Auteur | sous la direction de Patrice Guineffey et Thierry Lentz |
Editeur | Le Figaro Histoire , Perrin |
Date | 2016 |
Pages | 474 |
Sujets | Grandes puissances Histoire Colonies Histoire Histoire universelle |
Cote | 60.707 |
Spécialistes reconnus, entre autres, de la Révolution, du 1er Empire et de son créateur Napoléon Bonaparte, les deux codirecteurs, lorsqu’on évoque « la fin des Empires », savent comment s’est effondré celui issu de notre Révolution. Car il fut vaste mais éphémère, à peine une grande décennie. Mais parler de « la fin » laisse entendre que par définition, les empires, tous les empires, sont nécessairement mortels.
En d’autres circonstances et à propos d’un sujet encore plus vaste que les Empires, qui ne connaît au moins de Paul Valéry sa phrase sans doute la plus célèbre, « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » ?
D’entrée de jeu, les codirecteurs, dans leur préface, placent leur ouvrage sous le parrainage de Jean-Baptiste Duroselle, dont un ouvrage encore récent s’intitule Tout empire périra – Théorie des relations internationales. Cependant, ladite préface s’intitule « L’éternel retour », d’où l’on infère, nécessairement, que si l’empire a inévitablement une fin, il a aussi une naissance, une vie, un déclin. Le lecteur alléché suppose donc que si l’empire défunt ne peut ressusciter, d’autres apparaîtront puis disparaîtront à leur tour. En d’autres termes,
au-delà de la multiplicité des manifestations d’impérialisme, ils ont un constituant majeur commun : la nécessaire « fin ». Cela justifie-t-il une qualification généralisatrice et globalisante marquant une caractéristique commune à tout ce que l’on peut qualifier du terme « Empire » ? Il vaut la peine de répondre à cette question, par conséquent de rentrer dans le vif du sujet en parcourant l’ouvrage.
En vingt chapitres, nous irons de l’empire d’Alexandre à l’hypothétique déclin de « l’Empire américain » (avec un point d’interrogation) en passant par des empires divers, les uns de fort courtes durées mais ayant marqué durablement leur époque (l’empire napoléonien), les autres plusieurs fois centenaires sinon millénaires mais morts de langueur (le Saint-Empire) ou dans le sang et la fureur après avoir, comme acteurs, depuis longtemps disparu, de la « géopolitique » de leur époque (Byzance).
On ne peut tous les citer ici mais on trouvera entre autres, dans cet ambitieux ouvrage, l’empire romain, la Perse sassanide, un empire chinois à neuf vies, un éphémère empire aztèque…et, car ils furent des empires, « le reflux de l’Empire britannique » et « la tragédie de l’empire colonial français ». La différence de ton entre ces deux derniers titres frappe et interroge, on y reviendra.
Le lecteur qui n’a point oublié l’histoire qu’on lui enseigna au lycée, éventuellement à l’université ou qui, au long de sa vie, s’est piqué de curiosité pour les livres d’histoire, restera tout d’abord perplexe devant les inévitables raccourcis que suppose un survol aussi dense de périodes, de territoires et d’organisations politiques, administratives, culturelles a priori sans modèle commun, autre que leur nécessaire fin.
En bonne méthodologie de direction d’un ouvrage à vingt voix et autant de chapitres, les deux codirecteurs précisent dans leur préface leurs ambitions collectives : « De l’un à l’autre de ces empires, les différences l’emportent trop sur les similitudes pour en déduire un système qui rendrait compte du destin de chacun. Comme les êtres humains, ils se ressemblent avant tout par leur fin. Hors ce dépérissement commun, on trouverait difficilement matière à une définition suffisamment précise pour voir en eux autant de rejetons d’une même famille. » Ils proposent donc de considérer comme « empires » des entités qui ont de leur temps dominé d’autres entités pré existantes, États, peuples, cultures, étant entendu, semble-t-il, que ces structures antérieures mais impérialement soumises pouvaient être de nature politique ou seulement ethnique, de culture commune ou encore religieuse. Étant également entendu que ces « entités impériales », si le plus souvent elles ont une dimension territoriale, peuvent également reposer sur d’autres bases (« l’empire américain » en étant l’un des exemples les plus contemporains et les plus significatifs).
Ces empires diffèrent aussi par leurs statuts institutionnels : ils peuvent être centralisateurs, visant à l’unité politique et administrative (les empires romains et napoléoniens), confédérateurs (l’empire aztèque), complexes et composites (l’empire ottoman). Leur « légitimité » repose tantôt sur la volonté de détruire un autre ou plusieurs autres empires (Alexandre), tantôt sur une revendication de civilisation ou de religion (l’empire romain encore, les empires arabes des premiers temps, les empires coloniaux européens, d’une certaine façon l’empire russe puis soviétique).
