Auteur | Françoise Blum |
Editeur | Presses universitaires de Rennes |
Date | 2014 |
Pages | 202 |
Sujets | Révoltes Afrique 1945-1990 Afrique Politique et gouvernement 1960-.... Congo (République démocratique) 1960-1965 (Guerre civile) Madagascar 1972 (Journées de mai) Sénégal 1960-.... |
Cote | 60.017 |
Spécialisée dans l’histoire sociale du XXe siècle, l’auteure s’est particulièrement intéressée à l’Afrique Noire, des années 1960-1970, en particulier dans le domaine social. Son ouvrage n’est donc pas tout-à-fait de l’histoire évènementielle mais plutôt l’analyse des résistances étudiantes, syndicales, entre autres, au départ de l’Afrique des Indépendances. Et des modalités et des motivations de ces résistances.
Le titre pose dès l’abord une première question. Le mot « Révolution » n’est pas neutre dans notre langue, il a une charge culturelle, historique et politique prégnante. Or, dans le texte, il est plus souvent question de « révoltes » que de « Révolution ». La portée des termes utilisés n’est pas du tout la même. La révolte est circonstancielle, question souvent d’humeur, la révolution est supposée bouleverser l’état des choses, modifier la société, voire la culture dominante ; elle le fait si elle aboutit, si elle échoue restent dans les mémoires ses ambitions et, selon le camp que l’on privilégie, le sentiment d’une légitime revanche conservatrice ou le regret de l’utopie manquée. Comme on le verra, si dans les trois exemples choisis, on a bien entendu des revendications révolutionnaires, du type de celles retentissant sur les campus universitaires américains et européens des années 1960, on verra également qu’une jeunesse étudiante, la première dans les pays concernés, donc sans guère de traditions anciennes, a beaucoup emprunté à la phraséologie ambiante ; et qu’un mouvement syndical déjà aguerri à la fin de la période coloniale a poursuivi sa formation et ses revendications traditionnelles, certes dans un nouveau contexte mais sans discontinuité.
N’ouvrons pas d’entrée de jeu un débat aussi large que celui de savoir quel est le meilleur terme pour caractériser les trois exemples retenus. Il y a un peu des deux mais la confusion des mots devait être éclaircie.
Très logiquement, l’ouvrage commence, dans une première partie, par un état des lieux. Le lecteur découvrira presque immédiatement que l’auteure est, d’une certaine façon, engagée par le choix de son vocabulaire : après le carcan colonial, le carcan des accords de coopération (lesquels traduiraient forcément les débuts du néo colonialisme), le carcan du Parti unique (ou « dominant » dans le cas du Sénégal). Cette expression de « carcan » pose problème.
S’il est exact que par bien de ses aspects, la période coloniale, y compris vers sa fin, a été autoritaire et rien moins qu’égalitaire, - ses abus ont été suffisamment dénoncés dès ses débuts et largement depuis, - en quoi constituait-elle un carcan ? En une volonté délibérée d’enfermer ou de ligoter les « indigènes » ? Ou plus réellement, de fonder la justification de la colonisation sur une hiérarchie raciale, les races inférieures devant pouvoir s’élever sous une bienveillante tutelle…coloniale ? Et, pourquoi pas, à la saine exploitation de leurs ressources et de leur force de travail ? Soit, admettons que pour ne pas être le mieux adapté, le terme « carcan » peut convenir, quoique qu’il soit sans nuance.
En revanche, l’utiliser à propos des « accords de coopération » est sommaire et inapproprié. Faut-il rappeler qu’encore en début 1958, à propos d’une Constitution fondatrice de la Ve République, aucun homme politique africain ne réclamait une indépendance pour des nations encore inexistantes et qu’à une exception près, le Cameroun, la paix civile régnait pour l’essentiel ? Il paraît probable que, mis à part le cas de la Guinée, suite à une série de malentendus entre Sékou Touré et Charles de Gaulle, c’est bien plus la France qui à l’époque, le témoignage entre autres de Maurice Couve de Murville le confirme presque sans détour, a poussé les Africains vers une indépendance devenue inéluctable. Car la France avait à l’époque d’autres priorités : la paix au sud du Sahara pour garder les mains libres en Algérie et, sur le plan géopolitique, se tourner vers d’autres priorités européennes et mondiales. Ce que réclamaient les politiques africains, qu’ils avaient en partie obtenu, depuis 1945, c’était la fin du travail forcé et des diverses formes « d’indigénat » et surtout l’égalité de tous les citoyens français (ou de l’Union française), à travers des montages constitutionnels compliqués. Et non pas l’indépendance de nations encore inexistantes. Comme le disait encore en 1955 Mamadou Dia, peu suspect d’être un valet du colonialisme, fût-il « néo » : « Il faut qu'en définitive la conception impérialiste d'État-nation fasse place à la conception moderne d'État multinational ». Comprendre qu’au-delà des différences entre les peuples, l’égalité pouvait se réaliser au sein d’un État composite.
