Auteur | Isabelle Surun |
Editeur | la Sorbonne |
Date | 2018 |
Pages | 382 |
Sujets | Expéditions scientifiques Afrique Explorateurs Géographie Associations Afrique occidentale Découverte et exploration européennes |
Cote | 62.158 |
Le titre est quelque peu déroutant ; pourtant le cadre spatio-temporel est bien précisé. On pourrait s’attendre à une mise en récit des explorations : par où sont passés les explorateurs ? Qu’ont-ils vu, noté et retenu ? Qu’ont-ils apporté à la connaissance de ce continent plus varié qu’on ne le dit ? Non, le titre assorti d’un point d’interrogation, « Dévoiler l’Afrique ? » et le sous-titre : « Lieux et pratiques de l’exploration » mettent l’accent sur le propos de l’auteur : « comment les explorateurs et voyageurs ont-ils dévoilé l’Afrique », qu’ont-ils choisi de dire, qu’ont-ils écarté, qu’ont-ils supputé ? Quels étaient leurs horizons d’attente ? Quelles visions personnelles projetaient-ils sur les paysages ? Quelle présence aux lieux avaient-ils ? Pour quel(s) projet(s) ?
L’auteur a fait un choix ; elle retient 54 voyageurs parmi lesquels M. Park (cité 46 fois), H. Barth (37), H. Clapperton (35), D. Denham (33), R. Caillié (23), Oudney (28), G. Mollien (27). En ce qui concerne les lieux, sont évoqués le Niger ou Kouara (37 fois), le Sénégal (34), le Bornou (25), le lac Tchad (25), le Soudan (19), la Gambie (17), le Fouta Toro (15) à côté de quelques cités : Tombouctou (35), Tripoli (26), Ségou (17), Sokoto (15), Saint-Louis (14), Kano (13) et Kouka (10 fois).
Cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat d’histoire (en 2003) : « Géographie de l’exploration. La carte, le terrain et le texte (Afrique occidentale, 1780-1880) », est savant en raison de son vocabulaire et de la richesse de sa documentation (bibliographie souvent anglophone et germanophone). Il s’attache au contexte des explorations : le « blanc de la carte » (depuis d’Anville et Rennell), la salle de réunion (« African Association » et Société de Géographie donnant des instructions et distribuant des prix), l’entrée dans le paysage, les compagnons de route, le trajet et « l’excursion », les territoires vernaculaires (essentiellement les roitelets musulmans du Sahel), la rencontre de l’autre (cadeaux, regards en miroir), de la collecte des données à la mesure. La polémique franco-britannique sur Tombouctou est également abordée ainsi que la construction de la carte.
Il y aurait beaucoup à dire sur la différence de vision de l’homme de terrain et du géographe de cabinet. Ne sont pas évoquées les couleurs (rouge, ocre, beige), la latérite, les cuirasses ... Selon l’analyse de Bruno Latour (1983), « l’exploration ne se produit qu’une fois au passage du premier voyageur ». Certes si l’on s’en tient absolument à la lettre, mais en fait il y a autant de regards que de passages. Chaque explorateur a son appréciation, ne serait-ce qu’en raison de sa sensibilité et de sa formation. René Caillié, par exemple, d’origine paysanne, mentionne de nombreuses observations concernant les cultures et l’environnement végétal comme l’ont souligné Th. Monod (René Caillié botaniste, 1960) et H. Jacques-Félix (Contribution de René Caillié à l’ethnobotanique africaine, 1963, 172 p.).
A propos de « l’espace hodologique » (p.134), nous ne pouvons que nuancer les remarques de l’auteur : « L’image rebattue de l’explorateur solitaire, maître de son chemin, qui taille un passage à la machette dans la végétation luxuriante ... doit être battue en brèche ... ». Lors des explorations d’inventaires forestiers, pédologiques ou géologiques par carroyage, il faut bien ouvrir, en forêt dense secondaire, le passage à la machette, les manœuvres de tête se succédant à cette tâche épuisante, le scientifique ou l’expert fixant à la boussole (aujourd’hui au GPS) l’axe de marche de sa caravane toujours bruyante en Afrique : voix fortes, rires ..., le gibier se cache (p.284). Il en va tout autrement pour le chasseur et son pisteur : ils tiennent compte du vent pour approcher le gibier et ne communiquent que par signes. Le temps de parcours d’une caravane (p.294) dépend certes des charges portées, mais aussi du relief, du couvert végétal (il y a une forte différence entre un bowal dénudé et un fourré dense) et surtout de l’obstacle des rivières (rapides, profondes ou guéables ...). Un détail anecdotique concerne le thaler en argent de Marie-Thérèse, frappé après son décès en 1780 et répandu de l’empire ottoman à l’Afrique centrale, monnaie qui a suscité un véritable engouement en Afrique au XIXe siècle. Selon les Africains interrogés, outre sa valeur, le succès de cette monnaie tenait à l’effigie de la reine, femme et mère « aux formes généreuses ».
L’exploration de l’A.O.F. ne s’achève pas, semble-t-il, en 1880, avec Zweifel et Moustier parvenant aux sources du Niger depuis la Sierra Leone. Le grand botaniste A. Chevalier leur succède venant du Nord, ainsi que le géologue H. Hubert. Sans doute les explorateurs ont-ils trop souvent confondu la vigueur de la végétation avec la richesse des terrains mais il est exact que « le nombre d’habitants est un enjeu du débat qui entoure la valeur de ces régions ».
Les interprétations des explorations peuvent être diverses mais elles demeurent encore aujourd’hui sources d’informations pertinentes tant, comme l’a démontré avec minutie Isabelle Surun dans son ouvrage, sur « l’ expérience des voyageurs, totale, physique, psychologique, sociale et culturelle » et sur « les savoirs qui se construisent à travers des pratiques concrètes et dans l’interaction » que sur la somme des observations consignées au fil des parcours, premières contributions au dévoilement de l’Afrique.
Cet ouvrage est dense, 382 pages en petits caractères, avec des cartes que le format rend difficiles à lire mais qui sont en adéquation avec l’une des thématiques importantes du livre : la construction de la carte.
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