Auteur | sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi ; édité avec Maria De Cillis, Daniel De Smet, Orkhan Mir-Kasimov |
Editeur | Brepols |
Date | 2016 |
Pages | 857 |
Sujets | Chiisme Dualisme (religion) |
Cote | 61.339 |
Cet ouvrage de 857 pages rassemble les contributions de 36 spécialistes, français (10), israéliens (5), américains (4), britanniques (4), iraniens (4), italiens (4), allemands (2), belges (2), ouzbek (1), qui ont rédigé 35 contributions relatives au chiisme (12), aux Ismaéliens (7), aux Alaouites (3), aux Alévis (2), au Coran (2), au gnosticisme (2), au manichéisme (2), à Avicenne (1), au christianisme (1), à l’hermétisme (1), au judaïsme (1), au soufisme (1). Certains articles naturellement intègrent des recherches sur un ou plusieurs des sujets cités ci-dessus. Les auteurs auxquels ces études se réfèrent le plus, sont, pour l’antiquité, le mythique Hermès et Platon, pour les orientaux Ibn Arabi, Molla Sadra et Sohrawardi, pour les contemporains français, Louis Massignon et Henri Corbin.
Nous avons privilégié dans cette modeste recension ce qu’un ouvrage d’une telle densité et d’une telle diversité d’opinions peut apporter d’éclairage sur les évènements dramatiques qui se passent au XXIe siècle dans les régions décrites dans ce livre et notamment le renouvellement de la fitna ou guerre religieuse instrumentalisée qui commença avec l’empêchement d’Ali de succéder à son cousin Mohamed. Devenu Calife, Ali transfère le siège de la capitale de Médine à Koufa (p. 51). Le XXIe siècle voit la fitna se répandre dans tout le Moyen-Orient.
Les trois symboles suprêmes de la nouvelle religion musulmane ont été imposés par la famille omeyyade (p. 51) depuis Osman jusqu’à Abdelmalek en passant par Moawiya et Marwan, à savoir, la Vulgate coranique qui aurait supprimé toutes les mentions d’Ali et de la famille du prophète - de ce fait contestée par les Chiites - la sacralisation de La Mecque et de Médine et la construction du Dôme du Rocher à Jérusalem.
De même, les traditionalistes ont développé une image négative de la djahiliya, l’époque préislamique, considérée comme inculte, alors que les mythes babyloniens repris dans le judaïsme et le christianisme se retrouvent dans les sourates LXXXI, LXXXII, LXXXIV, IC, C CI, CII, textes apocalyptiques décrivant une fin de monde : « le soleil deviendra obscur », « le ciel se déchirera », « les hommes seront comme des sauterelles dispersées » (p. 20, 21). La langue syriaque a contribué à la formation de la langue coranique ; les termes mêmes de « coran, sourate, ayat (verset), zakat (aumône), salat (prière), masjid (mosquée), hajj (pèlerinage), umra (pèlerinage hors des dates officielles) » sont des emprunts au syriaque
(p. 235). Le terme de « ‘abbad » désignant les chrétiens arabophones de Hira (Nord Irak) au
VIe siècle est repris dans le Coran (II 207, III 20, XXV 63) pour désigner les « croyants »
(p. 225). Le Coran se situe dans le prolongement de la tradition judéo-chrétienne qui développe la figure du Messie ; plusieurs versets indiquent que le Messie de la fin des temps est Jésus-Christ : III 45 ; IV 157,171, 172 ; V 17, 72, 75 ; IX 30, 31 ; XLIII 57-61 : « Le fils de Marie est un signe de l’heure » (p. 34).