Dans ce contexte, les accords de coopération, certes « inégaux », n’étaient pas, aux yeux de bien des responsables politiques français une expression de néocolonialisme, mais la reconnaissance tardive des faiblesses des prochains États, largement héritées de la période coloniale : manque de cadres, taux de scolarisation faibles (10 % dans bien des pays, notamment sahéliens, moins d’une dizaine de bacheliers en Oubangui-Chari de 1958), absence d’universités, mises à part quelques ébauches à Dakar et à Tananarive, armées embryonnaires… Cela permit pendant la première décennie de maintenir, sous un nouveau régime administratif, des responsables français dans divers ministères, voire sur le terrain des sous-préfets et des préfets français, en attendant le retour des cadres nationaux en formation. Cela permit aussi et notamment, d’alimenter en enseignants l’enseignement supérieur, voire l’enseignement secondaire, au moment de la création accélérée d’universités voulues par la plupart des nouveaux chefs d’État et de la course à l’augmentation des taux de scolarisation.
Une étude approfondie des discours des nombreux ministres de la Coopération, notamment celui de Jean Foyer, l’un des tout premiers, en tout cas aux débuts des années 1960-1970, montre bien que cette Coopération avec les pays dits du « champ », était considérée par bien des responsables français comme provisoire. Si l’on prend l’exemple des coopérants (civils ou militaires), considérés comme de « substitution » à des cadres nationaux absents devaient disparaître au fur et à mesure du retour au pays des cadres africains formés, comme le disait un rapport croisant les retours d’Africains formés et le départ des coopérants de « substitution » en nombre correspondant. Les deux courbes se croisaient en principe au début de la décennie 1970. Dans la réalité, le pic des effectifs de coopérants relevant du ministère de la Coopération fut atteint au début des années 1980 avec un peu plus de dix mille agents mis à la disposition des États (accords de coopération). Ni la France, ni ses partenaires n'avaient su faire évoluer en temps utile leurs missions, non plus que leur nombre, pour adapter la coopération à de nouveaux contextes. Mais il paraît difficile de les considérer comme contribuant à un quelconque carcan pesant sur les États africains.
Assez vite, à cette approche de « rattrapage » s’est substituée, tant en France qu’au sein des principales Organisations internationales concernées (ONU, PNUD, OCDE, CEE, BIRD, FMI etc.) la notion, voire la doctrine de l’Aide au Développement, de l’Aide publique au Développement, qui imposait aux pays « avancés » de consacrer 0,7% de leur PIB au développement des pays « sous-développés », puis les « moins avancés ». Et ce, sous contrôle multilatéral (CAD de l’OCDE par exemple).
De même, le « parti unique » ou « dominant » a certes pu souvent être, surtout sur le tard, peu ou très peu démocratique. C’est négliger le fait que la démocratie « à l’occidentale » n’est pas forcément transposable à l’identique dans d’autres cultures. Et que lorsqu’il a été à peu près bien géré (cas au moins de le Côte d’Ivoire jusqu’en 1993 et du Sénégal depuis l’indépendance), il a contribué à la stabilité sociale et politique. Il ne faut pas négliger non plus que le « parti unique » a souvent été renversé au profit de dictatures militaires rien moins que démocratiques ou que leur disparition brutale a ouvert des périodes de troubles civils, pour ne pas dire de guerres civiles. Et, ce n’est pas anecdotique, on a pu constater que les ex dictateurs galonnés, une fois une certaine démocratie pluraliste restaurée, sur injonction de pays du Nord, notamment de la France à partir de 1990, revenaient au pouvoir à l’issue d’élections surveillées par la communauté internationale (cas du Bénin et du Congo).
De même faudrait-il s’interroger sur le fait que des interventions françaises armées, sous mandat international et souvent avec l’accord explicite d’une bonne part du personnel politique local, traduisent bien souvent plus les faiblesses d’États qui ne sont pas encore tout-à-fait des nations que des manifestations de néocolonialisme. Des interventions armées de la France, toutes récentes, au Mali et en RCA ne peuvent pas être interprétées selon ce schéma résumé par le mot « carcan ».
On ne poursuivra pas ici un débat qui appellerait des développements et un débat approfondis. On peut cependant estimer que dans ses analyses du cadre historique, l’auteure a trop systématisé et interprété des rapports par ailleurs effectivement inégaux en utilisant un mot inapproprié à propos d’un « néocolonialisme » dont la réalité est bien plus complexe que ne le laisse entendre l’expression.
