Auteur | Hervé Bourges ; dessins d'Alain Bouldouyre |
Editeur | Plon |
Date | 2017 |
Pages | 866 |
Sujets | Afrique Dictionnaires |
Cote | 61.528 |
Cet abécédaire illustré du célèbre homme des médias qui commença sa carrière à Témoignage chrétien en 1956, une revue ouvertement engagée du côté de l’Algérie en quête d’indépendance, rapporte des quatre coins du continent une mosaïque d'anecdotes et de souvenirs. Il est excellent quand il aborde ses passions, l’Algérie bien sûr (avec les portraits d’Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Houari Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika, Ferhat Abbas, Mohammed Lakhdar-Hamina et le courageux journaliste romancier Kamel Daoud), mais aussi le Cameroun (Paul Biya, dont l’habilité politique serait la clef de la stabilité apparente du pays) et le Sénégal (Alioune Diop, Birago Diop, Abdou Diouf, le sculpteur Ousmane Sow), trois pays bien servis dans le livre qui lui tiennent particulièrement à cœur. Il est un peu moins loquace quand il se contente d’une simple fiche (Hussein Taha, le poète polyglotte aveugle, ou Ferdinand Oyono, l’auteur du célèbre Une vie de boy, par exemple) et qui donne envie d’aller consulter Wikipédia pour en savoir davantage. L’exercice du dictionnaire, qui oblige à une certaine exhaustivité, a ses contraintes.
On sait d’Hervé Bourges qu’il créa l'école de journalisme de Yaoundé, avant d’être nommé directeur de l'École supérieure de journalisme de Lille. Il dirigea par la suite Radio France internationale puis fut nommé à la tête de TF1 et en 1990 à la tête d'Antenne 2 et de FR3. C'est sous sa présidence que furent rebaptisées les chaînes publiques formant ainsi le groupe France Télévisions. Ses qualités de grand communiquant le firent nommer ambassadeur de France auprès de l'Unesco en 1993. En janvier 1995 il fut nommé par François Mitterrand à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Dans ce parcours, son affection envers l’Afrique ne l’a jamais quitté.
Allant d’Abcost (l’abréviation de « à bas les costumes », la doctrine vestimentaire inventée par Mobutu au Zaïre) à Zone (seconde), une riche entrée qui permet à l’auteur de faire la démonstration que l’Afrique n’est pas déclassée dans le monde d’aujourd’hui, les passions de l’auteur sont multiples et sa curiosité sans limites. Il l’exprime avec parfois une certaine émotion quand il rapporte son premier contact avec le continent, un petit matin à N’Djamena qui était encore « Fort-Lamy ». C’était dans les années 1965-66. « J’y ai senti un air que je n’avais pas senti ailleurs, une chaleur que je n’avais pas sentie et des senteurs que je n’imaginais pas ».
Dans cet ouvrage de 870 pages, que l’on dépose sur sa table de nuit comme un livre de chevet, que l’on consulte au hasard des mots, au style sans excès littéraire pour évoquer des engouements éclectiques, qui vont de l’éléphant des forêts (Loxodonta cyclotis) à celui des savanes (Loxodonta africana), deux espèces de pachydermes menacés de disparition, auxquels il consacra un livre (De mémoire d‘éléphant, Grasset, 2000), aux sportifs nés sur le continent (les footballeurs Roger Milla et Zinédine Zidane, le joueur de tennis Yannick Noah, le boxeur Mohamed Ali pour son fameux combat à Kinshasa en 1974 contre George Foreman), sans oublier de nombreux artistes (Manu Dibango, Anikula Kuti, Angélique Kidjo). On lit de beaux portraits, comme celui des « jumeaux », réunis sous le nom de Mahmoud Hussein qui, dans les années 1960 en Egypte, subirent en prison des traitements odieux pour leur engagement marxiste, avant de venir en France pour proposer des ouvrages éclairants sur la société arabe contemporaine et une lecture nouvelle du Coran.
L’Afrique change, comme Hervé Bourges le déclare péremptoirement : « Aujourd’hui avec le numérique, avec le portable, les tablettes, etc., il y a une révolution considérable qui est en train de se faire. En même temps, c’est la possibilité pour ces pays de se développer et de se démocratiserparce qu’un pays ne peut plus se fermer sur lui-même et taire ce qui s’y passe ». L’Afrique n’attend pas, elle prend son élan ! La France l’a-t-elle compris ?
La Françafrique, cette expression employée pour la première fois par Félix Houphouët-Boigny en 1955 avant de devenir péjorative (France-à-fric) avec « une cuillerée de réseaux Foccart, un demi-litre de théorie du complot (…) à la circulation de mallettes destinées à des hommes ou partis politiques », est mourante. Pas parce qu’il y a des gens qui sont vertueux de part et d’autre, mais parce que tout le monde sent que c’est une étape qui est maintenant dépassée. D’abord parce que beaucoup de pays africains se sont détournés de la France. Aujourd’hui avec la mondialisation, de grands pays – comme la Chine, le Japon, la Russie, et la Turquie aussi – investissent sur le continent. Mais rien n’est perdu ! La France peut encore jouer un rôle important, à condition qu’elle regarde ce qui se passe en Afrique et qu’elle prenne en considération le problème de la Francophonie et de la langue française.
Hervé Bourges est visiblement ulcéré. Lorsqu’on parle de la Francophonie à Paris on lève les yeux au ciel et on hausse les épaules. Les médias, le monde politique, le monde administratif, les petits marquis qui nous régissent, sont des gens qui croient qu’en utilisant le globish ils sont modernes et ils oublient que la langue française, non seulement est une langue de culture, mais qu’en plus c’est une langue qui a été celle porteuse des droits de l’Homme et que la France, qui a eu des tas des débats malheureux sur son identité, ferait bien de se rendre compte que la véritable identité de la France c’est sa langue, une langue partagée. Et puis il y a des mots qui ont été créés, qui ont été créés par des hommes qui parlent la langue française et qui la maîtrisent. « C’est Senghor qui a créé le mot « essencerie » pour parler des pompes à essence. C’est lui qui a créé la « primature » pour le Premier ministre et beaucoup de termes de ce genre ».
Qu’a retenu Hervé Bourges de cette longue fréquentation de l’Afrique : la patience qu’il a apprise et la fraternité qu’il a pratiquée. La formule est belle. Et la conclusion est ouverte : même s’il y a encore des régimes dictatoriaux, même s’il y a encore des problèmes de famine, même s’il y a des problèmes liés au terrorisme, même s’il y a des problèmes
d’électricité, l’Afrique, comme il le dit avec sincérité, n’est pas un continent de seconde zone, mais il est celui de l’avenir.
Les recensions de l'Académie des sciences d'outre-mer sont mises à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.
Basé(e) sur une œuvre à www.academieoutremer.fr.