Auteur | Jalila Sbaï ; préface de Henry Laurens |
Editeur | CNRS |
Date | 2018 |
Pages | 392 |
Sujets | Institutions religieuses Pays arabes Histoire Christianisme Relations Islam Histoire Islam Relations Christianisme Histoire Islam et État France |
Cote | 62.086 |
Cet ouvrage est issu d’une thèse d’histoire soutenue en juin 2015 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il est préfacé par Henry Laurens, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe.
Dans sa préface, Henry Laurens rappelle qu’après l’expédition d’Egypte de 1798 et la conquête de l’Algérie en 1830, auxquelles se sont ajoutées la Tunisie en 1881 puis le Maroc en 1912, la France est devenue une puissance musulmane. L’expansion coloniale en terre d’islam a conduit à la nécessité d’une politique islamique de la France.
La thèse de Jalila Sbaï est que cette politique musulmane trouve ses racines dans le combat pour une démocratie chrétienne et la doctrine sociale de l’Eglise. Cette thèse paraît
a priori surprenante dans une France dominée par un conflit historique entre l’Eglise et la République depuis la Révolution Française, et qui trouvera son dénouement dans la loi de 1905. Jalila Sbaï développe progressivement sa thèse dans les trois parties de son livre construites sur la base de vingt années de recherches dans des archives publiques et privées. Elle trouve son incarnation dans la personne de Robert Montagne (1885–1954) dont l’action, voire l’activisme, autour de la question musulmane dans l’empire français a animé toute la vie.
Les 400 pages de l’ouvrage, écrites sur un mode chronologique, relatent les interrogations des gouvernements français dès la fin du XIXe siècle puis à l’époque de l’alliance entre l’Allemagne et l’empire ottoman, pays dans lequel pouvoirs politique et religieux n’étaient pas dissociés. Fallait-il créer un autre khalifat qualifié « d’Occident » - en réalité français - pour faire pièce à la Turquie ? Cette question a suscité un très vif débat où les rivalités personnelles ont parfois dominé les questions de fond. L’organisation politique et administrative de l’Afrique du Nord avait mis en place trois proconsuls jaloux de leur autonomie, qui n’auraient accepté à aucun prix la suprématie de l’un des trois pays sur les deux autres. L’auteur cite à plusieurs reprises un Lyautey inflexible privilégiant une prééminence marocaine sous l’autorité spirituelle du sultan du Maroc, Moulay Youssef.
Le projet du Khalifat est finalement abandonné, mais la forte présence de musulmans dans l’empire, accrue des mandats confiés à la France après la première guerre mondiale, renforce la nécessité d’une instance musulmane représentative. Depuis 1911, la Commission interministérielle des affaires musulmanes (CIAM), installée par Albert Lebrun, alors ministre des colonies, tentait de mettre en place une politique cohérente à l’égard de l’islam, en dépit des rivalités et des circonstances. C’est l’Algérien Si Kaddour Ben Ghabrit qui prend la tête en 1916 de la société des Habous des Lieux Saints de l’Islam, à vocation exclusivement religieuse. C’est à Si Kaddour que sera confiée la réalisation de la mosquée de Paris, dont le projet avait été présenté par Paul Bourdarie, membre du comité consultatif des affaires indigènes.
Louis Massignon et Robert Montagne vont ensuite concevoir les éléments de la politique musulmane, avec une inspiration commune initiale, qui n’a pas résisté à de profondes divergences de fond. Ils finiront par se réconcilier, tardivement.
Robert Montagne, véritable sujet du livre de Jalila Sbaï, s’inspire du christianisme et de la doctrine sociale de l’Eglise. Les semaines sociales de l’Eglise sont pour lui le modèle à suivre et à transposer dans un islam qui doit se rénover. C’est le cœur de son projet, le combat de toute sa vie, alors qu’il assiste à la désagrégation de l’empire français. Il multiplie les projets, initiatives, institutions et rencontres pour lutter contre le panislamisme, forme internationale de l’islam conquérant en opposition aux puissances occidentales, qui se développe rapidement avec les indépendances. Anthropologue, sociologue, il promeut en particulier une enquête sur les grands courants de l’islam nord-africain qui sera conduite en 1936-1937, en utilisant les méthodes les plus avancées de la sociologie. Il joue aussi un rôle important dans l’analyse de la situation qui prévaut en Palestine après la seconde guerre mondiale et à la suite de la création de l’Etat d’Israël.
L’auteur, en accomplissant son travail d’historienne, établit des faits ou décrit des convictions qui, aujourd’hui, dans un contexte différent, apparaissent datés, et peuvent faire l’objet de débats sur le plan politique ou moral. C’est le résultat du travail approfondi de recherche réalisé.
L’ouvrage s’achève non pas sur une conclusion, mais sur une « ouverture », l’auteur estimant avec modestie que sa recherche est toujours en cours, et que ce livre n’est pas l’aboutissement de son étude. Neuf annexes, très intéressantes, de nombreuses notes, la présentation des sources archivistiques, une bibliographie et un index complètent très heureusement cet ouvrage.
L’intérêt du livre de Jalila Sbaï est double : il constitue un excellent travail de recherche historique, révélant une problématique à laquelle les gouvernements français de l’époque ont essayé de répondre en voulant préserver l’existence de l’empire français tout en faisant preuve de reconnaissance, de sympathie et de bienveillance à l’égard des musulmans qui avaient apporté un concours exceptionnel durant la première guerre mondiale. Ce livre est aussi d’une actualité brûlante avec la menace que fait peser la croissance de l’islamisme radical, sous des formes diverses mais tout aussi dangereuses, sur les populations musulmanes contemporaines et sur les pays occidentaux. Les réponses apportées aujourd’hui par les gouvernements concernés pourraient peut-être s’inspirer en partie, et sans doute tirer profit, des travaux effectués au cours du XXe siècle sur l’islam de l’époque et décrit dans le livre de Jalila Sbaï.
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