Bien que la « Fin » soit la marque commune à ces empires si divers, justifiant à la fois le titre et le concept explicite qu’il recouvre, ses modalités sont tout aussi diverses. Ils meurent de langueur (l’empire byzantin), de problèmes de succession (l’empire de Charlemagne), de défaites militaires (l’empire napoléonien, l’empire austro-hongrois, le troisième Reich nazi), de querelles religieuses ou claniques (les empires arabes). Ils laissent éventuellement des héritages marquants, voire fondamentaux, sociaux, économiques, culturels (l’empire napoléonien, l’empire romain). Ou ils disparaissent, absorbés par leurs conquêtes (l’empire mongol, le plus vaste de tous les temps et l’un des plus éphémères) ou par leurs conquérants (l’empire aztèque absorbé par un empire bientôt bien plus vaste). Ou, encore, bâtis pour « mille ans », ils disparaissent dans le sang et la fureur sans laisser de traces autres que la mémoire de leurs crimes (le troisième Reich nazi, le Japon militariste et conquérant des années 1900 à 1945) et des palliatifs trouvés par les vainqueurs pour éviter toute résurrection (procès de Nuremberg, les deux premières « atomisations » d’êtres humains, la charte des Nations Unies…). Palliatifs qui ne peuvent en fait être généralisés, la longue histoire du rideau de fer et du goulag, purs produits du dernier avatar de l’empire russe devenu une URSS hiérarchisée le montre.
On relèvera au passage que parmi les nombreuses catégories d’empires sous revue, l’empire japonais n’apparaît qu’en fonction de sa période moderne (Meiji) puis expansionniste, celui des conquêtes territoriales (Corée, Mandchourie, puis Chine et Asie du Sud-est), soit sur la fin l’ère dite de « co-prospérité ». Il s’agit pourtant d’un empire antique et toujours d’actualité en la personne d’un empereur à la fois effacé mais symbole fort de la nation. Il serait intéressant de reprendre la catégorisation proposée conduisant à une fin programmée en mentionnant ce cas comme l’une des modalités de la « Fin ».
Certaines des contributions sont strictement « évènementielles » (le chapitre consacré aux « cinquante-cinq jours de Constantinople, 1453 »), plus souvent à la fois « évènementielles » et « explicatives ». Par « évènementiel », nous entendons la bonne ou la très bonne chronique des évènements qui ont conduit à la fin, par « explicatif » les raisons proposées à l’aboutissement final, contradictions internes, apparition de compétiteurs, querelles « existentielles » ou dynastiques, économies mal fondées ou devenues inadaptées…
Aucune de ces contributions n’est inintéressante, bien au contraire. Il y a un certain tour de force à résumer en peu de pages des ères historiques qui par ailleurs ont donné lieu à d’innombrables et incontournables ouvrages bien plus approfondis. Aucun de ces « résumés » n’est critiquable en soi, pour autant que le rédacteur de la présente note ait gardé bonne mémoire d’un certain nombre de ces « incontournables ».
Une seule interrogation précise cependant, avant des interrogations plus fondamentales. Elle a été évoquée ci-dessus : est-il raisonnable de dire, dès leur titre, que la fin de l’empire colonial britannique aurait été « un reflux qui va de la puissance à l’influence » alors que la fin de l’empire colonial français serait une « tragédie » ? C’est oublier que la fin du premier n’a pas été de tout repos, encore moins de toute erreur (les
Mau-Mau au Kenya, la partition sanglante, selon les estimations de l’ordre d’un million de morts et de huit millions de réfugiés, entre l’Inde et le Pakistan, non voulue au départ par Lord Mountbatten, l’expédition franco-anglaise de 1956 sur le canal de Suez).
Certes, les Britanniques ont compris plus tôt que les Français les changements du monde d’après-guerre. Ils étaient, de loin, moins institutionnellement et moins politiquement centralisateurs. Une fort grande étendue de leur empire était de population européenne, ce qui les avait conduits depuis longtemps à créer un Commonwealth d’abord fermé aux autres « colonisés ». Nous n’irons pas plus loin dans l’analyse critique de cette contribution, intéressante à lire mais appelant à discussion, ce qui en général et ici en particulier est un gage de qualité.
Certes encore, les Français ont compris moins vite et ont tardé – il s’agit d’un euphémisme – à s’adapter au monde de l’après-guerre et l’on ne peut nier que la décolonisation ait été dramatique, tant pour les peuples en voie de décolonisation que pour les Français sur place et en métropole, tout particulièrement en Indochine et en Algérie. Malgré de nombreux signaux « avertisseurs » (les difficultés et les rébellions certes limitées en Afrique Noire, à l’exception du Cameroun et de son mouvement UPC, les évènements de Sétif le 8 mai 1945, l’échec des négociations de Fontainebleau avec Ho-Chi-Minh, la rébellion malgache de 1947…) la France a cru pouvoir maintenir son influence à travers un montage institutionnel et constitutionnel de type « Union française » puis « Communauté franco-africaine », dans lequel elle s’instituait Primus inter pares, typique paravent de bien des politiques impériales d’antan et de naguère.
