Auteur | Philippe Prévost ; préface de Christophe Oberlin |
Editeur | Erick Bonnier |
Date | 2018 |
Pages | 511 |
Sujets | Déclaration Balfour (1917) France Relations extérieures Proche-Orient 1900-1945 Proche-Orient Relations extérieures France 1900-1945 |
Cote | 61.948 |
Au cours de l'année 2015, le prétendu État islamique, qui avait fait de Mossoul sa capitale, détruisit le mur de terre qui marquait la frontière irako-syrienne et proclama qu'il annihilait les accords Sykes-Picot de 1915-1916. Le grand public réapprit ce que représentait cet accord secret d’ailleurs oublié de tous et que Londres ne tînt jamais à rendre public. Très vite, « une simple lettre du cabinet britannique à un banquier anglais (Lord Rothschild) à la fin de l'année 1917 », connue par la suite sous le nom de Déclaration Balfour (p. 11) puis les traités de Sèvres de 1920 et de Lausanne de 1923 vouèrent aux gémonies l'entente qui avait pu se faire momentanément entre la Grande Bretagne et la France sur la création de zones d'influence dans la partie arabe de l'Empire ottoman. Pour résumer cet ouvrage, on peut citer le titre du chapitre XI (p. 294) La déclaration Balfour ou le triomphe de l’ambiguïté.
Cette lettre contenait dans le paragraphe 2 la célèbre formule qui allait entraîner tant d’affrontements et faire tant de victimes : « Le gouvernement de S. M. envisage favorablement l'installation en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et fera tous les efforts possibles en vue de faciliter la réalisation de cet objectif ». Ce document ne faisait aucune référence au gouvernement français alors que les accords Sykes-Picot avaient prévu l'internationalisation de la Palestine et son administration par un condominium franco-britannique (p. 294). En fait, « il s'agissait de faire cadeau de toute la Palestine aux Juifs » (p. 319) alors que la population arabe de cette région comprenait, en 1918, 600 000 Arabes (musulmans et chrétiens) et 60 000 Juifs » (pp. 295 et 441). L'auteur constate (p. 301) que « Ce qui ne fut pas possible immédiatement fut réalisé en 1947-1948 » et aboutit à « une fabrique de parias » (p. 476).
Le mérite du livre c'est de montrer avec habileté qu' « en Terre-Sainte, l'éviction de la France est allée de pair avec celle des Palestiniens» (p. 20). La France, par le jeu des Capitulations, avait bénéficié d'un important rôle pour la protection des minorités chrétiennes de l'Empire ottoman. La cause de la guerre de Crimée est à trouver en Palestine où la France soutenait les religieux de rite latin du Saint-Sépulcre et les Russes les religieux orthodoxes (p. 37). En 1888, dans l'Empire ottoman, 95 0000 élèves fréquentaient les écoles religieuses françaises et 6000 la Mission Laïque française. (p. 39). Mais en 1918, la politique anticléricale du gouvernement français depuis les années 1870, la rupture avec le Vatican en 1904 (p. 165), l'absence de la France du Proche-Orient sur le terrain militaire (p. 255), l'abolition par le Général Allenby des Capitulations en pénétrant à Jérusalem sans que la France proteste (p. 383) handicapèrent notre pays pour conserver sa place traditionnelle dans les Lieux Saints (p. 255). Ce fut une autre défaite pour la France : la perte du protectorat catholique en Palestine.
L'auteur analyse la montée du sionisme en Europe et rappelle qu'en 1789,
Clermont-Tonnerre au nom des droits de l'homme déclara le 23 décembre « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation; tout leur accorder comme individu» alors que pour l'abbé Maury « le mot juif est le nom d'une nation qui a ses lois, qui les a toujours suivies et qui veut encore les suivre » (p. 65). Il décrit la campagne de presse à Paris de Theodor Herzl, correspondant de la Nouvelle Presse Libre de Vienne, auteur en français de L’ÉtatJuif (der Judenstaat) qui le rendra populaire; cependant , comme l'indique Georges Samné dans La Syrie (Brossard 1920) «les juifs occidentaux ne voulaient voir dans Israël qu'une religion et craignaient que le sionisme ne rouvrît les voies de l'antisémitisme » (p. 72) ; de ce fait « la très grande majorité des juifs français était assimilationniste » (p. 194). En Grande-Bretagne même, des personnalités juives, David Alexander, Claude Montefiore, Edwin Montagu avaient fondé un Comité juif antisioniste » en 1917 (p. 201).
Mais en 1897, le premier Congrès juif à Bâle fonde l'organisation sioniste qui se réunira annuellement par la suite. Le mouvement se scinda en deux, un sionisme pratique défendu par Weizmann et un sionisme politique soutenu par Max Nordau (Pest 1849), disciple de Herzl. Weizmann, russe d'origine et qui était chimiste, fournit à Churchill 30 000 tonnes d'acétone indispensable pour l'industrie de guerre (p. 150). L'Angleterre d'ailleurs avait voulu, dès 1907, inclure la Palestine dans le système de défense anglais orienté vers l'Inde. Après la capitulation ottomane à Jérusalem, Georges Picot et Mark Sykes sont nommés hauts commissaires ; G. Picot avertit son ministre Stephen Pichon le 11 février 1918 de ce que « l'Administration en Palestine comprend une majorité de Juifs levantins » (p. 275).
Le rôle des États-Unis sur ce plan est souligné par M. Prévost qui montre que Washington contribua à l'éviction de la France jugée (déjà) trop favorable aux Palestiniens, par le fait de la « conquête par les banques juives américaines du centre de décision des États-Unis alors que la Grande-Bretagne frôle la catastrophe » (p. 14) si bien que lorsque Lord Balfour vient en Amérique emprunter aux banques juives (p. 209) pour sauver la livre anglaise, il devra donner des gages à l'immigration juive en Palestine. L'auteur relève que plusieurs
hauts-fonctionnaires américains étaient sionistes (p. 219) comme le juge Brandeis, Bernard Baruch, directeur du ministère de l'Armement, Jules Klein du département du Commerce, de Félix et Paul Warburg de la Banque fédérale de réserve.
Cet ouvrage était nécessaire pour comprendre l'incidence de la Déclaration Balfour, que Londres et Washington soutenaient tandis que Paris se montrait réticent, sur l'effacement de la France du Proche-Orient au XXe siècle et la création de l’État d'Israël. Une bibliographie surtout francophone (une 2e édition devra corriger l'orthographe de l'auteur célèbre de La Syrie (1920) Georges Samné et non «Sanné», p. 72 et 500) et un index des noms, complètent utilement l'ouvrage.
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