Le colonialisme

Recension rédigée par Jean Nemo


On ne sera pas surpris de voir associé au mot de « colonialisme » les noms parmi les plus célèbres de ses détracteurs. L’on sait évidemment que ce dont ils accusaient le capitalisme, c’est d’être, entre autres, aux sources d’un colonialisme dont ils dénonçaient l’inhumanité et la brutalité. En un mot, sans vouloir être trop anachronique et avant que le mot ne fût inventé, un « crime contre l’humanité ».

On laissera à l’éditeur et au préfacier la responsabilité du choix des textes qu’ils ont retenus, dans la correspondance et autres écrits des deux fondateurs de ce que l’on a, plus tard, appelé le marxisme. On doit évidemment supposer que ce choix est objectivement raisonnable et représentatif.

On peut néanmoins se demander si le « colonialisme » du titre n’est pas ici un anachronisme. Sauf lecture inattentive, il n’est jamais utilisé par les deux fondateurs, qui dans leurs écrits ici cités parlent bien de « colonisation », de « violence coloniale »… En outre, dans le presque siècle et demi qui nous sépare desdits écrits, le terme « colonialisme » a, depuis, pris un sens un peu différent.

Les textes concernent, dans l’ordre choisi, la Chine, l’Inde, la Perse et l’Afghanistan, l’Irlande. Soit pour l’essentiel, les Britanniques et leurs possessions ou zones d’influence au plus fort de leur expansion impérialiste, sauf sans doute dans le cas de l’Irlande, vieille « colonie » en Europe.

Chaque chapitre est parfois introduit par des remarques à propos du contexte général, plus souvent et plus directement de diverses contributions sous forme d’articles, de correspondances ou de sections dans des éditions encyclopédiques. C’est ainsi que l’Algérie et Bugeaud apparaissent en fin du chapitre consacré à la Perse et l’Afghanistan… Il est vrai également que dans son introduction, Rémy Herrera signale des mises en cause des divers conquérants européens autres que les Anglais. Les Français par exemple en Algérie : « La torture pour arracher des aveux fut […] introduite en Algérie par la colonisation ; elle est l’un des apports les plus sûrs puisqu’elle devient très vite pratique policière courante »…

On s’attardera donc sur cette longue introduction. Elle rappelle d’abord que le thème « colonisation » n’occupe, dans les œuvres des deux hommes, que quelques centaines de pages à mettre en regard des « dizaines de milliers que les deux auteurs nous ont laissés ». Pour autant, cette faible proportion ne doit pas faire illusion : « si ces textes ne s’intéressent qu’aux « marges » de l’histoire du système capitaliste, leurs contenus n’ont cependant rien d’anecdotiques, leurs propos rien d’accessoires ».

Rémy Herrera rappelle ensuite que Marx et Engels sont les héritiers du Siècle des Lumières, en particulier de Rousseau dont le « Contrat social » disait entre autres qu’à « l’égard du droit de conquête il n’y a d’autre fondement que la loi du plus fort… ». D’où la dénonciation récurrente de la violence de la conquête coloniale, celle qui soumet les peuples.  

L’on sera à moitié surpris de comprendre que dans les excès et la brutalité de cet impérialisme colonial, seule l’Angleterre est mise en accusation. On comprend qu’à l’époque où écrivaient les deux hommes, l’impitoyable capitalisme était d’abord le fait de ce pays, mais d’autres, la Hollande, l’Espagne, le Portugal, étaient partie prenante dans cette expansion, et non des moindres…

Néanmoins, rejet par les deux hommes d’une vision méprisante des peuples conquis et soumis, ils rejoignent la cohorte des exploités d’un capitalisme bientôt triomphant. L’on sait que cette assimilation fut contestée bien plus tard par les intéressés eux-mêmes.

Mais tout lecteur qui s’est naguère ou encore aujourd’hui intéressé à l’histoire des débuts du « marxisme » ne peut que souscrire aux quelques derniers mots de l’introduction : «En les lisant, ne perdons jamais de vue que les deux théoriciens fondateurs du marxisme étaient avant tout des révolutionnaires, des acteurs de la transformation du monde ».

Mémorandum utile, donc, à ce lecteur. Utile également à celui, plus généraliste, qui souhaite l’avoir sous la main pour approfondir ses connaissances.