Jean de Léry ou L'invention du sauvage : essai sur l'Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil

            Franck Lestringant a donné en 1994 le texte de Jean de Léry « Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil » qui en est actuellement à sa 4^e édition. L’auteur donne ici une troisième édition de son « Essai » sur le texte de Léry, qui est une mise à jour et un complément avec deux chapitres et des index, sous le titre « Jean de Léry ou l’invention du sauvage ».

            Il y rappelle combien la géographie de la Renaissance, cet âge des découvertes, reste tributaire des connaissances classiques, depuis l’Antiquité, sans cesse répétées jusque dans la cartographie. Le palimpseste ne rend que plus percutantes les « inventions » de l’expérience, celle des nouveaux voyageurs, dans de nouveaux mondes.

         L’œuvre de Jean de Léry reste tendue entre deux pôles qui paraissent contradictoires chez l’auteur ; car celui-ci est à la fois et tour à tour théologien réformé et témoin fasciné par un paradis perdu. Le calviniste condamne ces Indiens, privés de l’écriture par laquelle passe le salut de la révélation divine, et dont les moeurs perdues, avec l’anthropophagie indicible, témoignent de la déchéance de l’humaine nature ; mais ses coreligionnaires chrétiens, oublieux de l’alliance, ne sont pas épargnés par le jugement. En même temps, le voyageur témoin se fait curieux et comme complice, dans ses descriptions, de ce monde sauvage. Le prédicant austère aperçoit l’Éden perdu par la chute.

          Léry pose déjà les linéaments de ce qui sera, improprement sans doute, appelé « Le bon sauvage » par rapport au civilisé corrompu : voir le vieillard Tahitien de Diderot dans son « Supplément au voyage de Bougainville ».

          Les analyses de Lestringant oscillent avec érudition et finesse entre ces deux pôles d’une œuvre riche, dont cette édition réactualise le commentaire. Il donne une biographie de Jean de Léry, dont le parallèle est à faire avec Léon l’Africain, lorsque cette « Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil » apparaît comme fondatrice pour l’ethnologie, jusqu’à
Lévi-Strauss, dans le contexte de l’affrontement entre catholiques et réformés, au temps des guerres de religion.

            L’exotisme est au plus profond de nous-mêmes.