car il est éclairé de nombreuses figures (mais sans qu’elles soient répertoriées dans une table) : quelques cartes, beaucoup de schémas et de graphiques, bâtis à partir des résultats d’enquêtes et d’observations de l’auteur. L’un de ses grands intérêts est qu’il a comme objectif, très clairement affiché dès les premières pages, de battre en brèche les nombreuses idées reçues concernant les Pygmées. Il montre ainsi une société baka en changement, en transition, s’applique à déconstruire l’équation agriculture = sédentarité, en montrant, avec des arguments précis et convaincants que le développement de l’agriculture, loin de diminuer les mobilités, les modifie et en crée même de nouvelles : « la mobilité n’interdit pas l’agriculture » (p. 29). Il met ainsi régulièrement en garde contre l’interprétation hâtive qui consiste à déduire le passage à un mode de vie sédentaire d’une simple observation des « villages » développés au cours des dernières décennies le long des routes, villages à propos desquels il démontre que les Baka n’y habitent que très épisodiquement, beaucoup moins longtemps que dans les campements en forêt.
L’analyse menée est d’une grande minutie, nourrie d’une grande connaissance du terrain, d’un sens aigu de l’observation, et des innombrables questions, parfois qualifiées d’énigmatiques (p. 90), que posent certains phénomènes.
Parmi les nombreuses pages particulièrement stimulantes, on peut noter celles qui traitent des mobilités, de la dispersion, de la méfiance et de la jalousie (« La jalousie et l’aménagement de l’espace », p. 168). Signalons aussi le rôle essentiel des cérémonies de partage de viande et l’impact de la difficulté croissante de la chasse à l’éléphant ; on retient également « la correspondance entre la cosmologie chrétienne et baka comme cause du regroupement », qui fait que « l’appel des missionnaires aurait retenti comme dans les temps mythiques » (p. 222), l’évocation de la relation à l’environnement qui est en même temps une relation aux esprits, etc.
Il est impossible d’évoquer toute la richesse de ce livre, qui réfléchit finalement à la place actuelle et future de la société baka dans le monde contemporain et qui met en garde contre les politiques de développement reposant sur une méconnaissance ou une non prise en compte des dynamiques sociales. Bref il s’agit bien, dans un format très maniable, et dans un langage accessible, d’un livre de « référence non seulement pour les milieux académiques mais aussi pour les non-spécialistes, gestionnaires ou décideurs » (quatrième de couverture). Au contact de plusieurs disciplines, il mérite incontestablement d’être primé et largement diffusé.
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