Auteur | Mamaye Idriss |
Editeur | Karthala |
Date | 2018 |
Pages | 310 |
Sujets | Mouvement populaire mahorais Mayotte 1945-1970 |
Cote | 62.103 |
Doctorante à l’université de Paris Denis-Diderot, Mamaye Idriss s’intéresse, entre autres sujets, à l’histoire contemporaine de l’archipel des Comores. Elle a consacré la présente étude aux dix-huit années qui vont de la fondation du mouvement départementaliste à Mayotte sous la forme du congrès des notables (2 novembre 1958) jusqu’à la consultation de février 1976 qui consacre la rupture entre cette île et le reste de l’archipel.
Le plan, chronologique, en dix chapitres, est clair et bien agencé et le texte est solidement documenté. L’appareil critique est digne d’éloges et Sophie Blanchy, préfacière, rend à l’auteur un hommage mérité. Mamaye Idriss ne fait pas mystère (p. 18) de son passé de militante pour la réintégration de Mayotte dans l’ensemble comorien (elle nous rappelle que son père appartient lui-même à un comité œuvrant dans le même but) mais on ne peut que louer le souci d’objectivité et le professionnalisme avec lequel elle s’est acquittée de son travail d’historienne.
La fermentation des esprits, la genèse de la formation séparatiste et l’enchainement des faits qui ont abouti à la sécession de 1976 et au maintien de l’île au sein d’une République au départ assez réticente, sont retracés avec soin.
Les trois premiers chapitres plantent le décor. Mamaye Idriss fait justement remonter l’origine du sécessionnisme mahorais à la Loi-cadre dite Loi Defferre de juin 1957. On sait que cette loi qui n’entra en vigueur qu’au printemps 1957, dotait chaque territoire d’outre-mer d’un régime de semi-autonomie avec une assemblée aux pouvoirs réglementaires quasi-législatifs et d’un embryon d’exécutif, le conseil de gouvernement, dont les membres avaient le titre de ministre. Dès lors allait jouer le complexe des petites îles se voyant en passe d’être dominées par les grandes et un malaise allait se faire jour à Mohéli et à Mayotte surtout quand l’exécutif local envisagea de transférer le chef-lieu du territoire de Dzaoudzi à Moroni (Grande Comore). La dépendance d’une lointaine métropole présentait beaucoup plus d’avantages que la subordination aux « grandes » îles voisines, Anjouan et la Grande Comore. L’octroi de l’autonomie interne par une loi de décembre 1961, renforçant les pouvoirs du gouvernement local, ne fit qu’accroître les inquiétudes des notables mahorais.
Intitulé « la résurgence du mouvement départementaliste » le chapitre 4 (pp. 65-90) est centré sur deux années qui constituent une articulation cardinale de la période concernée: le transfert de capitale de Dzaoudzi à Moroni avait engendré un profond malaise parmi les femmes de Petite-Terre qui se trouvaient souvent sans ressources. L’année 1966 nous fait assister à l’émotion populaire qui marqua la visite du président Saïd Mohamed Cheikh que certaines d’entre elles auraient voulu lapider ou à tout le moins mitrailler sous une pluie de graviers, provoquant son départ précipité.
Le gouvernement local avait reculé. Cette échauffourée -une victoire des femmes- enhardit les notables séparatistes qui, quelques mois plus tard, réunis dans la mosquée de Sada, prêtèrent le serment du même nom, dit aussi pacte de Sada, par lequel ils jurèrent sur le Coran de lutter jusqu’au succès c’est-à-dire l’obtention pour leur île d’un statut particulier au sein de la République et son érection en collectivité indépendante du reste de l’archipel. Si l’on en croit la p. 88 la manifestation ne fut pas exempte d’un certain folklore puisqu’on aurait vu le député créole Marcel Henry (un non-musulman, membre du Conseil Economique et leader de la contestation) prêter serment en haut du minaret de la mosquée. (Il s’agit plus probablement du minbar). Désormais les voies étaient ouvertes pour une association de plus en plus étroite du congrès des notables et du mouvement des femmes de Petite Terre et de cette fusion allait naître un parti politique, le Mouvement Populaire Mahorais (MPM) qui ne tarda pas à s’imposer comme la principale force locale.
Le chapitre 5 nous montre précisément comment cette nouvelle formation allait s’assurer le contrôle de la vie politique de l’île sur laquelle elle allait habilement asseoir sa mainmise à partir du congrès de Ouangani (1967). C’est une litote que d’affirmer que cette hégémonie ne se fit pas toujours dans un grand respect des biens et des personnes des opposants. Ces derniers étaient groupés sous l’appellation « serrez la main » et parmi eux se trouvaient de nombreux Anjouanais établis à Mayotte. D’assez nombreux imams ou notables religieux « les cheikhs » militaient également contre le séparatisme et nous apprenons p. 99 qu’ils diffusaient un tract dans lequel on pouvait trouver la citation coranique suivante: « N’ayez pas confiance en celui qui n’est pas de la même religion que vous » (allusion aux élus créoles). Les auteurs du tract ont malheureusement négligé de mentionner les références de la sourate et du verset (ainsi que le nom du traducteur). Nous inclinons à penser que les chioukh comoriens et mahorais ont été gratifiés d’une révélation récente qui ne figure pas dans les éditions antérieures du Livre…
Quoiqu’il en fût, un climat de guerre civile latente régnait déjà à Mayotte à cette époque et, ainsi que l’auteur l’observe justement p. 121, la francophilie était utilisée comme argument en faveur de la sécession. Chacun sait que le thème de l’attachement indéfectible à la France souvent entendu dans la phraséologie politique mahoraise, a servi avant tout à occulter le refus de la domination par les autres îles.
