Auteur | Olivier Grenouilleau |
Editeur | Tallandier |
Date | 2017 |
Pages | 348 |
Sujets | Relations Europe Afrique occidentale 1500-1800 Relations Afrique occidentale Europe 1500-1800 Afrique occidentale Découverte et exploration européennes Afrique occidentale Dans les représentations sociales Europe 1789-1815 |
Cote | 61.318 |
Le but de cet ouvrage n’est pas de livrer une nouvelle reconstitution impressionniste des différents « regards » portés par les Européens sur l’Afrique, en appliquant le modèle mis autrefois en valeur (généralement avec moins d’érudition et de finesse) par Edward Saïd à propos de l’Orient. Autrement dit, il ne s’agit pas de dénoncer a priori une idéologie colonialiste et impérialiste en action. Olivier Grenouilleau, appuyé sur une culture étendue de l’histoire africaine, s’efforce plutôt ici d’analyser le plus impartialement possible les éléments essentiels d’une représentation du continent « non pas celle que nous pouvons critiquer avec notre regard et nos connaissances d’aujourd’hui, mais celle que les voyageurs donnent à lire et à voir à leurs contemporains ». L’auteur a choisi une fenêtre temporelle (1795-1830) qui situe sa réflexion dans une période très précise : celle de la série d’explorations européennes de l’Afrique coïncidant avec la montée de l’abolitionnisme. Sept auteurs ont été choisis : cinq Britanniques (Mungo Park, Gordon Laing, Hugh Clapperton, Gray et Dochard, Richard et John Lander), et deux Français (Gaspard Théodore Mollien et René Caillié). Tous se sont illustrés en parcourant, avec plus ou moins de succès, cette Afrique occidentale dont les côtes avaient été, par excellence, celle de la traite des esclaves par les négriers européens, et le demeuraient encore largement.
Les voyageurs sont des hommes de leur temps. Il n’en est que plus remarquable de noter que, dans l’ensemble, ils font preuve d’une ouverture méritoire : leurs interlocuteurs sont avant tout, pour eux, des hommes et des femmes, qu’ils apprécient en tant que tels, comme ils examineraient les habitants d’une quelconque contrée européenne, sans plus ni moins de préventions. En revanche, leur critère de jugement le plus fréquent, le bon sens, n’est pas forcément un instrument infaillible. La volonté d’objectivité, le souci de description exacte, sont souvent vaincus par l’esprit romantique et l’aspiration littéraire multiplicatrice d’adjectifs excessifs. L’intérêt pour les mœurs et coutumes des Africains ne va pas sans préjugés. L’humanisme universaliste qui sert de référence, si bien intentionné soit-il, passe à côté du fonctionnement des sociétés locales. Le désir, développé plutôt dans les milieux abolitionnistes, de considérer que tous les peuples participent d’une commune humanité se heurte au choc de pratiques ou d’institutions jugées « barbares », quand ces pratiques et institutions ne se conforment pas au modèle européen. Pourtant, les populations arabisées et islamisées que sont les Maures, dont les explorateurs se reconnaissent plus proches par l’usage de l’écriture, le monothéisme, et des comportements moins choquants, leur sont particulièrement antipathiques. L’aspiration de ces derniers à dominer culturellement, commercialement et militairement, les populations noires, fermant ainsi la voie aux relations avec les Européens, en font des ennemis potentiels.
D’autres considérations renvoient aux faiblesses des savoirs géographiques et ethnographiques du début du XIXe siècle, qui limitent la portée des questionnements. Les explorateurs ne semblent guère préoccupés par la mesure, et se soucient peu de résultats concrets et chiffrés. Il faut dire que leur équipement est rudimentaire. Le matériel de Lander, par exemple, se résume à une boussole et un thermomètre ; pas de chronomètre, mais une « montre commune ». Les relations relatives à l’agriculture ne tiennent pas compte des exigences de l’agronomie en milieu tropical (et ce milieu lui-même ne paraît guère apprécié dans toute sa spécificité). C’est plutôt l’apparence des femmes qui retient l’attention, que leur place dans les processus de production et d’échange. En revanche l’esclavage, largement répandu en Afrique, est apprécié moins sévèrement que ne le voudrait la correction abolitionniste, ne serait-ce que pour éviter de donner des Africains une image trop négative. Dans le domaine de la culture (concept inexistant à l’époque), les arts africains ne sont guère reconnus en tant que tels. Il n’est guère plus concevable de retrouver à partir de sources essentiellement orales une histoire véritable, ni une littérature digne de ce nom.
Ce regard prépare-t-il une vision impérialiste ? Ce n’est pas sûr. Si les auteurs ne négligent pas d’énumérer les ressources locales, leurs constatations révèlent rarement la présence de richesses de nature à attirer les convoitises européennes (il est vrai que le modèle de relation avec l’Afrique reste encore largement celui du comptoir, qui se préoccupe d’attirer le commerce vers les côtes plutôt que d’opérer une « mise en valeur »). Les relations dont il est question peuvent suggérer chez leurs lecteurs l’idée qu’une future tutelle peut être nécessaire par un biais moins direct : ils représentent en effet les peuples africains comme des peuples enfants, sympathiques, mais immatures, attardés dans un état primitif qu’aggravent des pouvoirs peu efficaces et des conflits incessants. En revanche, si les voyageurs sont conscients du fait que leur présence n’est pas sans effet sur les populations, soit qu’elles soient choquées de leur aspect physique (et d’abord de leur blancheur de peau), soit surtout que certaines voient en eux des partenaires possibles, dispensateurs de biens rares ou de magies nouvelles, il ne semble pas à cette époque que les Africains (à l’exception des Maures) redoutent une conquête européenne. Ces observation caractérisent bien la période dans laquelle, a écrit Henri Brunschwig, l’Africain « traita d’égal à égal avec l’étranger, et ne se sentit pas entraîné par lui sur une voie qui ne lui convenait pas ».
Au total, cette relecture des récits d’explorateurs ne laisse pas d’être stimulante. Il faut souhaiter qu’Olivier Grenouilleau donne à ce livre une suite inspirée de la même méthode, qui montrera toute la transformation postérieure de ce type de récits en fonction de l’évolution de la présence européenne en Afrique.
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