Auteur | sous la direction de Maryline Crivello et Karima Dirèche |
Editeur | Presses Universitaires de Provence |
Date | 2017 |
Pages | 204 |
Sujets | Coexistence religieuse Méditerranée (région) 19e siècle Mémoire collective Méditerranée (région) 20e siècle |
Cote | 61.817 |
Deux historiennes spécialistes des migrations, Marilyne Crivello (Université de Provence) et Karima Dirèche (CNRS, Aix-en-Provence) ont entrepris de regrouper en volume une quinzaine de contributions multidisciplinaires centrées sur la dimension euro-arabe et euro-musulmane de la Méditerranée. Elles observent justement (p. 4 de couverture) que le bassin méditerranéen peut-être envisagé comme un espace d’affrontement des mémoires mais aussi comme un espace d’expérience d’une pluralité pacifiée. Et pour l’essentiel, les travaux qui nous sont présentés sont consacrés aux rapports entre la mémoire et l’histoire. Nous les avons recensés sans prétention à l’exhaustivité.
La première partie intitulée : « Dispositifs et scénographie des réconciliations politiques et religieuses » est essentiellement consacrée à la mémoire. Elle regroupe dix contributions dont il convient de retenir celles de Badiha Nahhass (Université de Casablanca) qui étudie le fonctionnement des associations de mémoire dans le Rif et notamment celui de l’instance équité et réconciliation (IER), mise en place en 2004, pour faire la lumière sur les années de plomb et celle de Daho Djerbal (Université d’Alger) qui, se situant dans la ligne de Ricœur, s’interroge sur les avatars de la mémoire en situation postcoloniale. On appréciera ses réflexions sur la « Mémoire enkystée, mémoire pierre tombale ».
Yazid ben Hounet et Ammar Belhimmer (LAS et Faculté de droit d’Alger) s’interrogent sur le discours de réconciliation nationale tenu en Algérie depuis la décennie tragique qui, de 1992 à 2002 a fait environ 200.000 victimes.
Antoni Segura (Université de Barcelone) fait le point sur la question de la mémoire historique en Espagne et en Catalogne : la mémoire est celle de la guerre civile qui a déchiré le pays : il nous donne de précieux éclairages sur les fosses et charniers qui ont été découverts parfois fort longtemps après que les armes se soient tues. La Catalogne s’est dotée dès 2007 d’une loi sur la mémoire démocratique qui a précédé la loi de l’Etat sur la mémoire historique. Le parlement de Catalogne a entrepris un travail considérable et en 2009, les services de la Généralité, très en avance sur ceux de Madrid, avaient dénombré 179 fosses communes et enregistré 2.171 disparus.
Stéphane Mouriane (CNRS, Aix-en-Provence) a consacré son intervention à la Sicile des années 50 : il y voit selon ses propres termes : « un lieu de médiation culturelle et de réinvention de la Méditerranée » : favorisée par le statut d’autonomie dont elle a été dotée en 1947, la Sicile, point de rencontre des civilisations, joue le rôle de creuset de l’interculturalité et contribue à la fonction médiatrice que l’Italie entend jouer en Méditerranée. A cette fin, elle s’est dotée d’institutions spécifiques bien décrites par l’auteur, telles que L’Académie de la Méditerranée, fondée en 1951 à Palerme, et le Centre pour la coopération méditerranéenne, fondé en 1952 et dont le siège se trouve également à Palerme, dans l’antique palais de la Zisa.
Le thème de la réconciliation islamo chrétienne (mais le terme de réconciliation est-il approprié ?) est étudié avec pertinence (pp. 65-83) par Manoël Pénicaud, anthropologue (CNRS Aix-en-Provence). Ce dernier évoque l’œuvre du grand islamologue Louis Massignon, professeur au Collège de France, dont on sait qu’il voulut redonner vie au culte des sept dormants d’Ephèse : Massignon avait conçu un plan ambitieux de constitution d’un réseau de sanctuaires et de lieux de pèlerinages islamo chrétiens avec des implantations en Algérie (Guidjel, près de Sétif), au Maroc (Séfrou) à Rome, en Turquie et en Bretagne. Mais ses projets furent combattus par les autorités musulmanes du Maghreb et mollement soutenus à Rome. Seul le Pèlerinage de Vieux Marché (Côtes d’Armor) a survécu jusqu’à nos jours et reçoit chaque été la visite d’assez nombreux fidèles chrétiens et musulmans de tendance soufie.
