La steppe musicienne : analyse et modélisation du patrimoine musical turcique

Recension rédigée par Élisabeth Dufourcq


            Publié en 2014 aux éditions Vrin, avec l’aide du Conseil national des sciences sociales et des humanités du Canada, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, de Société française d’ethnomusicologie et du Centre National du Livre, l’ouvrage de Frédéric Léotar est un livre scientifique avec une préface qui, sous la plume du grand musicologue Jean-Jacques Nattiez, en annonce le caractère pionnier, la richesse et la fécondité.

            L’originalité de ce livre ne tient pas seulement à la nouveauté et la rareté d’un corpus patiemment recueilli et intelligemment étudié - celui des mélodies chantées et transmises dans les différentes familles semi-nomades de l’Asie intérieure turcique et de ses voisins
immédiats - mais aussi à la nouveauté de méthodes d’analyse qui tiennent compte des progrès accomplis récemment dans le domaine de l’ethnomusicologie et qui les enrichissent très significativement.

            Dans cet univers de steppes où les troupeaux et les humains qui les ont domestiqués sont chaque jour dépendants de la nature, les familles d’éleveurs ont développé un sens de l’écoute et de l’imitation musicale des sons de la nature par des mélodies à thèmes, à sous thèmes et même à ' cellules mélodiques ' dont la combinaison accède au statut de véritable langage et dont l’efficacité poïétique conditionne la vie de tous les jours.

            Ainsi, par l’évocation rendue captivante par sa qualité littéraire puis par l’analyse savante de mélodies Léotar démontre que bien au-delà de toute transcription textuelle, la transmission orale, accède à un sens qui confère à la vie domestique un caractère de liturgie essentielle à la vie du groupe. Avec une grande subtilité doublée de vastes connaissances, il décrypte les jeux alternés de la mémoire à court et à long terme qui utilisent tour à tour des composantes générales et des improvisations locales. Berceuses, chansons à tisser les étoffes ou à traire les troupeaux, mélodies faites pour exprimer des lamentations de noces ou de deuil, pour encourager les sympathies ou les amours, onomatopées servant à chasser l’intrus étranger ou esprit, retrouvent ainsi toute leur force culturelle et même civilisatrice

            Au total, Frédéric Léotar, ethnologue de terrain doublé d’un musicologue averti présente ici un livre qui mériterait de faire date, étayé par une bibliographie précieuse et servi par un travail d’édition de grande qualité. Ceci, d’autant plus qu’il explore, à contre-courant des théories de la transmission qui deviennent dominantes actuellement, telles celles de Claude Shannon (1916-2001) qui sont commandées par le souci de froide « rentabilité informative », visent à compacter le plus possible et normaliser toutes les informations pour supprimer tout « bruit », y compris les formules de bienvenue ou de sympathie, pour parvenir à une efficacité humainement appauvrie mais numériquement maximale.                                                                                              

 



 
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