Histoire du Viêt Nam de la colonisation à nos jours

Recension rédigée par Jean Nemo


Le titre est ambitieux pour un ouvrage petit format de moins de 300 pages, d’autant plus que le nombre des contributeurs (treize, sauf erreur de décompte) est relativement élevé. Il est vrai que chacun d’entre eux a pris en charge la totalité d’un chapitre.

L’éditeur ne diffuse pas dans les grandes surfaces. La plupart de ses éditions, un certain nombre chaque année, sont accessibles principalement à proximité de la Sorbonne et dans les bonnes librairies universitaires de province. Si le lecteur potentiel est convaincu, à la lecture de la présente note, de juger par lui-même de l’intérêt de l’ouvrage, il pourra le consulter à la bibliothèque de l’ASOM ou se rendre dans une de ces librairies.

La quasi-totalité des contributeurs est relativement peu connue du lecteur « généraliste », ceci étant dit sans aucune connotation péjorative, car leurs diverses bibliographies et spécialités (contenues dans des notices en fin d’ouvrage et en répertoires de bibliothèques) sont suffisamment éloquentes.

Comme il le dit dans ses « remerciements », le responsable de cet ouvrage collectif a en effet choisi ses contributeurs parmi les chercheurs doctorants qui des années 1990 aux années 2000 et 2010 ont mené sur le terrain leurs recherches, sans négliger pour autant quelques autres chercheurs francophones.

Benoît de Tréglodé commence son introduction par l’évocation imagée des coiffes coniques, de la baie d’Halong, des ruelles d’Hanoi, qui seraient restées dans l’imaginaire français, tout comme au revers, de la boue de Diên Biên Phû, des « boat people » catholiques ou autres, fuyant le Viet Minh ou la misère. Ces images ont détourné et détournent encore aujourd’hui les Français, compagnons de route communistes ou nostalgiques de la grandeur d’autrefois, des réalités contemporaines du Viêt Nam. « C’est donc à l’extérieur de ces catégories figées que sera posée la question de l’étude du Viêt Nam contemporain ».

Une nouvelle histoire du Viêt Nam s’écrit ailleurs, principalement en anglais, histoire que les autorités vietnamiennes contestent au point de les interdire, ce que les Français ignorent…D’où l’approche toute nouvelle du présent ouvrage, qui relève de trois grands objectifs : le caractère « asiatique/vietnamien » de cette histoire, s’appuyant sur « des sources vernaculaires » ; la pose « des jalons d’une histoire à la fois globale » mais qui « prenne en compte la diversité des acteurs » et des contraintes géopolitiques des périodes successives ; le caractère nécessairement transdisciplinaire « qui tienne compte des dernières avancées historiographiques tout en restant empirique… ».

Le lecteur est ainsi prévenu des ruptures méthodologiques, néanmoins empiriques, auxquelles prétendent cet ouvrage et ses contributeurs. Il entend également « donner des clés de compréhension à un public français et francophone, désireux de mieux saisir le repositionnement d’un pays émergent, désormais puissance incontournable en Asie… » et sur la scène internationale.

Il est donc proposé au lecteur un ouvrage à la fois de rupture d’une fort mince littérature historique et sociologique de l’Hexagone et de bonne vulgarisation, sur des approches méthodologiques nouvelles.

Pour en terminer avec les remarques éditoriales et de méthode, on indiquera au futur lecteur que l’appareil critique et la bibliographie (situés à la fin de chaque chapitre, l’index des noms figurant en fin d’ouvrage) sont de bonne tenue, quoique forcément limités par la dimension de l’ouvrage. On regrettera cependant l’absence d’une conclusion générale, faisant pendant à l’introduction de tête. Elle eût peut-être permis de savoir si les diverses contributions, qui obéissent aux objectifs définis en introduction ont été respectés, du point de vue des contributeurs et de Benoît de Tréglodé.

Quelques cartes illustrent la période couverte.

Quant au fond : l’ouvrage est composé de trois parties, la première chronologique « Empires, guerres et États » (1858 à nos jours), les deux suivantes thématiques (« Mutations politiques et économiques » et « Dynamiques sociales »).

La première partie n’apprendra rien au lecteur familier de l’histoire coloniale, soit de 1858 à 1954. Dans la conclusion de ce premier chapitre, Marie de Rugy rappelle qu’en Indochine comme ailleurs, la mainmise coloniale n’a pas été conçue autrement que par des implantations aléatoires mais qu’elle a fini, sous l’impulsion d’initiatives le plus souvent individuelles « des plus nobles aux plus intéressées », par la construction d’une société coloniale complexe, hiérarchisée et tôt marquée par des revendications regroupées sous une bannière communiste d’inspiration étrangère.

Le chapitre suivant de cette première partie, intitulé « Les guerres » (1954-1991), au cours desquelles le Viêt Nam fut à la fois « en même temps « un acteur engagé et une victime expiatoire ». Au cours de cette période, l’histoire immédiate fut souvent le reflet des convictions et partis pris de ceux qui en écrivaient. D’un côté, Chine et URSS soutenaient, chacun à leur façon souvent contradictoire, le nord communiste, les USA défendaient le sud. La fin d’un monde bipolaire, la chute du mur de Berlin, l’implosion de l’URSS bouleversent la géopolitique mondiale, il n’est plus question de prêter allégeance à un camp ou à un autre, les investisseurs asiatiques, européens et américains se pressaient, mais surtout « le Viêt Nam renouait enfin avec son destin asiatique, dont la guerre l’avait en partie privé pendant près d’un demi-siècle ».

D’où un « nouvel ancrage international », dernier chapitre de cette première partie chronologique ou plus simplement historique. Cette « nouvelle entrée » a permis au pays de se resituer dans une Asie en forte croissance économique. Mais les tensions en Corée supposent aussi de clarifier un rôle assumé d’État non aligné.

La seconde partie, celle-ci thématique (« Mutations politiques et économiques »), permet une analyse de ce qu’est dans ses variantes successives « l’État-Parti », une rapide (peut-être un peu trop…) analyse de l’économie et plus spécifiquement du monde rural et d’un phénomène relativement nouveau, les modalités de la transition urbaine. Chacun des chapitres correspondants est probablement ce qu’apporte l’ouvrage de plus nouveau pour le lecteur généraliste, car si de temps à autre, des articles spécialisés dans des revues non moins spécialisées paraissent en langue française, ils ne touchent guère le grand public.  

La troisième partie, tout autant thématique, (« Dynamiques sociales »), est peut-être la plus neuve de l’ouvrage, car elle rapporte au lecteur, à partir d’un point de départ enraciné dans la période coloniale, les principales évolutions depuis quatre ou cinq décennies, de l’urbanisation, des inégalités sociales, des déséquilibres régionaux, des relations avec les minorités, de l’état actuel des religions.

Il n’est pas tout à fait sûr que cet ouvrage fort intéressant le soit parce qu’il sortirait de « catégories figées », comme il est dit en introduction. Du point de vue du lecteur moyennement averti, il est fort intéressant parce qu’il réussit un tour de force : celui de lui proposer en un format compact une bonne description, raisonnablement détaillée, d’un actuel Viêt Nam en le resituant à la fois dans l’histoire et dans son actuel recentrage en Asie du Sud-Est. Le rédacteur de la présente note de lecture y a pris un intérêt certain.