Les sectes judéo-chrétiennes non-trinitaires officiellement disparues au Ve siècle ont sans doute survécu en marge des églises officielles sous le nom de « Nazaréens » (terme repris dans le Coran) en Syrie, Irak, Arabie (p. 31) ; ainsi des Ebionites qui refusent la divinité du Christ (p. 33), des Elkhasaïtes (Mani, fondateur du manichéisme est né dans cette communauté) pour lesquels le Jésus historique est une enveloppe du Christ éternel (p. 110) ou des Docétistes pour lesquels Jésus n’a pas été tué mais enlevé au ciel (p. 87). Ces éléments seront intégrés dans le corpus coranique. De même que des courants d’écoles de pensée cosmologiques, gnostiques, hermétistes, seront adoptés par les mystiques sunnites et chiites, plus particulièrement du XIIIe au XVe siècle (p. 643). Soit, pour l’hermétisme, l’influence des
Livres de Thot redécouverts en version originale à Nag Hamadi en 1981 (p. 203) ou de la « science des lettres » (p. 513), soit pour la théosophie, l’adoption d’une forme de hiérohistoire qui explique que Dieu, caché d’habitude, se manifeste à travers la lecture des textes, ou soit pour la cosmologie, la théorie dualiste de la lutte de la lumière contre l’obscurité (le Coran y fait allusion en VI 1 « Louange à Dieu qui a établi les ténèbres et la lumière »), l’emprisonnement de la lumière et de l’âme humaine dans la matière ; la fin du monde n’aura lieu que lorsque toutes les particules de lumière auront quitté la matière (p. 643). La pensée alchimique d’Al Jaber, qui passait pour chiite, définit l’intellect de l’homme comme une substance spirituelle incorruptible (p. 420).
La personnalité d’Ali dans le chiisme joue le premier rôle ; il est considéré comme « Sauveur » et « Maitre de Justice », deux titres messianiques judéo-chrétiens (p. 45) ; les extrémistes le divinisent (p. 61) ; tous les musulmans reconnaissent la qualité de son style oratoire. La notion d’occultation (ghaïba) du 12e imam (p. 369, 476, 648) en 941 pourrait être d’origine mazdéenne ; le Roi Sauveur Vahram reviendrait de l’Est pour sauver son pays. On attribue à une influence chrétienne le fait qu’Al Hussayn ne serait pas mort à l’image de Jésus, l’imam préexistant à son incarnation.
La population de l’Iran deviendra, au cours du XVIe siècle, chiite duodécimain sur l’initiative de Chah Ismaïl, chef turkmène de la confrérie sunnite des Qizilbash (p. 601). Ses successeurs safavides contribueront à la renaissance de la philosophie chiite avec Mir Damad (p. 744).
Chiites septimains, les ismaéliens qui refusent l’incarnation divine s’établiront, après leur califat fatimide en Tunisie et en Egypte, au Yémen (p. 713) avec les Tayyibis et en Iran
(p. 649). L’Encyclopédie des Frères de la Pureté au Xe siècle souvent citée dans cet ouvrage (p.100, 136, 281, 395, 413, 519, 521, 524, 539, 618, 761), développe les tendances philosophiques, métaphysiques, ésotériques de la pensée chiite, particulièrement ismaélienne. Cette communauté joue toujours un rôle exemplaire de recherche et de modernité que son Institut londonien d’Etudes ismaéliennes (p. 803) promeut. Les Alaouites (connus auparavant comme « Nosayris ») se rattachent au 11e Imam ; leur littérature ésotérique (p. 387) fut initiée en Irak. Leur rôle politique actuel en Syrie les rapproche de l’Iran et beaucoup adoptent le chiisme duodécimain. Les Alevis (p. 723) furent longtemps marginalisés en Turquie où ils représentent aujourd’hui 20% de la population et défendant les valeurs laïques du kémalisme. Ils adoptèrent le bektachisme (p. 782) sous les Ottomans, confrérie à laquelle adhéraient les janissaires, l’élite de l’armée turque.
Dans son introduction, le Professeur Amir Moezzi rappelle que cet ouvrage « montre l’importance centrale des études shi’ites pour une meilleure connaissance de la religion des imams, de l’islam en général et du prolongement des traditions religieuses et philosophiques de l’antiquité tardive au sein de celui-ci » (p. 10). Le lecteur appréciera le caractère inédit de ces études, complétées par une biobibliographie résumée des auteurs (p. 797 à 806) et un index général (p. 807 à 857).
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