Auteur | Sandra Carmignani |
Editeur | Karthala |
Date | 2017 |
Pages | 311 |
Sujets | Esclavage Maurice Histoire Patrimoine culturel Maurice Mémoire collective Maurice |
Cote | 62.074 |
D’après la bibliographie disponible à la BNF, cet ouvrage récent est le texte « remanié » d’une thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’université de Lausanne. Dans ses « remerciements », l’auteure le précise d’ailleurs, en écrivant que la préparation de sa thèse l’a conduite à « un profond changement personnel ». Si la préparation d’une thèse est également l’occasion de mieux comprendre ses interlocuteurs d’enquête, ici mauriciens, intellectuels, paysans, artistes…, leurs préoccupations, leurs tourments et leurs espoirs, on peut en attendre un texte, même « remanié », qui reflète un engagement et pas seulement de l’érudition.
L’auteure est spécialisée, d’après sa courte bibliographie, d’une part dans la critique muséale (un ou deux articles relatifs à des musées d’ethnographie en Suisse), d’autre part et principalement dans l’histoire de l’île Maurice et plus spécifiquement de sa ou de ses mémoires de l’esclavage : elle a publié à ce sujet plusieurs articles depuis le début des années 2000, dont on peut supposer sans risque qu’ils ont contribué à la maturation de sa thèse.
Le Morne, dont une sombre photo orne la couverture, fut l’un des hauts lieux, supposés ou réels, du marronnage. Ici, les « créoles » désignent une catégorie raciale non reconnue par la Constitution mauricienne, celle qui a une ascendance noire, donc esclave, en majorité originaire d’Afrique ou de Madagascar. Il convient de le préciser – ce que l’auteure ne fait pas suffisamment, sauf erreur de lecture – car le mot « créole » a acquis au cours des siècles de multiples sens, raciaux, linguistiques, voire culinaires. Ce sera l’un des thèmes de l’ouvrage que de définir la « créolité » mauricienne et ses rapports complexes à l’esclavage.
En quatre parties, l’auteure définit d’abord « un champ de bataille mémoriel » puis les acteurs et les enjeux du « patrimoine » mauricien, ce en relation avec les mémoires (au pluriel) de l’esclavage, la mémoire complexe et contradictoire de l’abolition de l’esclavage, la focalisation culturelle et lourde de conflits sur le Morne.
On rappellera que ce « lieu de mémoire » a été consacré comme tel par un label de Patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui durcit encore les enjeux en conflit. Comme on le voit dans ces rappels succincts, le Morne est tout sauf paisible, aujourd’hui comme hier.
Dans sa conclusion, l’auteure rappelle naturellement les enjeux proprement mauriciens et les limites de la patrimonialisation. Société complexe, d’origines diverses, les descendants d’esclaves et de nègres marrons ne représentent qu’une minorité, ici baptisée de « créolité ». Laquelle comme on l’a vu, n’est pas reconnue en tant que telle.
Les conflits, durcis par la patrimonialisation, ont pour enjeux le tourisme, les projets immobiliers, la reconnaissance d’une catégorie ethnique « créole » teintée de noir, la « créolité » du titre.
On le devine sans peine, la question de l’identité surgit ici, celle occultée de l’ascendance esclave ou marron. Comme si la négation ancienne de toute personnalité propre (en simplifiant à l’extrême), l’esclave n’est pas un être humain mais une chose que d’autres humais possèdent. D’où, lorsque l’on a « l’esclavage en héritage », peut-on se faire reconnaître une identité ?
Intéressante approche, commune à bien d’autres régions dans le monde mais que les spécificités de l’île Maurice rendent dans ce cas tout à fait originale.
De ce point de vue, l’ouvrage est tout à fait intéressant et provoquera de la part du lecteur des réflexions approfondies, surtout s’il n’a de cette île que des souvenirs scolaires ou d’étudiant. Il est solidement construit selon des normes universitaires de bon aloi. Mais son trait caractéristique est qu’il ne tranche rien, il se conclue par des questions et laisse donc à son lecteur toute latitude pour s’interroger et parfaire ses connaissances, grâce à une bonne bibliographie.
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