La dérive du continent africain

            Voici un ouvrage non seulement composite mais déroutant et grinçant. Militaire devenu entrepreneur, l’auteur, qui a continué de sillonner l’Afrique, s’est finalement décidé à dresser de ce continent un bilan très personnel et plutôt expéditif. En quatrième de couverture, bien en phase avec l’ensemble de sa collection “ Vérités pour l’histoire ”, sa maison d’édition affirme d’emblée que “ La France n’a pas à rougir de son passé colonial ” et nous  promet “ une analyse objective de ce continent qui s’éveille et qui surprendra ”. Si c’est de l’analyse qu’il s’agit, surprenante, elle l’est assurément mais il faut aussi en examiner de plus près l’objectivité.

            L’auteur ouvre son premier chapitre sur un survol très dépréciatif tant de la préhistoire africaine que des grands empires d’autrefois, survol parfois si léger qu’il pourrait se situer entre Bernard Lugan et Wikipedia. Puis il énumère une par une (hors Maghreb) nos belles colonies gommées des programmes scolaires “ par les assauts répétés de repentance des prétendus ” avant de rappeler toutes les “ explorations notables ” qui ont préparé et permis l’installation des Européens dans une Afrique primitive et attardée mais, bientôt et pour son bonheur, découpée en 1885 à la Conférence de Berlin.

            Suit (mais au chapitre III, on verra pourquoi) l’énumération toujours plus ou moins rapide et documentée de ces mêmes colonies françaises jusqu’aux indépendances, en insistant sur les réalisations, surtout économiques, plus coûteuses que rentables pour la métropole, et partout indiscutablement positives, sauf ici et là les sabotages imputés aux  communistes, aux Francs Maçons et autres Sékou Touré ou Ruben Um Nyobé. Le tout sous une avalanche de statistiques devenues invérifiables après si longtemps et des affirmations erronées sur plusieurs points comme, par exemple, l’évolution de l’Ecole coloniale devenue ENFOM.

             Conçu de la même façon, le chapitre IV reprend une troisième fois  l’évolution politique et économique de ces pays depuis les indépendances, énumérant avec une certaine délectation les coups d’état, les troubles, les guerres civiles, les famines, la corruption, les enfants soldats, les explosions démographiques et les turpitudes de présidents inébranlables ou éphémères, Senghor et Abdou Diouf inclus. Dans la foulée, aucune occasion n’est ratée de blâmer la France pour l’aberration, le coût et les incohérences de sa politique de coopération, ses multiples complaisances pour les chefs d’état du pré carré, la pléthore de ses assistants techniques et les divers scandales de la Françafrique.

            Certes, mis à part le Sénégal, il n’est pas une seule de nos belles colonies d’autrefois qui n’ait connu, depuis cinquante ans, les coups d’état à répétition, les régimes de rigueur, les guerres, les émeutes ou les famines. Mais il faut déjà prendre les récits trop insistants et plus ou moins chiffrés de l’auteur avec beaucoup de méfiance. Il accumule en effet erreurs, confusions ou lacunes de toutes sortes, si l’on en juge déjà par le chapitre qu’il consacre au Togo (p. 362-367), ou encore affecte à chaque pays ou presque des statistiques plus ou moins extravagantes et invérifiables comme, par exemple, le taux des explosions démographiques ou celui des populations vivant en bidonvilles : de 38% au Sénégal à 82% au Niger et ... 94% en Centrafrique ! Evidemment, à ce compte-là, l’Afrique, à n’être exclusivement évoquée que par ses multiples épreuves plus ou moins correctement chiffrées, est effectivement en dérive aggravée. Mais l’auteur, parce qu’il a conçu son ouvrage dans cette seule optique, reste délibérément aveugle aux autres réalités du continent dont nous savons bien pourtant qu’elles annoncent, déjà et malgré tout, un avenir puissant et spectaculaire.  On ne peut donc que regretter et désapprouver son propos développé avec autant d’assurance et d’archaïque conviction.

            On allait oublier son chapitre II inséré dans son propos général en trois époques. Il y révèle en effet, à un siècle d’intervalle, l’énergie et les convictions coloniales de son grand-père, l’enseigne de vaisseau Henri de Parseval (1874-1930) en publiant  le long récit (encore inédit) des deux missions effectuées par celui-ci en 1903-1905 en Afrique centrale. Prouesse technique  qui a  permis d’amener en 1903 de Kinshasa au bassin du Tchad le vapeur  “ Jacques d’Uzès“ découpé quand nécessaire en sept tranches pour lui faire franchir forêts et montagnes. Mais contexte particulier puisqu’à l’époque, l’ensemble Congo-Oubangui-Tchad est encore embryonnaire, sous-équipé, à peine structuré, et que notre officier de marine y a côtoyé sans tendresse ni douceur des Nègres nus et sauvages, et sans complaisance des compatriotes héros ou forbans dont il dénonce, le cas échéant, les turpitudes, même s’il s’agit de Largeau ou de Brazza. Le petit-fils a donc de qui tenir et voulait nous le montrer.