Auteur | Kaouther Adimi |
Editeur | Éditions du Seuil |
Date | 2017 |
Pages | 215 |
Sujets | Algérie Roman |
Cote | 62.036 |
Kaouther Adimi, née à Alger en 1986, a obtenu pour ce roman le Prix Renaudot des lycéens 2017, décerné par des jeunes issus de quatorze lycées des académies de Poitiers, Limoges et Nantes. Échaudé par certaines expériences, tant le favoritisme pour les auteurs nés outre-mer peut constituer une forme inconsciente de l’ancien paternalisme colonial, on a commencé cette lecture avec méfiance. À tort, car Nos richesses, titre inspiré par Les Vraies Richesses, enseigne d’Edmond Charlot, libraire-éditeur au 2 bis rue Hamani, ex-rue Charras, àAlger, est une réussite.
Dans ces pages naviguant entre le passé et le présent, trois intervenants s’expriment alternativement : la romancière ; Edmond Charlot, dans des carnets imaginaires ; le peuple algérien. La romancière a imaginé l’histoire de « Ryad », jeune Algérien de Paris, « pistonné » par son père pour effectuer un étrange « stage ouvrier » consistant à vider et repeindre l’ancienne librairie Charlot que l’État algérien, qui en avait fait une bibliothèque de prêts, vient de céder à un particulier. Dans la réalité, ce local existe toujours, comme annexe de la Bibliothèque nationale. Dans la fiction, il va passer du commerce des livres à celui de beignets, après son rachat par un petit restaurateur. Une mutation hautement symbolique. Une partie du livre est consacrée au triste travail de « Ryad » et à sa rencontre avec un vieil homme, ancien préposé aux prêts, érigé en mélancolique gardien des lieux. Cela se passe dans un Alger tout en contrastes, sous une pluie tenace, la romancière ayant l’habileté d’éviter ainsi les clichés d’une ville ensoleillée.
Dans les « carnets », on retrouve le vrai Edmond Charlot, celui qui, au milieu des années 1930, entreprit de réunir autour de lui « des écrivains et des lecteurs de tous les pays de la Méditerranée sans distinction de langue et de religion, des gens d’ici, de cette terre, de cette mer », et pas seulement des auteurs de l’école « algérianiste ». Sous la plume du supposé diariste, défilent Camus, Jules Roy, Jean Amrouche, Emmanuel Roblès, et bien d’autres dont Charlot publia les premiers écrits et qu’il rêva de réunir dans la revue L’Arche. « 11 mars 1944. Réussi à écouler les derniers exemplaires de Noces. 1225 exemplaires en six ans. » Pour donner un tour véridique à ces pages, Kaouther Adimi a passé « un an à écumer les fonds d’archives », assure-t-elle dans la mention de ses sources. Le périlleux exercice est un saus fautes. On se croit plongé dans un authentique document littéraire.
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D’autant que la réalité sur laquelle Mme Adimi se fonde eut parfois beaucoup d’imagination. Par exemple en 1947, quand elle fait écrire ceci à Charlot, désireux que sa maison soit présente à Paris : « Le seul moyen pour avoir beaucoup d’espace sans se ruiner est d’acheter un bordel. Ils sont tous à vendre, depuis la loi Marthe Richard qui a interdit la prostitution. » C’est ainsi que les éditions Charlot nichèrent quelque temps dans un ancien boxon de la rue Grégoire-de-Tours, « célèbre pour avoir eu comme client le poète Apollinaire ».
Le troisième intervenant s’exprime sous la forme d’un « nous ». Nous les Algériens qui avons défendu la France, qui « avons participé à la bataille de Monte Cassino, à la libération des villes du Sud », et qui en avons été bien mal récompensés par les massacres de Sétif en mai 1945 puis par les tueries du 17 octobre 1961 à Paris. De cela, sans doute inspiré par un souci d’« équilibre » et de mise en perspective historique, dans un roman assez court, certains pourront penser que c’est à la fois trop et trop peu.
« Vous irez aux Vraies Richesses, n’est-ce pas ? » Ainsi l’auteure interpelle-t-elle le lecteur à la fin de l’ouvrage. C’est peut-être beaucoup demander aux anciens de l’Algérie française. Mais ils devraient savoir gré à Kaouther Adimi d’avoir rendu hommage à Edmond Charlot, mort en 2004 à Pézenas, la ville du Sud où il s’était retiré.