Auteur | Pierre Bonte ; préface de Abdel Wedoud ould Cheikh |
Editeur | Éditions Karthala |
Date | 2016 |
Pages | 807 |
Sujets | Sahara (ouest) Historiographie |
Cote | 60.917 |
Quoique posthume – l’auteur est décédé en 2013 – cet ouvrage s’inscrit dans la suite d’un précédent ouvrage, « L’émirat de l’Adrar mauritanien, Histoire et Anthropologie d’une société tribale du Sahara occidental », paru du vivant de l’auteur, en 2008. De fait, comme l’explique le préfacier, Abd el Wedoud ould Cheikh, il était presque achevé en 2013, la compagne de l’auteur l’a finalisé.
Ces deux ouvrages représentent le fruit d’une thèse monumentale soutenue en 1998 dont le titre était le même que celui de l’ouvrage paru en 2008. Selon le préfacier, tant la thèse que les deux ouvrages qui en ont été tirés représentent l’aboutissement de trente ans de recherche. Si l’on consulte la biographie et la bibliographie de Pierre Bonte, l’on constate cependant que l’anthropologue a mené d’autres recherches, notamment dans les années 1970/1980 chez les Touaregs du Niger, qu’il semble s’être spécialisé sur le Maghreb, la frange nomade subsaharienne, ainsi que sur les rapports compliqués entre Arabes et Berbères dans cette dernière région.
Il a assuré par ailleurs la codirection d’un « Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie » qui a fait date, voire, il s’est intéressé à d’autres continents dans la mesure où ils étaient musulmans. De plus, dans un tout autre domaine que l’anthropologie, il présenta et annota une traduction française récente d’un ouvrage d’Engels, « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État ». Il est vrai que, de par ses origines et traditions familiales, il fut marxiste, ce qui ne préjuge évidemment pas de ses méthodologies d’anthropologue, car il n’en a retenu aucun de ces dogmatismes qui pèsent trop souvent sur les disciplines qui concernent sociétés et cultures.
On peut dès lors supposer que la thèse sur l’émirat de l’Adrar représente, au-delà de la monographie, des considérations plus larges. Le titre même de l’ouvrage sous revue pouvait le laisser supposer : que sont ces « récits d’origine », quelle est leur nature ? Si ceux dont il s’agit ici sont analysés dans leur contexte spécifique, c’est la démarche du chercheur qui en assure la cohérence et les finalités. Il s’en explique tant dans son introduction que dans sa conclusion, les volumineuses cinq parties de l’ouvrage étant consacrées à la collecte et à l’exploitation des « récits d’origine » dans l’émirat de l’Adrar mauritanien, sans exclure de sortir des frontières mauritaniennes elles-mêmes.
Le « récit d’origine » doit être distingué de la mythologie, de la saga, de la tradition. Il n’est pas plus de l’histoire au sens disciplinaire du mot, il ne porte pas en soi une « historicité ». C’est pourquoi il a été largement ignoré par les anthropologues occidentaux et mal recueilli. D’où un long travail de recherche dans les publications anciennes, les écrits conservés. Il ne s’agit pas plus de « grande tradition orale que mémorisent et transmettent, s’agissant des origines, les sociétés voisines subsahariennes où ces textes sont fixés et reproduits même parfois par des groupes spécialisés. »
Au départ, ce « récit d’origine » fonde des « légitimités » familiales, dynastiques, autour d’un ancêtre ou d’une hagiographie. Prenant l’exemple des Almoravides, l’auteur précise que les textes maghrébins et subsahariens diffèrent à la fois dans leur approche et dans leur contenu. Les premiers relèvent bien d’un « registre historique », les seconds plutôt d’une légitimation de « l’islamisation des vastes régions concernées et l’appartenance à la communauté musulmane des sociétés qui occupent depuis ces régions ». Même si les deux approches utilisent par définition l’écrit, ce qui les différencie clairement des traditions orales des sociétés voisines.
Ce faisant, l’auteur décrit longuement son approche et sa collecte de documents trop souvent négligés par les chercheurs occidentaux. Pour cette collecte, il a interrogé des centaines de personnes, son ouvrage résume dans ses annexes l’essentiel de ces entretiens et des documents classés par lui « récits d’origine ».
« Ce tableau reste pourtant bien imparfait et laisse sans réponse beaucoup de questions, que nous n’avons pas tenté d’esquiver et qui justifient le primat que nous avons accordé à l’analyse structurale sur cette approche ethno-historique ». L’auteur note au passage que la période coloniale a pu, d’une certaine façon, influer sur la démarche, avec « sa mémoire archivée », en raison d’une possible réécriture liée à la naissance des « nations » de type moderne.
On notera la modestie de l’auteur lorsqu’en conclusion il fait part de ses hésitations quant à cette catégorie dont il est l’initiateur, « les récits d’origine » propres à la Mauritanie et ses environs immédiats. Il aura rappelé, tant dans son introduction que dans sa conclusion, ce qu’il doit à l’école structuraliste et à son porte-parole, Claude Lévi-Strauss.
Il ne peut être question ici de résumer ou de commenter les cinq parties de l’ouvrage qui traitent successivement du « cycle d’al-Imâm al-Hadramî », des « Fondatios Qsûriennes », « Figures de sainteté »,des « Arabes et des Berbères », de la « formation de la société Baydhân ». Ce genre d’ouvrage a le plus souvent pour objectif de rendre accessible l’essentiel d’une thèse, il convient de laisser aux condisciples de la discipline le soin d’un avis de spécialiste.
Mais comme le plus souvent, le lecteur plus généraliste mais intéressé à nourrir ses connaissances des problématiques anthropologiques lira avec grand intérêt tant l’introduction que la conclusion, ce qui lui permettra de comprendre une démarche intellectuelle et scientifique qui n’est en aucun cas dogmatique, mais de questionnements ouverts à la réflexion. Le lecteur qui serait plus familier, de par son expérience vécue des régions concernées, trouvera ici et là dans les diverses parties, des rappels ou des informations sur des segments de sociétés qu’il aura côtoyés.
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