Dans la tête de Xi Jinping : essai

Recension rédigée par Éric Meyer


            Journaliste chevronné (Le Monde, AFP…) ayant passé plusieurs années de sa vie en Chine, François Bougon réalise le portrait de Xi Jinping, président et secrétaire du Parti communiste, homme parfois présenté comme le plus puissant de la planète, quoiqu’également l’un des plus secrets.

            Une originalité et un mystère de cet homme, est son choix de forcer le Parti et le pays, en route depuis 30 ans vers le libéralisme, à un retour relatif vers l’ère de Mao et vers certaines de ses méthodes. Pour Bougon, « Xi, l’héritier à l’allure moderne » s’est donné pour mission de sauver le Parti en lui redonnant une légitimité idéologique à travers une synthèse entre les courants philosophiques chinois, le maoïsme et le nationalisme, et en combattant les ‘comportements déviants’.

            Xi Jinping aussi un homme traumatisé par la disparition de l’URSS en 1991, une faute qu’il impute à Gorbatchev, jugé trop mou. Un tel défaitisme ne se produira pas sous Xi Jinping : son règne sera celui de la contre-réforme et du refus des concessions, jusqu’à laisser mourir en détention et non à l’étranger selon son souhait, le philosophe dissident Liu Xiaobo, coupable d’avoir osé proposer un passage de la Chine à la démocratie multipartite.

            Il s’agit donc d’un raidissement autoritaire, voire d’un demi-tour sur les libertés concédées dans le passé, notamment face aux classes libérales et à l’outil de communication qu’est internet. On voit ici s’exprimer de la méfiance envers deux corps de métier ayant vocation d’informer et de faire réfléchir la société chinoise sur la gouvernance sociale – les journalistes et les avocats, surveillés ou persécutés sous Xi Jinping, bien plus que sous ses prédécesseurs.

            Confucius est de retour, comme un élément du ravalement de façade idéologique. Il était redevenu populaire avant Xi, avec des centaines d’écoles ouvertes ces 15 dernières années pour inculquer aux fils de la nomenklatura les préceptes du maître à penser de l’ère du printemps et de l’automne (-771/-471 av. J.-C). Mais avec Xi, il entre dans le corpus idéologique officiel. C’est une réhabilitation paradoxale, car l’homme avait été taxé d’«obscurantisme» par Mao, le maître à penser de Xi. Désormais il est l’un des 3 piliers du régime, aux côtés de l’aile mao-nostalgique et de la droite réformatrice, tous invités à contribuer au rêve de Chine - à commencer par l’éradication de la pauvreté d’ici 2021, au 100e anniversaire du Parti.  

            Qu’on ne s’y trompe pas ; le retour en grâce de Confucius a ses limites, explicitées par F. Bougon reprenant Anne Cheng, professeure au Collège de France et spécialiste du maître de Qufu (Shandong). Ce confucianisme version Xi Jinping est paternaliste et vidé de sa substance : au-delà de quelques formules passe-partout, il ne reste rien du Confucius non conventionnel et accoucheur d’idées, rien que l’idéologie de l’obédience aveugle au souverain, la justification de l’absolutisme.

            F. Bougon cite aussi le document « n°9 » de 2013, au départ secret mais fui par une journaliste et publié sur un site dissident – laquelle, pour ce haut fait, écopera de 7 ans de prison ferme. On y retrouve tout le programme ultraréactionnaire du Secrétaire du Parti contre les « valeurs universelles », la « démocratie constitutionnelle », les ONG, l’influence étrangère (les « forces hostiles »), voire le « nihilisme historique » c’est-à-dire la tournée en dérision de plus en plus courante, des héros et des gestes héroïques de la saga révolutionnaire chinoise. Désormais, se moquer publiquement de Lei Feng (jeune soldat qui consacra sa vie au service du peuple avant de périr à 22 ans écrasé par un camion) est un acte passible de prison.

            Sur la personnalité du N°1 chinois, une période cruciale est mise en lumière, celle de son adolescence, sous la Révolution culturelle. Son père Xi Zhongxun, général révolutionnaire, fut accusé dans les années ’60, d’appartenance à une clique anti-Parti, déclaré ennemi de classe et mis en disgrâce. Loin de vouloir défendre son père, Xi vote alors pour la révolution -beaucoup de fils à cette époque, firent le même choix, soit pris dans la fièvre révolutionnaire, soit pour simplement se protéger. Xi et prétend alors « effacer la faute de son père », en partant à la campagne pour éduquer les paysans près de Yan’an –l’ancien QG de Mao. Après coup, le reste de sa vie, Xi porte le culte de son père – comme pour se pardonner ce lâchage. C’est peut-être une clé de lecture du personnage.

            Bougon se pose enfin les questions de l’existence d’un Xi’isme -d’une pensée politique propre-, et des chances de survie d’un régime ayant tourné le dos à toute concession et toute réforme politique. L’auteur suggère que le pouvoir, entré dans la dernière phase de son existence, joue ses dernières cartes et ne pourrait survivre plus d’une à deux décennies. Sous l’angle économique, Xi veut rendre ses concitoyens réactifs et créatifs, pour obtenir des marques et  des universités mondialement compétitives. Mais sous l’angle politique, Xi veut en même temps maintenir cette société muselée. Un tel grand écart devrait devenir rapidement intenable : «aucun Parti ne peut régner ad vitam aeternam », conclut F. Bougon, citant le politologue américain David Shambaugh.