Cette incidente sur les deux chapitres consacrés à la fin des empires coloniaux modernes de l’Angleterre ne constitue en aucun cas une critique de fond sur leur contenu. Elle illustre le genre de réflexions que leur lecture suscite. On notera cependant qu’au-delà des réflexions du lecteur, ces chapitres évitent les prises de position idéologiques et se gardent d’encenser ou de condamner. Dans les discussions menées ici et là depuis deux ou trois décennies, cette relative neutralité doit être saluée comme une qualité de rigueur intellectuelle et scientifique.
Les interrogations plus fondamentales : les deux codirecteurs n’ont pas caché, dans leur préface, les incertitudes qui pèsent sur la notion d’ « Empire ». Le seul point commun, mis à part leur nécessaire et inévitable « fin », semble être d’avoir voulu et su s’imposer à d’autres structures plus élémentaires, ethnies, royaumes pré existants, féodalités. Et de leur avoir imposé, souvent dans le sang et la fureur, une coexistence le plus souvent contrainte et parfois paisible.
On se demande alors si à la notion d’Empire, définie à travers un seul critère, « Tout empire périra », il ne conviendrait pas plutôt d’approfondir les mécanismes qui permettent la constitution de telles entités. Soit un « impérialisme », à définir évidemment en fonction des périodes considérées.
Si l’empire doit périr, il y a sans doute une raison fondamentale à la mort annoncée. Cela est clair pour les empires qui se sont constitués trop vite (l’empire d’Alexandre, celui de Napoléon, celui encore de Gengis Khan) et qui, faute de temps et d’objectifs à long terme, souvent même de difficultés matérielles et de communications n’ont pu asseoir dans la durée leur autorité.
Les choses sont plus compliquées lorsque l’empire a su se développer dans la durée. Tout d’abord, à titre d’exemple, l’empire romain : faut-il le faire remonter aux premiers rois sabins ou étrusques de Rome, à Auguste ? Faut-il lui accorder une durée remontant à la fondation de la Ville et allant au Saint Empire ou au Constantinople de Justinien, soit un très grand millénaire ? Ou, plus strictement et plus rigoureusement d’Auguste à la prise et au sac de Rome en 410 par les Wisigoths ou à l’abdication du dernier empereur de l’empire d’Occident en 476, soit quatre à cinq siècles ?
Que dire encore des « neuf vies de l’Empire chinois » ? Formellement, cet empire est mort en 1911. Mais à combien de siècles ou de millénaires remontait-il puisque l’auteure du chapitre lui attribue « neuf vies » ? Et la Chine d’aujourd’hui est-elle exempte de certaines formes d’impérialisme, en tout cas de volonté de puissance « impériale » mais bien plus subtile que la simple domination territoriale ?
D’autre part, Paul Valéry affirmait le caractère mortel des civilisations mais ce, en fonction d’un traumatisme majeur, la querelle belliqueuse des impérialismes occidentaux de la première guerre mondiale, qui lui paraissait avoir mis fin à la substance même de notre civilisation.
Souligner aujourd’hui le caractère non moins mortel, quasiment génétique, des empires, appelle d’autres questions fondamentales. Par exemple, qu’en est-il de l’organisation du monde en États souverains et seuls habilités à participer aux divers forums et organismes qui régulent la vie politique, économique, sanitaire, agricole etc. du monde. Si en Occident ces États sont peu ou prou également des nations, l’on constate qu’ailleurs (affirmation simpliste qui mériterait une analyse plus approfondie), dans bien des cas, ils contribuent à les faire apparaître. Mais ces États, ces nations, ne sont-ils pas eux-mêmes des entités résultant d’une évolution géopolitique relativement récente et représentent-elles le dernier mot de toutes les civilisations, à tout le moins de toutes les structures politiques possibles ? Ou, comme d’autres entités telles les empires, sont-elles elles-mêmes inévitablement mortelles ? Certains aspects et non des moindres de ce qu’il est convenu d’appeler « la globalisation » du monde, à travers les moyens de communication, les échanges économiques, financiers etc. n’appelleront-ils pas, dans un avenir pour le moment imprévisible, d’autres formes d’organisation ou plus crument d’impérialisme.
Le lecteur intéressé par cet ouvrage ne pourra sans doute pas adhérer à toutes les explications données dans l’ouvrage à la nécessaire fin des empires. Il en relèvera la qualité (à ce propos, l’appareil critique constitue un bon échantillon des références notamment bibliographiques sur des sujets abondamment traités depuis des siècles).
En d’autres termes, un ouvrage de référence et de bonnes synthèses qui, comme on l’a vu, plutôt que destiné à apprendre, appelle à de nombreuses questions. On lit et dans le même temps on s’interroge et on regrette de ne pouvoir en débattre avec les contributeurs notamment.
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