Auteur | Hongsheng Jiang ; préface d'Alain Badiou ; traduit de l'anglais par Éric Hazan |
Editeur | La Fabrique |
Date | 2014 |
Pages | 338 |
Sujets | Révolutions Chine Shanghai (Chine) 1945-1970 Chine 1966-1969 (Révolution culturelle) Paris (France) 1871 (Commune) Influence |
Cote | 60.298 |
Issu d'un milieu paysan modeste de la province du Hunan, Honsheng Jiang, qui n'avait pas vécu les événements de la Révolution culturelle, fit de brillantes études et fréquenta un grand collège de Pékin avant d'être admis en 2000 dans une université américaine (Duke N.C.) où il obtint le Ph.D. en 2010. Il est aujourd'hui professeur associé à l'université de Pékin.
Il nous relate son itinéraire intellectuel dans un post scriptum pp. 275-279. Il n'éprouvait au départ aucun sentiment particulier pour Mao Zedong. Dans son village natal, le portrait du Grand Timonier figurait sur les autels domestiques des familles paysannes et plus tard, on lui enseigna que ce dernier, après avoir eu le grand mérite de fonder une Chine nouvelle en 1949, s'était mué au fil des ans en un tyran sanguinaire, un dernier empereur responsable de millions de morts au moment du « Grand Bond en avant » et de la Révolution culturelle. Par la suite, au cours de débats avec ses collègues américains et, grâce à l'internet, avec des intellectuels chinois, et également sous l'effet de mauvaises nouvelles reçues de la Chine de l'ère Post-Mao, il fut amené à reconsidérer la vision des choses inculquée par ses maîtres de Pékin.
Quand il entreprit des recherches sur la Révolution culturelle, sa tâche ne fut pas aisée: s'il parvint à rassembler une documentation considérable aux Etats-Unis, ses recherches de terrain en Chine se heurtèrent à une censure draconienne : confiscation de ses films et enregistrements, quasi-impossibilité de s'entretenir avec les témoins ou les protagonistes de la révolution culturelle dont on lui disait qu'ils étaient morts ou emprisonnés, ce qui n'était que trop souvent vrai. Il parvint cependant à rassembler de nombreux documents informels, tracts, articles de presse, tabloïds etc.
Auteur de la préface, le philosophe maoïste Alain Badiou distingue, dans l'histoire mondiale des révolutions, cinq paradigmes ou exemples pouvant servir de modèle à d'autres mouvements révolutionnaires. Ce sont d'après lui : la convention montagnarde (1792-1794), la Commune de Paris (1871), la Révolution bolchevique (1917), la Révolution chinoise (vers 1920-1949) et enfin la Commune de Shanghai de février 1967. De ces cinq événements, il estime que le dernier a été : " le plus combattu, le plus déformé, le plus travesti et le plus passé sous silence ".
L'événement proprement dit de la commune de Shanghai, qui, aux yeux des historiens spécialisés, représente l'apogée de la Révolution culturelle, a duré tout juste vingt jours, du 5 au 24 février 1967 et se résume, selon les termes de l'historienne américaine Elisabeth Perry, à « une tentative malheureuse pour faire passer le pouvoir local(jusqu'alors détenu par le CPS ou comité municipal du Parti et par le maire Cao Diqiu) aux mains du prolétariat », comme une concrétisation de la révolution culturelle.
Après nous avoir rappelé qu'un diplomate chinois avait laissé un témoignage sur la Commune de Paris et que Shanghai avait été le théâtre d'une première insurrection communaliste en 1927, (écrasée dans le sang par un seigneur de guerre), Honsheng Jiang nous donne une relation circonstanciée des évènements de 1967. Il passe en revue les débuts de la Révolution culturelle (mai 1966), la dénonciation par les travailleurs de Shanghai des dérives capitalistes (ou économistes) des responsables d'usines et l'orientation bourgeoise réactionnaire des autorités locales, sans omettre la déclaration en seize points (manifeste de la révolution culturelle) du 9 août, pour arriver à l'occupation par les rebelles du port, des gares, des usines et des bureaux (décembre). Et ce fut l'épisode « de la tempête de janvier » (1967) par lequel les rebelles de Shanghai se débarrassèrent du vieil appareil bureaucratique, qualifié de « bureaucratie dégénérée », en place depuis 1949. Le pouvoir résistait de son mieux, notamment en immobilisant dans la campagne les trains qui devaient acheminer des milliers de travailleurs rebelles à Pékin. Le 5 février, plus d'un million de personnes acclamaient sur la Place du Peuple la fondation de la commune de Shanghai. Celle-ci adoptait pour doctrine la formule « trois en un » déclarant ainsi reposer sur la triple alliance des travailleurs rebelles, des cadres révolutionnaires et de l'armée. Toutefois, pour garantir le contrôle par les masses populaires, la représentation des rebelles dans les instances responsables n'était jamais inférieure à 50%. Le pouvoir insurrectionnel avait établi son siège dans un immeuble de Waitan.