Ces réserves sérieuses sont heureusement compensées, à la fin de la première partie et dans une seconde partie intitulée « Réseaux et passeurs de savoirs militants », par des informations et des considérations générales et souvent plus pointues. Elles rappelleront à certains des lecteurs et l’apprendront à beaucoup d’autres ce qu’étaient en Afrique subsaharienne, à la fin des années 1950 et au cours de la décennie suivante, d’une part le monde étudiant, d’autre part le monde syndical.
Pour le premier, on l’a déjà dit, mis à part les quelques dizaines d’étudiants africains poursuivant leurs études avant-guerre en Algérie ou en métropole, souvent à leurs propres frais (dont par exemple le Dahoméen Pinto dans les années 1920 et le Sénégalais Senghor dans les années 1930), il n’existe en 1945 aucun flux significatif d’étudiants africains, la plupart étant orientés vers des formations de niveau inférieur ou intermédiaire destinées à fournir des cadres de catégorie B (dirions-nous de nos jours) à l’administration et à l’armée (écoles de médecine formant des « médecins africains », correspondant plus ou moins aux « officiers de santé » du XIXe siècle en France, la célèbre école William Ponty et, sur le tard, plusieurs écoles d’ingénieurs de travaux, Fréjus pour les militaires). Si l’auteure ne fait qu’esquisser ce passé colonial, elle constate en revanche que l’accroissement soudain du nombre des étudiants (en France pour l’essentiel) et son accélération à partir des années 1950, grâce notamment à des programmes de bourses plus ambitieux que par le passé, aboutit rapidement à l’avènement d’une génération sans antécédents dans le champ des luttes politiques et sociales (création et actions de la FEANF en France).
La création et le développement d’universités africaines, de plus en plus nombreuses, chaque État souhaitant la sienne, déplace de France vers l’Afrique la majeure partie des étudiants et les conduit à adapter leurs luttes aux contextes locaux. En outre, pour de nombreuses spécialisations ou à partir du deuxième ou troisième cycle universitaire, les États envoient dans les universités soviétiques, chinoises, américaines ou européennes nombre d’étudiants qui pendant leur séjour et à leur retour diffusent des problématiques nouvelles (lutte des classes, tiers-mondisme…)
On relèvera que cette frange étudiante de la jeunesse africaine, sans rompre avec son milieu d’origine, n’y a aucune influence et n’entraînera dans ses révoltes que le « petit peuple » urbain que l’auteure considère comme un acteur essentiel des luttes politiques et sociales.
Au début de la première partie, le lecteur trouvera un tableau chronologique, parfois au jour le jour, des mouvements étudiants sous revue :
- 1962-1963 au Congo, qui contribua de façon décisive au renversement de l’extravagant Abbé Fulbert Youlou.
- 1968 au Sénégal, fièvre estudiantine agitée prenant de front le pouvoir en place et réprimée par Senghor, un peu à la manière dont il fut mis fin en France à mai 68 (il est vrai que les autorités sénégalaises apprécièrent fort peu cette fièvre, compte tenu des efforts qu’ils estimaient avoir consentis pour développer l’enseignement universitaire).
- 1972 à Madagascar, où les « révoltes » étudiantes accompagnèrent plus qu’elles n’en furent à l’origine la cause l’élimination du pouvoir usé de Tsiranana. Le mouvement initié dans d’autres couches, en général aisées, de la population, déboucha finalement sur une
semi-dictature militaire au langage souvent pseudo-marxiste et toujours anti coloniale, celle de l’officier de marine Ratsiraka.
Mise à part une phraséologie largement inspirée par des discours « transnationaux » de l’époque, il est difficile de relever plus que des similitudes entre ces trois exemples et ces trois époques.
L’auteure ne souligne pas assez que, quant au fond, les retards fréquents dans le paiement des bourses, sinon leur non-paiement, l’absence de débouchés professionnels prometteurs (entraînant souvent la stagnation dans un statut d’étudiant prolongé), la naturelle propension des jeunes à rêver à des lendemains qui chantent sont plus que toute autre motivation le point commun aux trois « révoltes » ou « Révolutions ».
Mais laissons-là des considérations peut-être trop critiques, vraisemblablement dues au statut d’observateur attentif et parfois impliqué, à l’époque, du signataire des présentes.
On sera beaucoup moins critique quant aux « Réseaux et passeurs de savoirs militants », qui décrivent fort bien « les creusets de formation politique » et un exemple de fédération syndicale, celui de l’Union panafricaine des Travailleurs croyants, ainsi que le cas plus particulier de l’université ouvrière de Guinée, évidemment communiste. Les grandes fédérations mondiales ou nationales extra-africaines dont se réclament les syndicalistes africains, ont puissamment aidé en apportant leur appui à la formation et aux stages.
Les recensions de l'Académie des sciences d'outre-mer sont mises à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.
Basé(e) sur une oeuvre à www.academieoutremer.fr.