Tropique de la violence : roman

Recension rédigée par Jean Nemo


            Roman à cinq voix qui se succèdent et s’entrecroisent en courts chapitres. Voix blanches, comoriennes, d’errants arrivés par les « kwasa-kwasa » des Comores voisines ou de plus loin, de paumés, féminines, masculines, adolescentes, ultramarines, les balbutiements du bébé noir mais au regard bicolore des yeux du djinn, dont la mère ne veut plus parce qu’il porte de ce fait malheur et que Marie, l’infirmière métropolitaine sans enfant, adopte irrégulièrement, sans bien y réfléchir et prénomme… Moïse. Voix d’Olivier le flic, de Stéphane l’humanitaire… Les unes, celles des trois principaux acteurs, plus fréquentes que les autres, plus confinées dans leur rôle de témoins.

            Voix de Gaza, pas la palestinienne, mais un faubourg de Mamoudzou. Voix de Bruce, enfant chef de bande, bientôt assassiné par le bébé Moïse devenu à son tour jeune adolescent et qui, révolté comme on l’est à son âge, ne veut plus de « cette vie de Blanc ». Ce qui le conduit à la rixe mortelle. Puis à la mise à l’abri en prison par des autorités soucieuses d’éviter la vengeance par les séides du mort, avant qu’il ne s’échappe et retourne à la mer et probablement ne s’y noie puisqu’il nage. « Je plonge dans la rade de Mamoudzou, je fends l’océan de tout mon corps souple, mon corps vivant, et je ne remonte pas ». Tels sont les derniers mots du roman.

            Le milieu : celui des enfants abandonnés parce que leurs parents clandestinement immigrés mais expulsés par la PAF veulent laisser une chance à leur progéniture et préfèrent l’abandonner plutôt que de la réembarquer, espérant sans doute la retrouver lors d’un prochain retour tout aussi clandestin. Telle semble être l’explication de ces bandes violentes d’enfants dormant à la belle étoile, se livrant à toutes sortes de trafics et déjà consommateurs de drogues diverses

            L’auteure, mauricienne d’origine, journaliste pour ses premières armes dans son pays, créolophone mais aussi francophone, vit en France depuis 1998, elle a déjà publié, outre de nombreux articles, plusieurs romans qui ont connu le succès.

            Dans quelques entretiens, elle a contesté toute similitude entre les diverses sociétés de l’Océan Indien, qui aurait pu lui rendre familière celle des Comores en général et plus particulièrement de Mayotte. Mais elle y a vécu deux ans pour suivre son mari dans son affectation, elle y est retournée, lorsqu’elle a commencé son roman, « avec un carnet et un crayon » pour « regarder et valider un imaginaire ». Partie avec un monologue en ébauche, elle est revenue avec les cinq voix. Enrichissement bienvenu et réussi. Il est vrai que son style est remarquable, riche et chatoyant, fort poétique, sans faux-semblant de « petit nègre », la violence sait s’exprimer de belle et pure façon.

            Le lecteur attentif et suffisamment informé de la situation toute particulière de ce
cent-unième département français peut s’interroger en voyant le titre, avant d’ouvrir le livre, sur son caractère : s’agirait-il d’un « roman à thèse » ou plus simplement de « dénonciation » ? Comme Nathacha Appanah l’a dit dans un entretien au « Monde » en 2016, « Si la politique, c’est le quotidien des gens, le point de vue des non puissants, alors oui, c’est un livre politique. ». Mais reconnaissons d’abord que ce roman à cinq voix riches et introspectives est d’abord de l’excellente littérature. Et le lecteur qui en est amateur ne perdra pas son temps en le lisant, voire ne le fermera pas avant d’achever sa lecture.                                                                                                                   

 



 
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