Villes et campagnes en relations : regards croisés Nords-Suds

Recension rédigée par Roland Pourtier


            Issu d’un colloque organisé en juin 2015 par le Labex (laboratoire d’excellence) DynamiTe, l’ouvrage invite à revisiter les relations entre villes et campagnes, à la lumière des dynamiques nouvelles affectant les mobilités et les activités humaines dans le contexte de mondialisation  et de métropolisation.  Des regards croisés entre ce que les auteurs appellent les Nords et les Suds – le pluriel inhabituel soulignant la diversité des situations tant dans les pays développés que dans les pays en développement et émergents - ajoutent à l’intérêt d’une entreprise ambitieuse à laquelle ont collaboré pas moins de 36 auteurs. Les études de cas, organisées en quinze chapitres, sont réparties sur les cinq continents : France, Espagne, Suisse, Russie ; Maroc, Sénégal, Kenya ; Colombie, Pérou ; Inde ; Nouvelle Calédonie. Le risque de dispersion inhérent à toute juxtaposition de monographies a été minimisé dans la mesure où, au-delà de la diversité des terrains et des approches méthodologiques, toutes les contributions nourrissent la réflexion sur ce thème commun des relations villes-campagnes. Elles sont en outre encadrées par trois chapitres introductifs fort utiles et une solide conclusion qui charpentent la publication.

             Une brève introduction générale justifie l’intérêt porté aux nouvelles formes de relations entre des villes et des campagnes, désormais pensées moins en termes de dichotomie qu’en termes de gradient, de continuum. Les frontières entre urbain et rural dessinent de nouvelles configurations territoriales selon des modalités qui posent la question de la pertinence de l’opposition entre des Nords affectés par des processus d’étalement urbain, et des Suds à l’urbanisation accélérée. Les temporalités différenciées n’excluent pas des comparaisons à même, au contraire, de révéler des convergences, des dynamiques communes qui se dégagent des études de cas. Ces dernières ont été ordonnées selon quatre entrées. « Systèmes d’activités et mobilités entre villes et campagnes » souligne la complexification des mouvements migratoires et des échanges. « Les espaces périurbains : approches comparatives » met en exergue la grande diversité des périphéries urbaines. « Agriculture et proximité, nourrir les métropoles » s’interroge sur l’éventualité d’options convergentes entre Nords et Suds. Enfin, la question des « politiques publiques face aux mutations des relations villes-campagnes » replace ces dernières dans le cadre plus large de l’aménagement du territoire.

            Ce canevas général ainsi établi, les coordinateurs de l’ouvrage ont judicieusement complété l’introduction par deux chapitres de cadrages chronologiques distincts. Martine Berger, pour le « côté Nords », rappelle le glissement de la vision dualiste des relations villes-campagnes sous l’effet de la rurbanisation, des mobilités accrues, de l’intérêt porté à la nature en ville, vers des formes plus complexes de fragmentation, d’imbrication du rural et de l’urbain dans des espaces en archipel. Pour le « coté Suds », Jean-Louis Chaléard, analyse, symétriquement, les séquences de l’explosion urbaine depuis les années 1960. Aux approches privilégiant le « biais urbain » et la domination des villes, font place celles, moins schématiques, qui soulignent l’importance du « vivrier marchand » dans les échanges, celle de l’agriculture urbaine, ou encore le rôle croissant tant des migrations internationales que de l’émergence d’une classe moyenne.

            Enfin, en clôture d’un ouvrage riche des quinze cas étudiés, et d’une illustration cartographique et photographique de qualité, une conclusion signée Géraud Magrin et Monique Poulot brasse à nouveau en point d’orgue la thématique des relations villes-campagnes vues comme « un prisme d’analyse toujours efficace pour une géographie en renouvellement ». Ruralisation de la ville, post-ruralité, autant de manifestations d’une hybridation généralisée succédant aux périodes de l’urbain généralisé et du brouillage péri-urbain, du moins dans les Nords. L’évolution dans les Suds est en effet décalée, l’urbanisation et la périurbanisation demeurant un ressort fondamental des évolutions spatiales actuelles, les différences avec les Nords correspondant aux inégalités de développement : « Dans les Suds il s’agit de manger et de vivre ; dans les Nords, on est dans le rattrapage des écarts ». In fine, les relations villes-campagnes s’articulent sur cette vaste question du développement, processus dans lequel la densification des transports est fondamentale, en tous lieux et à toutes les échelles, qu’il s’agisse de l’hinterworld des métropoles ou de l’hinterland des villes secondaires. 

            Sans prétention à une exhaustivité illusoire, ce parcours d’étape de chercheurs engagés sur des terrains on ne peut plus divers, ne se réduit pas à une glose rafraichie d’un des thèmes structurants de la pensée géographique. A partir d’études localisées, il ouvre la voie à une réévaluation générale des recompositions territoriales engendrées par le couple dialectique ville/campagne. Il témoigne de la vitalité d’une géographie attentive à démêler la complexité du nexus solidarisant espace et société, environnement et développement.