Norig Neveu (IFPO, Amman) s’intéresse aux pèlerinages locaux de Jordanie et au partage du patrimoine religieux : l’exemple du pèlerinage de Mar Ilya est bien analysé : la cohabitation (non simultanée) ne semblait pas y poser de problème jusqu’au jour ou des prêtres catholiques ont interdit à leurs fidèles de participer aux cérémonies orthodoxes, édifiant ainsi une barrière confessionnelle supplémentaire dans cette région qui n’en manque pas.
Emma Aubin Boltanski (EHESS) examine (pp. 97-107) le cas de la société pluriconfessionnelle libanaise et évoque le décret du 25 mars 2009 instituant l’annonciation de Marie comme fête nationale libanaise et surtout comme fête islamo chrétienne, comme telle symbole de l’unité nationale. En dépit du succès très apparent de quelques célébrations islamo chrétiennes et même de l’organisation de journées spirituelles communes, cette initiative politique ne semble pas avoir rencontré grand écho dans les masses libanaises et fait figure de manifestation essentiellement maronite et catholique peut-être récupérée par le patriarche Bechara Raï. La jeunesse libanaise réclame à grands cris la fin d’un système confessionnel hérité des Ottomans et maintenu par les Français. Là est l’avenir du pays du Cèdre qui doit cesser d’être une juxtaposition de ghettos.
Pour ne pas quitter le Liban, Nour Farra-Haddad, (université Saint Joseph de Beyrouth), nous entretient du phénomène des réseaux de visionnaires et d’extatiques qui se sont constitués depuis une vingtaine d’années à Beyrouth et dans les environs de cette ville. Ces personnes, très majoritairement des femmes, se recrutent uniquement en milieu chrétien, essentiellement maronite et réunissent autour d’elles de petites « chapelles » de dévots parfois bénéficiaires de miracles. L’attitude de l’épiscopat et du clergé en général à l’égard de ces phénomènes, traduit un certain embarras. Si quelques rares individus ont été explicitement condamnés, l’Eglise paraît hésiter entre une condamnation globale et une certaine réticence, et s’efforce d’assurer autant que possible le contrôle des fidèles de ces groupes, sans doute dans l’espoir de canaliser et de récupérer un jour ces mouvements qui sont nés de la fermentation des esprits dans une société longtemps bouleversée et meurtrie par une guerre civile dont les retombées sont toujours perceptibles.
Des cinq contributions formant la seconde partie intitulée : « Processus de patrimonialisation et réinvention du territoire » on retiendra celle de Pierre Sintès
(CNRS Aix-en-Provence) qui évoque les enjeux de mémoire et les enjeux de patrimoine de la vieille ville de Rhodes. On sait que dans cette cité jadis cosmopolite et pluriconfessionnelle, la communauté juive a totalement disparu et la communauté musulmane (qui n’a pas été concernée par les « échanges » de 1923), se réduit à un peu moins de 2.000 personnes. Un « tourisme de mémoire » notamment en provenance d’Israël, tend à se développer aujourd’hui et les autorités municipales poursuivent une active politique de préservation ou de restauration du patrimoine, mais celle-ci ne profite guère à l’héritage ottoman.
Une étude sur la Méditerranée serait incomplète sans une évocation d’Alexandrie, la ville phare : Eric Gady (Centre d’études alexandrines) traite de la « réinvention » de cette cité par la mise en valeur de son patrimoine urbain marquée par la renaissance de la ville occidentale et le formidable travail accompli par les institutions archéologiques. Gady observe justement que les Alexandrins se sont trop longtemps complus à se démarquer de la métropole rivale, Le Caire, la ville arabe.
Des textes d’un grand intérêt mais on ne peut que regretter la tendance de certains contributeurs à user et abuser d’un langage un peu initiatique : rappelons à certains que colonialisme n’est pas synonyme de colonisation.
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