L'or, l'empire et le sang : la guerre des Boers (1899-1902)

Recension rédigée par Jean Nemo


            La version originale néerlandaise de cet assez volumineux ouvrage date de 2012, soit un délai relativement court pour des ouvrages de sciences humaines entre la parution dans le pays d’origine et l’édition française. Il est plus qu’improbable que dans cet intervalle la recherche historique l’ait rendu caduc, encore moins frappé d’obsolescence.

            La brève bibliographie de l’auteur disponible en France, presqu’uniquement en néerlandais, semble décrire un homme aux intérêts de recherche variés mais principalement centrés sur l’histoire coloniale, indonésienne et sud-africaine. Rien d’étonnant en cela, s’agissant d’un universitaire néerlandais. Ce qui ne le détourne pas de s’intéresser aussi aux XIXe et XXe siècles culturels français, accessoirement à l’histoire de la prostitution dans son pays.

            Après avoir enseigné dans le secondaire, d’après la 4e de couverture, il est nommé à l’université de Leyde et y passe sa thèse. Il était en 2017 invité à la Villa Gillet, haut lieu dans la région de Lyon, s’il en fut, du roman et de la recherche. Toujours selon la 4e de couverture, il a obtenu pour le présent ouvrage l’un des prix les plus prestigieux de son pays, le prix Libris de l’histoire.

            L’ouvrage en question choisit de s’organiser à partir de trois personnages emblématiques, le juriste hollandais Willem Leyds, Winston Churchill alors correspondant de guerre, un jeune soldat boer, Deneys Reitz. Le lecteur français connaît évidement le second, pour une période plus récente, les deux autres lui sont probablement inconnus ou peu connus.

            Tous trois, outre le récit de leurs périples personnels, sont aussi un prétexte à des évocations d’histoire, une histoire sanglante, dominée par un racisme forcené au point que l’esclavage est de pratique courante de la part des Blancs – au moins des Boers – comme de la part des Africains. Une histoire prémonitoire des futures horreurs du XXe siècle, internements par les Britanniques dans des camps de civils boers, femmes et enfants payant un lourd tribut à la mortalité.

            Une Europe lointaine mais à l’occasion prenant fait et cause pour les parents oubliés, censés être des Gueux de l’histoire nationale (Pays-Bas), alors que comme leur nom l’indique ils ne furent longtemps que des colons peu recommandables. Ou encore en France, les victimes innocentes des Britanniques. Et pour les Britanniques, des adversaires à leur pénétration dans l’intérieur du continent. Histoire ou histoires qui déchaînèrent en leur temps des passions, sur place et en Europe, aujourd’hui affadies à travers les manuels scolaires…

            Il n’est pas sûr que cet ouvrage apporte aux spécialistes de la discipline historique des éléments nouveaux ou insuffisamment connus. En revanche, il éclaire sans en atténuer les constats, encore moins prendre parti, la férocité et l’absence de scrupules des différents acteurs : royaumes africains éphémères ou reconstitués, tel celui d’un parvenu sans pitié, Chaka le Zoulou ; les Trekkers ou Voortrekkers, fuyant autour du Drakensberg la mainmise britannique mais asservissant les hommes de couleur, mineurs individuels ou capitalistes attirés par le diamant, lequel se substitue aux modes précédents d’expansion d’origine européenne, recherche de grands espaces pour l’élevage ou la culture.

            Symboliquement, l’ouvrage s’ouvre et se referme sur Bloemfontein 2011, la célébration de la résistance boer, et Bloemfontein 2012, la célébration du centenaire de l’ANC créée en cette ville, aujourd’hui au pouvoir.

            Le lecteur se voit offrir au moins deux lectures. Celle qui rappelle le Far West, ses migrants européens, les alliances ou résistances indiennes, les méthodes de combat, le cercle des chariots, la guérilla et ses cruautés. Et celle du parcours des trois « héros », le juriste néerlandais, brillant, recruté par surprise et presqu’à son corps défendant par Paul Kruger, le meneur insolent des Boers, le correspondant de guerre par qui l’Europe fut régulièrement informé, le jeune soldat de dix-sept ans devenu par la suite un homme d’affaires et qui participa le moment venu aux combats de la Grande Guerre.

            On ne peut résumer en quelques lignes un ouvrage savant mais très évènementiel qui croise aussi habilement différentes perspectives et qui, lorsqu’il porte apparemment un jugement, le fait avec des arguments solides : telle par exemple après la fin de la guerre anglo boer, la fin de non-recevoir des engagements pris notamment par les Britanniques à l’égard de leurs auxiliaires ou alliés africains.

            Il ne paraît guère utile de dire que l’appareil critique de l’ouvrage répond aux exigences du genre. Et de suggérer au lecteur, lorsqu’il s’y plongera, de se préparer à une longue lecture studieuse, armé d’un atlas et éventuellement d’un dictionnaire. Mais cet « avertissement » n’entrave en rien une recommandation mûrie : l’ouvrage mérite le détour…