Auteur | Danielle David-Setbon |
Editeur | Hémisphères |
Date | 2018 |
Pages | 212 |
Sujets | Tunisie Récits personnels |
Cote | 62.174 |
Un jour, les souvenirs d’une jeunesse tunisienne sont remontés : l’auteur avait suivi, en 2006, le colloque du professeur H Kazdaghli : « Mémoire et Histoire du Maghreb à l’époque coloniale et Usage du passé » .
Professeur de philosophie, elle avait démissionné de son lycée pour rejoindre un institut de formation sous l’égide de la CGT et du PCF. Elle entreprend donc un voyage, « ce retour aux sources », mue aussi par le désir de respirer « l’air de la nouvelle Tunisie après la révolution de printemps ».
Le paradoxe de son passé est qu’elle est née en 1949, au sein d’une communauté juive mais dans la ville appelée « le phare de l’islam », la ville sainte, et célèbre par ses mosquées dont l’une recèle des reliques du Prophète .Mais elle va consulter sur place les Archives nationales à partir de 1934 et des registres scolaires et elle découvre que sa famille a vécu à Kairouan 10 ans après les émeutes anti- sémites de 1917.
« Connaître le pays d’où je viens », tel est l’objet de sa quête. Danielle David-Setbon se situe à part depuis sa naissance : « ni Française, ni Arabe mais juive tunisienne ou plutôt Tunisienne et juive ». D’où son impossibilité de s’identifier aux juifs de nationalité française au moment de l’indépendance.
Sa famille avait vibré lors du retour du « Combattant suprême Habib Bourguiba ». « La blessure fut double » lorsqu’après avoir adopté la nationalité tunisienne, ses parents furent obligés de quitter la Tunisie pour la France, son père en 1964, son oncle en 1969. Des images refont surface et elles émaillent le livre : photos de réunions familiales (moins paisibles que l’on croit avec les débats politiques autour de la table), les rites religieux, la vie quotidienne, les photos de groupe à l’école. La mémoire lui fait défaut car elle reproche au Protectorat français d’avoir privilégié dans ses programmes d’enseignement « le tracé de la Garonne à celui de la Mitidja » complètement écarté. Pourtant en 1947, l’examen du BEPC (l’actuel brevet des collège) portait exactement sur la géographie physique de la Tunisie !
Durant son périple de 2011, elle s’écarte des archives pour discuter dans les cafés avec des étudiants préoccupés par le chômage, sur les plages de Sidi Bou Saïd avec des jeunes filles dont le rêve est de tenir une boutique de mode à Paris !
De Tunis, elle avoue ne connaitre que le cercle parcouru pendant dix-huit ans, sa jeunesse passée entre la Porte de France et l’ Avenue de Paris, et sa population : les familles juives des classes moyennes occidentalisées.
Mais elle arrive au cœur de sa recherche : les juifs de Kairouan ; d’où venaient- ils ? « Nés dans la ville ou venus de Béja, de l’intérieur ». 1906 : 483 juifs ; 1934 : 600 juifs ; 170 en 1946 mais depuis le Protectorat, certains avaient pris la nationalité française, d’autres se voulurent tunisiens.
« Félix Nataf, juif maghrébin, d’une famille de banquiers de Kairouan » se félicite de l’absence, dans cette ville, de l’Alliance israélite universelle qui répandit l’usage du français. Ce qui aurait facilité l’enracinement. « Alors les populations ne s’aimaient pas mais se fréquentaient ». En 1914, les juifs n’étaient pas mobilisables mais il y eut des engagements volontaires et certains ne revinrent pas du front.
Pourtant en 1917, saccages et pillages des maisons juives. Sa mère l’expliquait par une manœuvre des autorités françaises, détournant le mécontentement des musulmans, thèse de l’Alliance israélite universelle dans un rapport de 1917.Il y eut en fait beaucoup de départ vers les villes de Sousse (5000) ou Sfax (3800) ce qui s’explique par les ressources économiques et intellectuelles de ces villes. Aussi l’auteur qualifie-t-elle de « miracle », l’érection d’une synagogue à Kairouan en 1928 et dont l’emplacement : ville arabe ou ville nouvelle, fut discutée.
Elle insiste sur le fait que la ville sainte ouvrait ses mosquées aux Européens et que les récits des voyageurs comme Peyssonnel ont pu en faire une ville morte ou fermée lors du ramadan, ce qu’elle n’a pas connu.
Son récit, syncopé, comme soumis au flux et au reflux des souvenirs, s’émaille aussi de références littéraires : Maupassant à la description peu flatteuse des juifs d’Afrique du Nord en passant par le Journal du peintre Klee ou celui d’André Gide. Une photo d’une stèle ébréchée montre le cimetière juif de Kairouan en déshérence mais préservé.
In fine, elle lance un message d’espoir, car le Prix Nobel de la Paix a été décerné, en 2015, à un Quartet regroupant des associations tunisiennes du barreau, des travailleurs, du commerce, de l’industrie, de l’artisanat et la Ligue des droits de l’homme.
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