Mais dès le 22, les adversaires de la Commune tenaient à leur tour un ample meeting au même lieu et, peu après, (26 février) Mao Zedong, en butte aux réticences de certains de ses ministres et de ses généraux et craignant de perdre le contrôle de l'armée, recommandait l'abandon du terme de Commune. Celle-ci cédait la place à un Comité révolutionnaire qui poursuivit son œuvre pendant un temps avec les mêmes dirigeants mais abandonna progressivement la plupart de ses objectifs et fut finalement démantelé en 1979.
Dans sa conclusion, qui est très détaillée, (pp. 233-272) l'auteur reprend, tout en les contestant parfois, les thèses de Badiou sur les paradigmes et s'applique à démontrer que la commune de Shanghai était bien inspirée par la Commune de Paris de 1871 mais qu'en dépit de cette filiation, elle ne lui ressemble que d'assez loin. On sait qu’en 1871, la Chine populaire célébra avec éclat le centenaire de la Commune de Paris. S'il est bien acquis que, comme l'a vu Marx, l'histoire de ne se répète que sous la forme du carnaval ou de la dérision, l'on ne saurait voir une grande analogie entre les deux mouvements. La commune de 1871 avait mis en place un véritable gouvernement et promulgué une législation ouvrière. Dans ses adresses au Conseil général, Marx mettait par ailleurs les communards internationalistes en garde contre les chimères de certains dirigeants intellectuels romantiques, membres de la bohème littéraire tels que Cluseret, Vallès, La Cécilia et Paschal Grousset. Et il nous paraît difficile de voir (comme le fait Mme Perry p. 54) un quelconque lien entre la Révolution culturelle chinoise (et en particulier la Commune de Shanghai) et le mouvement parisien de mai 68 qui était avant tout une émotion estudiantine, sans idéologie précise, sinon un rejet des comportements sociaux hérités de la petite bourgeoisie, un immense carnaval caractérisé par un grand dilettantisme, et à peu près aucune participation des travailleurs.
Grand admirateur de Mao Zedong, auquel il rappelle (p. 282) sa dette de reconnaissance et celle de sa famille, Honsheng Jiang dénonce comme il se doit, les cliques révisionnistes krouchtcheviennes, brosse comme il était à prévoir, un tableau catastrophique de la situation présente de la Chine et s'étend sur les méfaits des dirigeants révisionnistes qui, depuis la prise de pouvoir par Deng Xiaoping (1979) et le procès de la " Bande des quatre ", ont présidé à ses destinées « dans l'esprit de la critique de Lin Biao et de Confucius » (pour reprendre le langage rituel) : près de 60 millions de paysans dépossédés de leurs terres, un nombre à peu près équivalent d'ouvriers réduits au chômage, des dizaines de millions de prostituées.
Fût-il involontaire, l'humour ne perd jamais ses droits même dans un sujet qui n'est pas spécialement frivole : c'est ainsi que nous apprenons dans la chronologie p. 283, qu'en 1966, le Président Mao a salué une proclamation comme : " La déclaration de la Commune de Paris chinoise dans les années 60 du vingtième siècle ". La commune de Paris chinoise ?! Ceci nous remémore un camarade d'école venu d'outre-Manche qui nous disait jadis avoir étudié l'histoire de France d'Angleterre…
L'ouvrage est pourvu d'une riche bibliographie, presqu'exclusivement en anglais. Rappelons toutefois (p. 312) que le livre Le Langage perdu, et non le language (anglicisme !) perdu, a pour auteur Jean Duvignaud et non Jules Duvignaud.
Les historiens intéressés par la Révolution culturelle chinoise trouveront d'intéressantes informations dans cet ouvrage solidement documenté mais très partisan et d'une lecture trop souvent ardue, tant en raison de l'intrication des évènements que de la terminologie ésotérique employée par l'auteur...
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