Les années 1966-1969 sont étudiées au chapitre 6. Elles nous montrent comment ce qui n’était au départ qu’une révolte allait se transformer progressivement en quasi-révolution, caractérisée par la paralysie des institutions, le boycott des services publics, l’occupation de l’ORTF etc…L’auteure n’hésite pas à parler d’un mouvement de masse et d’une population déchainée contre l’Anjouanais Ahmed Abdallah, sénateur et gros commerçant, qui s’était rendu acquéreur d’un vaste domaine à Mireréni. Ces mêmes militants dénonçaient la « colonisation » de Mayotte par la bourgeoisie comorienne, surtout anjouanaise. Avec la mort de la jeune militante Zakia Madi, originaire de Ouangani, tuée par les forces de l’ordre dans des circonstances obscures au cours d’une manifestation près de l’embarcadère de Mamoudzou le 19 octobre 1969, le mouvement départementaliste mahorais tenait son premier martyr. Il sut en tirer profit.
La disparition de Saïd Mohamed Cheikh en mars 1970 parut inaugurer une période de détente dans les relations entre Mayotte et le gouvernement comorien. Successeur de Cheikh, le prince grand-comorien Saïd Ibrahim fit entrer le Dr Martial Henry, (frère de Marcel) dans son gouvernement en tant que ministre de la Santé.
Pour le mouvement mahorais, le premier objectif était d’obtenir que les résultats du référendum d’autodétermination fussent comptabilisés île par île : une déclaration du ministre Pierre Messmer, de passage à Mayotte avait apporté une certaine satisfaction sur ce point (janvier 1971).
La chute de Saïd Ibrahim (12 juin 1972) à qui la chambre des députés reprochait quelques maladresses, allait mettre fin à cette relative accalmie. Après un intérim de quelques mois assuré par le prince Jaffar, Ahmed Abdallah, précédé d’une triste réputation, forma le nouveau gouvernement et engagea le territoire des Comores dans le processus qui devait aboutir à son indépendance (déclaration commune Abdallah-Stasi du 8 janvier 1973). Les chapitres 8 et 9 retracent cette évolution au cours des années1973-1975. Cette marche vers le référendum fut caractérisée par un regain des violences à Mayotte avec notamment de graves incidents à Acoua (février 1973) et à Poroani (juillet 1973). La société mahoraise était plus que jamais en ébullition. Composé d’élus et de notables, le lobby mahorais défendait habilement ses intérêts et obtenait la constitution en métropole d’un « comité de soutien au peuple mahorais » présidé par l’avocat Laurent Vallery-Radot. Fort de l’appui du président du Sénat, Alain Poher, le comité, qui recrutait ses adeptes parmi les milieux de la droite réunionnaise et aussi parmi les royalistes, parvint à porter la question mahoraise sur la scène politique métropolitaine. Un certain nombre de parlementaires socialistes ne voulaient pas d’une indépendance prématurée de l’archipel qui eût donné les pleins pouvoirs à Ahmed Abdallah.
Le chapitre 10 résume la lutte finale. Lors de la consultation du 22 décembre 1974, les Comoriens avaient opté pour l’indépendance à 95% mais à Mayotte le non l’avait emporté par 66%. Le 3 juillet 1975, l’Assemblée Nationale adoptait une loi subordonnant l’indépendance des Comores au vote d’une constitution île par île. Trois jours plus tard, le 6 juillet devant la menace d’être évincé, Abdallah faisait voter l’indépendance immédiate par la chambre des députés de Moroni. La sécession de Mayotte était désormais consommée. Le MPM était désormais maître incontesté de l’île. Lors d’une dernière consultation le 8 février 1976, les électeurs mahorais se prononcèrent à 99% pour le maintien de leur île dans la république. L’expulsion d’un certain nombre de « serrez-la-main », l’intimidation ou le revirement de bien d’autres peuvent contribuer à expliquer ce suffrage de démocratie populaire…Il restait aux élus mahorais, dotés d’un statut provisoire sui generis à entamer le combat qui devait aboutir à la départementalisation de leur île.
Il reste cependant un point qui aurait gagné à être mieux mis en lumière et permis d’inscrire la réflexion d’ensemble sur les affaires de Mayotte dans un ensemble plus vaste : il y eut d’autres exemples de séparatisme insulaire dans Etats archipélagiques : que l’on pense au Timor oriental, à Aruba dans les Antilles néerlandaises ou aux éclatements survenus dans les Antilles britanniques. On peut également regretter l’absence d’un index qui faciliterait la consultation de cet ouvrage, mais c’est peu de chose au regard des qualités de celui-ci.
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