Auteur | Thierry Garcin |
Editeur | Economica |
Date | 2018 |
Pages | 335 |
Sujets | Relations internationales 2001-.... |
Cote | 62.032 |
Thierry Garcin, docteur en science politique, est très connu pour son émission quotidienne sur France-Culture Les Enjeux Internationaux malheureusement interrompue. Enseignant à HEC, Sciences Po Paris, Paris Descartes, son dernier ouvrage publié La Fragmentation du Monde est très didactique et le monde universitaire lui en sera reconnaissant. « Le présent ouvrage, écrit-il, ne prétend pas effectuer un tour du monde. On dégagera sept grandes tendances » (p. 3) à savoir une unique superpuissance affaiblie de l'intérieur, une Union Européenne, dépourvue de projet et qui se détricote, une Chine qui doit relever de considérables défis internes, une Amérique latine contrastée, une Afrique Noire percluse de violences, un monde arabe éclaté, une Russie dont les capacités de perturbation à la périphérie sont plus notables que sa réelle puissance. Ce qui est résumé dans cette formule « Non seulement le monde est désarticulé mais il est de plus en plus morcelé» (p. 307).
L'auteur développe un certain nombre de concepts géopolitiques. A commencer par la définition du terme « géopolitique », attribué à Leibnitz (1646-1716) et le rappel de l’œuvre
(p. 28 à 34 et p. 45 à 49) de six géopoliticiens américains, (Brzezinski, Fukuyama, Huntington, Kissinger, Mahan, Spykman), deux allemands (Haushofer, Ratzel), un suédois (Kjellen), un britannique, (Mackinder), un français (Castex). M. Garcin, recommande sur ce thème « une lecture plus anthropologique du facteur culturel dans les relations internationales puisque l'on revient aux grands fondamentaux des pères de la géopolitique : territoire, langue, société, religion, identité, nation » (p. 306).
Le concept d’État, né en Europe (p.118), demeure un acteur clé (p. 120) pour la protection du citoyen (sécurité, lutte antiterroriste, flux migratoires, recherche médicale). Mais, au moment de la décolonisation, ceux qui l'ont adopté l'ont transformé « en un système kleptocratique et non en entités politiques redistributrices » (p. 118). L’État doit être doté de puissance, qui est d'abord autorité (p. 10). Les signes de puissance actuelle sont la qualité du personnel politique, le statut nucléaire, la défense du droit international, le dynamisme des organisations régionales et internationales, l'aide au maintien de la paix par l'ONU, le réseau diplomatique (p. 22). Depuis les années 1980, on parle de Hard Power, lorsqu'un État peut contraindre, imposer, soumettre (p. 112) et de Soft Power proche de la théorie trans nationaliste, où l’État préfère persuader, convaincre, séduire (p. 113. Ainsi, la désinformation est « soft », la propagande est « hard » (p. 114).
Les pactes soutiennent la puissance, mais ils représentent des maillions faibles; l'Alliance atlantique (p. 168) est relâchée, transatlantique (Australie, Corée du Sud, Japon), paneuropéenne, afro méditerranéenne, moyen orientale. le Pacte de Varsovie (1955) entre huit États lui était symétrique; il a disparu avec l'URSS.(p. 162). La Société des Nations (p. 71) était constituée de 78% de nations européennes et américaines, elle fonctionna comme une organisation européenne (p. 74) et ne put empêcher la Seconde Guerre Mondiale. L'Organisation des Nations Unies (1945) regroupe 193 États (p. 74) et est composée d'une centaine d'entités. Elle frappe des États coupables de sanctions économiques, « pratique proprement américaine » (p. 79), néanmoins « les puissants du moment y échappent » comme Israël pour sa répression des Palestiniens, la Russie pour celle des Tchétchènes, les États-Unis pour son occupation de l'Irak, la Chine pour celle du Tibet . En fait « le Conseil de Sécurité ne reflète que les rapports de force entre puissants du moment » (p. 310).
L'arme nucléaire utilisée en 1945 reste au cœur des relations internationales (p. 52). Neuf États la possèdent (p. 63), les États-Unis (1945), la Russie (1949), le Royaume-Uni(1952), la France (1960), la Chine (1964), Israël (1967), l'Inde (1974), le Pakistan (1998), la Corée du Nord (2002). L'Afrique du Sud (1979) y a renoncé. L'auteur avertit que « l'arme nucléaire ne vaut que par son peuple; sinon, elle n'est pas crédible » (p. 59).
