Interventions autobiographiques des femmes du Maghreb : écriture de contestation

Recension rédigée par Christian Lochon


Madame Samira Farhoud, professeur-adjoint à l'Université canadienne Saint-Thomas, d'origine libanaise, étudie depuis plusieurs années la littérature féminine maghrébine. Elle a souffert de la guerre civile au Liban (1975-1990), perdu un frère assassiné « dans son pays ravagé par la peur et l'intolérance ». Après des études supérieures en France, elle s'est installée, comme beaucoup de ses compatriotes, au Canada. Il est rare qu'une chercheuse proche-orientale se penche sur la littérature, même francophone, nord-africaine.

Cependant, le combat des femmes pour l'égalité sociale rapproche les auteures machréquines et maghrébines. C'est de cela qu'il s'agit dans cette œuvre : « L'écriture fait sortir la femme maghrébine de l'espace privé par l'école ; elle apprend très vite que la société la regarde comme un corps ». D'où l'importance des interdits sociaux ou « hchouma » imposés par « la classe de commande et l'extrémisme musulman ».

L'auteure rappelle d'abord que l'écriture autobiographique remonte dans la littérature arabe au IXe siècle ; Abd al Ghafir Al Farisi et Umara Al Yamani (XIIe siècle), Al Imad Al Katib Al Isfahani (XIIIe), Ibn Khaldun (XIVe) dans son Voyage d'Orient et d'Occident ont parlé d'eux-mêmes. Nos écrivaines des XXe et XXIe siècles contestent leur propre asservissement et les préjugés dont toutes les femmes sont victimes dans cette région en s'adressant par une langue occidentale à un lectorat universel concerné par la situation de la femme dans le monde.

Pour l'illustration de son propos, Samira Farhoud a choisi deux écrivaines célèbres, Assia Djebbar-Imalayène (1936-2015) de l'Académie française, d'origine algérienne kabyle, Fatima Mernissi (1940-2015) marocaine d'une famille de notables de Fès et trois essayistes occasionnelles, une Algérienne qui écrit sous le pseudonyme de Fatiah Algérie, chronique d'une femme dans la tourmente(1996), une Française, Sakina Boukhadenna, née à Mulhouse (1959), d'origine kabyle de Taher, qui publie Journal nationalité immigrée(1987) et une Marocaine, Malika Oufkir, assistée de la journaliste Michèle Fitoussi qui conte le long emprisonnement de toute sa famille dans La prisonnière(1999).

Assia Djebbar, fille d’un instituteur qui la soutint dans sa scolarité, « se fait le scribe des femmes analphabètes... Écrire, dit-elle, m'a ramenée aux cris des femmes sourdement révoltées ». Son Je se heurte aux tabous et aux interdits de la société et de la culture musulmane ». C'est qu'elle dispose de plusieurs registres linguistiques : « Le français pour l'écriture secrète, l'arabe pour mes soupirs vers Dieu étouffés, le libyco-berbère pour retrouver les plus anciennes de nos idoles-mères ».

Fatima Mernissi voit ici son œuvre réduite à la portion congrue ; cette universitaire respectée et courageuse a toujours lutté contre le radicalisme politique par l'humour : «Les musulmans souffrent d'une amputation culturelle qui est la démocratie... L'intolérance n'est pas dangereuse pour les dirigeants mais sa contestation ». Dans La peur-modernité(1992), elle avait osé écrire : « La manipulation des textes sacrés a été une caractéristique structurelle  de la pratique du pouvoir dans les sociétés musulmanes ». Dans l'ouvrage cité ici, Rêves de femmes, Fatima Mernissi cherche dans la petite enfance l'événement qui a produit une militante féministe tout en reconnaissant que le «harem est un havre de paix pour avant tout la famille», réalité éloignée du harem imaginé, fantasmé par les orientalistes. Néanmoins elle invite l'homme à traiter la femme comme son égal.

Fatiah, née en 1948, enseignante algérienne, publie un pamphlet contre la guerre civile qu'elle explique pour des raisons sociales ; les ruraux, attirés par les usines et qui ne s'intègrent pas dans la ville, sont devenus des intégristes ; elle critique les mensonges du Gouvernement, des médias, des autochtones à la poursuite d'un clientélisme étatique. La langue française, pour elle, c'est la liberté de critiquer et d'affranchir la voix des femmes algériennes.

Sakina Boukhadenna décrit le vécu des personnes issues de l'immigration maghrébine  qui souffrent de l'absence de repères géographiques et affectifs dans un style volontairement populaire. Revendicatrice, sa famille voit en elle un élément perturbateur ; elle se rend en Algérie pour connaître la culture des siens ; elle y est considérée comme une pute (sic) imprégnée par la culture dégénérée occidentale ; elle résume ainsi sa destinée : « La femme aux yeux des Arabes: maison, chiffon, enfant et ferme ta gueule ! » ; en fait pour tout dire «En France elle a appris à être arabe ; en Algérie à être immigrée ».

Malika Oufkir est la fille du Général Mohamed Oufkir exécuté en 1972 pour avoir comploté contre le Roi Hassan II ; l'épouse et les six enfants vécurent en prison une vingtaine d'années. C'est surtout le régime répressif monarchique marocain qu'elle décrit comme le feront Abraham Sarfaty ou Gilles Perrault, contredisant ainsi l'historiographie officielle du royaume chérifien.

Cette recherche académique met à la disposition du chercheur un ensemble de références bien utiles comme les 25 termes arabes du glossaire (pages 141-142), une chronologie des événements survenus en Algérie et au Maroc de 1830 à 2012 (pages 143 à 151), des notes bibliographiques (pages 153 à 161), une riche bibliographie de 267 auteurs et d'environ 320 ouvrages (pages 163 à 182) et un index de mots-clés (pages 183 à 189). Une deuxième édition supprimera deux petites coquilles : page 72. « Il (Desjeux) rajoute que Djebbar n'écrit en français que les vers... arabes » et non « Il EN rajoute que » et page 133 « Le « nous » continue à souffrir » et non « continuent ».

Il est important que la littérature féminine arabe contemporaine soit connue, car elle est l'expression littéraire des Printemps arabes ; Madame Farhoud a contribué excellemment à le montrer.