Chronique d'un lieu de pensée : Fonds Saint Jacques, Martinique

Auteur Jean Benoist
Editeur Ibis rouge
Date 2015
Pages 207
Sujets Fonds Saint-Jacques , Sainte-Marie, Martinique Histoire
Cote 60.387
Recension rédigée par Jean Martin


On sait que 1968 fut une année marquante en bien des pays. Le Québec, déjà bien engagé dans sa Révolution tranquille, s'ouvrait au monde et faisait ses premiers pas sur la scène internationale du moins dans l'espace culturel francophone. L'université de Montréal,  au sein de laquelle de nombreux chercheurs s'intéressaient de longue date aux études francophones et aux parlers créoles décida en cette année-là d'ouvrir un centre aux Antilles françaises. Le choix du centre de recherches caraïbes de l'université se porta sur la Martinique où l'ancien monastère de Fonds Saint Jacques, propriété départementale sur la commune de Sainte Marie (arrondissement de Trinité). Le célèbre Père Labat avait jadis vécu en ce lieu et y avait fondé un moulin à sucre dont il ne subsistait guère que des ruines ou quelques masures en piètre état occupés par des squatters.

Dès l'année précédente, Jean Benoist, auteur de la présente étude, qui était alors professeur d'anthropologie à l'Université de Montréal après avoir été, de 1956 à 1960, médecin et chef de laboratoire à l'Institut Pasteur de Fort de France, avait été séduit par ce site. Certains de ses travaux, notamment son étude sur les Kirdi au bord du monde, lui avaient déjà acquis une notoriété certaine. Il avait suggéré au doyen de la Faculté des Lettres de Montréal de fonder en ce lieu une base de recherches du département d'anthropologie. Il était déjà entré en relations avec les autorités locales  et avait reçu des réponses favorables.  Son projet rencontra l'approbation enthousiaste du Doyen Philippe Garrigue : il fallut encore le soumettre à diverses personnalités dont le secrétaire général de la Préfecture Claude Silberzahn et l'ingénieur Jacques Petitjean-Roger. Notons qu'il n'était plus question de base, mais de centre d'études.  Partout l'accueil fut favorable et finalement, le vice-recteur de l'Université de Montréal, le philosophe Paul Lacoste, vint lui-même examiner l'état des lieux. Dans une université encore largement engoncée dans les modes de pensée hérités du thomisme, Lacoste, ancien avocat, faisait figure d'esprit affranchi. Il parvint à franchir les derniers obstacles administratifs.

Sous la forme d'une chronique, nous serions presque tenté de dire un journal, un recueil de notes, (qui gagneraient à être numérotées),   Jean Benoist retrace ainsi la genèse du centre de Fonds Saint Jacques. La première lettre est datée du 13 mai 1968. On lira avec intérêt p. 42 une relation d'un bref voyage à Saint Barth' (24 mai) où il s'intéressait au dépouillement des archives paroissiales afin d'étudier la génétique de la population de cette île. La consanguinité était alors répandue  (comme dans beaucoup de petites îles) et il s'interroge sur l'origine d'assez nombreux cas de surdité (ce thème reparait p.160).  Nous le voyons de même s'intéresser à Marie-Galante et à l'émigration des Marie-Galantais vers Pointe à Pitre. (25 juin p.45) Il séjourna aussi en Guyane, étudiant la riziculture pratiquée par une petite communauté de Javanais musulmans venus du Surinam. Il se rend également dans ce dernier territoire.       

Cinq chapitres (6 à 10) pp. 197 à 281, sont consacrés à ce que l'auteur appelle les "années intenses" (1969 à 1978), celles qui ont vu le centre fonctionner à plein régime, ou presque. Il y a beaucoup à apprendre de cette lecture qui nous fait assister à l'aménagement progressif du Centre sous la supervision d'un résident québécois. Ce dernier, représentant sur place de la direction de Montréal, avait une tâche lourde : il devait veiller à l'entretien des locaux, à l'exécution des travaux et faire face à de nombreuses sollicitations.

Nous assistons à l'accession du Centre à la notoriété internationale : la création de l'AUPELF lui procure de très utiles contacts à travers le monde et quelques subsides de même que celle du FICU (Fonds International de coopération universitaire), organisme québécois crée en 1970 tandis que l'université de Bordeaux lui envoie des chercheurs en géographie tropicale appartenant aux équipes de Guy Lasserre.

Au cours de l'année 1975, le Centre, désormais bien lancé sur ses rails, accueillit des visiteurs illustres, tels que le Recteur Robert Mallet, écrivain connu et futur président de l'AUPELF, les ministres Michel Guy et  Olivier Stirn.  Des écrivains antillais, Césaire et bien d'autres passèrent à Fonds Saint Jacques.

Comme beaucoup d'intellectuels aventurés dans des milieux d'outre-mer notre auteur a eu à faire face aux sollicitations mondaines : nous avons apprécié la description non dénuée d'humour p. 160 d'un diner à Saint Barth' en compagnie d'un groupe de notabilités (dont la princesse Napoléon) de passage dans l'île à bord d'un navire de plaisance. Le décousu, voire l'incohérence des propos évoquent irrésistiblement, pour l'auteur, la pièce de Claudel,  "Conversations dans le Loir et Cher". (p.119).

En novembre 1979, Jean Benoist quitta la direction du Centre et fut, l'année suivante, nommé professeur à Aix. Il se tourna dès lors vers d'autres domaines de recherche, notamment les sociétés créoles de l'océan Indien.

Fonds Saint Jacques périclitait : la création d'une université des Antilles-Guyane lui faisait sans doute quelque ombrage. Un cyclone dévasta les lieux. L'université de Montréal fit procéder à des travaux de remise en état mais elle se montrait de plus en plus réticente à financer l'entretien de cette institution, qu'elle jugeait sans doute par trop onéreux, si bien que le bail (auprès du Conseil Général) ne fut pas renouvelé. La bibliothèque fut donnée à l'Université des Antilles-Guyane. L'auteur observe que les étudiants et chercheurs antillais se trouvaient mal à l'aise en ce lieu qui leur rappelait trop les grandes habitations des temps de l'esclavage…

Après douze années d'existence, le Centre de Fonds Saint Jacques a vécu et l'auteur n'évoque pas ce passé sans quelque nostalgie. Une association de gestion de l'habitation Fonds Saint Jacques, en charge des lieux depuis 1982, en a fait un Centre Culturel  de Rencontre qui a reçu de fortes dotations financières sous l'égide du Centre des Cultures et des Arts de la Caraïbe. Un ambitieux programme lui a été assigné à propos duquel Jean Benoist semble quelque peu sceptique. Mais en attendant, et comme il se doit, du personnel a été recruté[2]…  

Un index complète heureusement cette étude[3].

Fonds Saint Jacques qui offrit des possibilités de rencontre à des chercheurs de disciplines diverses, fut sans doute, selon le mot final aux accents barrésiens, de Jean
Benoist : un lieu où souffle l'esprit. (p.197). Mais ne peut-on le dire de tant d'autres institutions ?                                                                                                                       



[2] Six personnes dont une directrice, une secrétaire générale, une chargée d'accueil et trois agents d'entretien….

[3] Rappelons toutefois à l'auteur  (p. 159) que les gens n'adorent pas les reliques dans les chapelles. Ils les vénèrent.