Boutilimit : une saga mauritanienne

Auteur Marcel G. Laugel
Editeur L'Harmattan
Date 2015
Pages 276
Sujets Mauritanie Roman Mauritanie Religion Roman
Cote 61.813
Recension rédigée par Christian Lochon


            Comme notre éminent confrère, le Général Claude Le Borgne, dont la recension du dernier livre[2] a paru dans ces colonnes en 2016, Marcel Laugel a servi comme officier des affaires musulmanes dans des compagnies méharistes sahariennes dans la Saoura et le Sud Oranais (Tindouf), aux confins de la Mauritanie. C’est là qu’il a appris durant six années les mœurs, le droit coutumier, les habitudes religieuses des nomades sahariens, société fortement hiérarchisée admettant encore l’esclavage  et qu’il a parcouru longuement à dos de chameau ces pistes si éreintantes. Cette expérience, il l’avait rapportée dans son Roman du Sahara (Balland, 1991), réédité sous le titre Nomades Fils des Nuages (l’Harmattan, 2010) dans lequel le quotidien du Lieutenant Vogel (alias Laugel) est confronté à la rude vie du désert. Après onze ans de carrière militaire, l’auteur est intégré au ministère des Affaires Etrangères comme Secrétaire puis Conseiller d’Orient. Il est alors nommé à Nouakchott qui lui servira de trame pour sa Saga mauritanienne. Il devient alors un spécialiste de la région Maghreb Machreq puisqu’il sera affecté successivement à Ankara, au Koweït, à Khartoum, au Caire, à l’ONU à New York, à Beyrouth avant de se voir confier le poste d’Ambassadeur au Koweït, au Soudan et au Yémen.

            Les personnages de ce roman évoluent donc dans des lieux connus de l’auteur et aussi dans des fonctions assumées par lui, dans une période qui va de 1965 à 1991 ; ils vont plus ou moins participer ou suivre de près les évènements qui vont frapper particulièrement cette région qui s’étend du Maroc à l’Afghanistan.

            La première génération est celle d’une New-yorkaise d’origine irlandaise, Marie, conservatrice au Metropolitan Museum qui rencontre fortuitement dans un café le représentant mauritanien à l’ONU. Ils deviennent amants et décident de se marier, encouragés par les parents de Marie. Ils se rendront en Mauritanie, à Boutilimit où le père de Mohamed Lamine est un lettré, cheikh de la confrérie qadiriya, très répandue dans ce pays.  Les parents du diplomate accueillent Marie avec d’autant plus de plaisir que Marie apprend l’arabe hassaniya pour s’entretenir avec eux. Les deux enfants de Mohamed Lamine, nommé par la suite ambassadeur à Paris, pourront ainsi, pour Patrick, suivre sa scolarité, comme son père, à Henri IV, et pour Marie-Christine à Louis Le Grand.

            Patrick, tombé amoureux d’une condisciple, Zenoubia-Pierrette, dont le père harki en Algérie a pu se réfugier en France en 1962, apprend ainsi le drame consécutif à l’indépendance algérienne qui a frappé tant de familles d’origines européenne ou autochtone assassinées sauvagement (p.140). Ayant rencontré à Paris des recruteurs pour le djihad mené à l’époque en Afghanistan contre les occupants soviétiques, il se rend à Islamabad puis à Peshawar et participera à des embuscades contre des convois russes. Il va rencontrer dans les grottes de Tora Bora, Ben Laden qu’il décrit ainsi : « Il ressemble à un intellectuel, professeur d’une université arabe » (p. 207) et qui lui confie « l’Arabie Saoudite nous aide beaucoup » (p. 208), puis le héros tadjik chiite Ahmed Shah Massoud (p. 229) qui sera assassiné par des tueurs algériens. Patrick, blessé assez lourdement au cours d’un combat, est rapatrié aux Etats-Unis, où son père a retrouvé l’administration onusienne en devenant Conseiller du Secrétaire Général de l’ONU. Guéri, Patrick auréolé par sa participation au djihad, et après avoir passé trois mois de repos auprès de son grand-père à Boutilimit, est accueilli en Arabie par le Ministre Bandar Al Séoud, qui dirige le Service des Renseignements saoudiens et le prend comme précepteur de ses enfants ; Pierrette, venue pour une mission de la Croix Rouge le retrouvera là et ils se marieront.

            La sœur de Patrick, Marie-Christine, avait toujours aimé son camarade de classe du Lycée français de New York, Sami Cohen ; eux aussi décident de se marier, Samuel promettant devant ses futurs beaux-parents « d’élever leurs enfants dans la plus stricte laïcité qui est le moyen le plus pratique pour le respect des religions révélées » (p. 256). Patrick, comme son grand-père paternel qui s’en exprimera par lettre (p. 261), approuveront le mariage tout en « restant les ennemis d’Israël tant qu’il n’aura pas donné un Etat aux Palestiniens ».

            Le problème religieux, tel qu’il perdure dans cette région est donc évoqué par l’auteur ; Mohamed Lamine, qui fut élève du Lycée parisien Henri IV puis étudiant à sciences Po « s’astreint à faire trois prières quotidiennes » (p. 23) ; il se considère « bon musulman sincère sans zèle ostentatoire » (p.  24). Son épouse est restée catholique, leur fils a choisi comme son père d’être musulman, sa sœur d’être catholique mariée à un juif, il est vrai, libéral. Nous sommes dans une société idéale de convivance. L’auteur fait dire à Patrick : « La coexistence entre musulmans, chrétiens et juifs doit devenir la cause du siècle. Nous devons abolir les barrières fictives entre les religions monothéistes » (p. 272). La famille ainsi composée est malheureusement d’une espèce encore rare ; néanmoins, l’expérience de Marcel Laugel dans ce domaine, où il a côtoyé le meilleur comme le pire, est suffisamment large pour que nous admettions avec lui que de telles circonstances existent et que des individus sont prêts pour les favoriser.

                                                                                                       


[2] Routes de sable et de nuages (Paris Albin Michel 2016)