La démographie nous apprend que 108 milliards d'individus sont nés depuis l'origine des temps jusqu'à la 2011 (p. 125). L'Afrique a vu au XXe siècle sa population sextupler; en 2100, 40% de l'humanité serait africaine. (p. 230).
Il faut également compter avec les événements imprévisibles (p. 282) comme le tsunami de 2004, l'éruption du volcan islandais en 2010, la tragédie nucléaire de Fukushima, les épidémies animales mondiales depuis 1985. Le développement d'Internet a conduit à des scandales majeurs (p. 265); les chantiers de méga données représentent de la part des États-Unis, de la Chine, de la Russie des entreprises néocolonialistes (p. 270).L'intelligence artificielle aura des conséquences sur la souveraineté des États et sur le système international (p. 277). Le fait du prince existe toujours : en 1999, les États-Unis, la Russie et la France détachent le Kosovo de la Serbie (p. 157), en 2014 la Russie annexe la Crimée, l'intervention franco-britannique en Libye en 2011 (p. 184) déclenche la radicalisation islamique du Sahel qui est renforcée par la guerre civile syrienne (2011-2018?).
M. Garcin évalue avec clairvoyance l'évolution des États; l'Europe lui paraît « une puissance en creux » (p. 223); la France « est vulnérable » (encadré 21 p. 234). Si l'URSS
« n’était pas insérée dans l'économie mondiale » (p. 44), « la Russie est une puissance instable dont la population diminue » (p. 209). Les Américains sont un peuple de centre-droit qu'ils soient démocrates ou républicains (p. 41), ils apparaissent comme le maître d’œuvre de la recomposition européenne (p. 67) et ils resteront « l'unique superpuissance pour longtemps » (p. 197). La Chine a toujours été très peuplée; en 1789, la population française était de 26 millions, la chinoise 300 millions; actuellement ses handicaps sont nombreux (p. 246): corruption, créances douteuses des banques, endettement des provinces, contestations sociales des 300 millions de pauvres laissés pour compte (p. 298). L'Inde compte 1,4 milliard d'habitants et 20 millions d'expatriés (p. 134), elle bénéficie (p. 100) de l'autosuffisance alimentaire, du fonctionnement démocratique du régime, du nombre et de la qualité des diplômés, de la diversité des secteurs d'excellence (industrie pharmaceutique, logiciels). L'Iran est économiquement riche en hydrocarbures (p. 82), sa population est très éduquée mais son environnement est verrouillé par les États-Unis, les pays arabes en majorité hostiles, le Pakistan ultra sunnite. Les banques, les entreprises lourdement atteintes par les sanctions occidentales entretiennent inflation et chômage (p. 83).
Thierry Garcin n'est pas seulement un expert reconnu; c'est un pédagogue qui manie des aphorismes susceptibles d'orienter chercheurs et étudiants comme « Le pouvoir est une possibilité. La puissance est une action. La puissance c'est du pouvoir en action (p. 8). Les États Unis sont d'abord un pays économique. La France est une construction politique. Le Royaume-Uni est avant tout un peuple financier. (p. 37). Le Royaume-Uni et la France, en Europe, sont à la fois des sœurs siamoises et des frères ennemis (p. 69). Hard Power et Soft Power, politique de puissance et politique d'influence (p. 112). L'information continue est une manière d'oxymore (p. 153). La puissance de l'information continue crée l'impuissance du citoyen (p. 154). L'alliance prépare, la coalition agit (p. 160), Singapour est plus une place qu'un pôle (p. 304). L'histoire n'a pas de fin. L’État vit dans une autre durée des événements (p. 311).
Ces formules lapidaires seront analysées dans plusieurs rubriques rédigées sous forme d'encadrés (liste p. 325-326), de conclusions partielles (p. 49, 155 etc), de notes de bas de page. La cartographie (liste p. 327) particulièrement soignée, disposée entre les pages 160 et 161, comporte 16 documents qui font effet de loupe comme les encadrés. La bibliographie nourrie (p. 312 à 323) est centrée sur la notion de « puissance » et renvoie à un certain nombre de sites internet.
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