Désarmement, démobilisation et réintégration au coeur des conflits armés sahéliens

Auteur Gildas Lemarchand
Editeur l'Harmattan
Date 2021
Pages 319
Sujets Maintien de la paix
Sahel

1990-2020
Cote 65.651
Recension rédigée par Christian Lochon


Préfacé par Olivier Hanne, dont nous avions dans ces colonnes recensé le livre sur Mahomet (Belin 2013), le fil rouge de cet ouvrage de M. G. Lemarchand est bien analysé dans la postface du Général B. Clément-Bollée : « Au-delà de la dimension économique pour fournir à l’ex-combattant une activité génératrice de revenus, il s’agit de tenir compte de la dimension psychologique et sociale pour le préparer à son retour au sein de la société civile » (p.264). Le processus DDR (Désarmement, Démobilisation, Réintégration) est un programme onusien destiné à soutenir des États défaillants ébranlés par des guerres civiles. Cet ouvrage décrit son application dans les trois grands pôles du Sahel, l’Azawad, le Centre du Mali et le pourtour du Lac Tchad (p.149), donc l’intégralité de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Nigeria, du Cameroun, du Tchad (p.39) sur la grande ligne de démarcation entre Arabo-Berbères et Africains subsahariens. Cette large région de contact entre les deux Afriques, ainsi qu’entre l’Atlantique et la Mer Rouge s’étend sur 3 millions de km2 et une dizaine de pays (p.151).

L’auteur souligne l’extrême complexité de la gestion du DDR (p.263), créé en 1990 au Nicaragua en liaison avec l’Opération de maintien de la paix (p.49).

Le DDR est une bonne intention assortie de fonds colossaux. Il est corollaire de l’absence de l’État ou de son incapacité à démobiliser, comme à Bamako (p.53).

L’enjeu est de réussir la réintégration sociale de filles et de garçons qui ont pris les armes pour tuer (p.21) ; le ciblage des anciens combattants est nécessaire pour les faire participer au processus (p.69), de même que celui des miliciens, des officiers, des enfants-soldats, des femmes (p.84 à 88). La destruction des armes est recommandée à cause de l’insécurité des zones de stockage (p.73). C’est la formation professionnelle qui permet la réintégration (p.264), laquelle comporte la réconciliation, les droits de l’homme, la justice (p.76). Pour que le DDR fonctionne, le cadre global doit fournir revenu, sécurité et reconnaissance (p.146). 25 pays africains ont connu un processus DDR depuis la Namibie entre 1989 et 1999 (p.89). Le cas le plus traumatique est celui de la RDC, où 7 pays ont participé aux combats (p.93).

Les gouvernements locaux en tirent un revenu et les groupes armés en profitent pour se faire connaître de la communauté internationale (p.63). Le DDR est senti comme une opportunité pour relayer l’outil sécuritaire afin de permettre le maintien de l’instabilité sahélienne à un niveau soutenable (p.201). Les États locaux luttent pour obtenir cette rente de l’insécurité qu’ils obtiennent à cause des fonds accordés mondialement à la lutte contre le terrorisme (p.209). Ces États externalisent leur survie en faisant de la sécurité nationale un moyen de maintenir l’ordre politique tel quel (p.215). Africaniser la sécurité devient une tendance générale et permet aux États de s’emparer des questions sécuritaires plus larges que la fourniture des troupes (p.233).

La région sahélienne met en contact le Bilad el Beydan (en arabe, Pays des Blancs) et le Pays des Noirs, Bilad Es Sudan (p.38). L’expédition marocaine à la fin du XVIe siècle contribua à soumettre les populations noires aux puissances maures, touareg et peules avant que la France apporte la paix (p.39). Se succédèrent l’activité prosélyte des confréries (p.170) des Qadiriyas et des Tijaniyas puis les trois empires jihadistes et esclavagistes du XIXe siècle, celui du Sokoto fondé par le Peul Ousmane dan Fodio (1754-1817), du Macina fondé par un autre Peul Sékou Amadou (1773-1844) et de l’Empire Toucouleur fondé par Omar Tall (1796-1864).  Aujourd’hui, les milieux urbains, soutenus par les ONG du Golfe ont poussé à l’adoption de la charia comme au Nigeria (p.171). En février 2014, à l’initiative de la Mauritanie, le G5 Sahel est fondé avec le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, le Niger (p.18 et 29). On pourrait aller plus loin avec la mutualisation des programmes car le Niger a des initiatives pertinentes concernant la réforme du secteur de la sécurité et de la justice ; le Tchad a une bonne connaissance de la démobilisation militaire, la Mauritanie dispose d’une doctrine des points votaux très efficace, le Burkina Faso enseignerait la stratégie de jeu sur les facteurs communautaires mais le Mali reste le centre de l’insécurité (p.259). De ce fait, le contexte sécuritaire et le manque de coopération qui en émane réduisent les perspectives d’appropriation sahéliennes des programmes DDR.

Au Nord Mali, où résident des Maures, des Touaregs, des Songhay qui se disputent les points d’eau, l’Accord d’Alger de 2015 a prévu le processus des DDR en faveur du Mouvement National de Libération de l’Azawad (p.33) qui avait combattu l’armée malienne et occupé les deux-tiers du pays. L’AQMI les avait neutralisés (p.168). Les armes provenant de l’effondrement libyen avaient été revendues aux groupements terroristes par les soldats déserteurs (p.117). Le Président malien Traoré demanda l’aide française en janvier 2013, d’où les Opérations Serval et Barkhane. L’absence de l’investissement de l’État malien dans la sortie de crise a multiplié les milices d’autodéfense (p.202) ; 74% de la population du Nord, 54% du Centre, 48% du Sud ont des milices paramilitaires ; les groupes armés sont aux yeux des populations plus présents et plus efficaces que les acteurs étatiques (p.203). De plus, Bamako ne veut pas s’investir dans le programme de DDR. Au contraire, le Tchad, discipliné par un état d’urgence permanent, est réputé comme l’État sahélien du tout militaire et de la qualité des troupes (p.132). Au Cameroun, dont l’armée est une des meilleures de la région, le processus du DDR a été appliqué dans une situation de contre insurrection (p.145).

Au Nigeria, la lutte entre Yorubas et Haoussas (p.187) est pérenne, de même que la violence sociale malgré l’adoption du programme DDR de 2012 (p.139).

Aujourd’hui, un Nigérian sur cinq est favorable à l’installation d’un État islamique (p.194). Les miliciens du Boko Haram, dopés au tramadol (p.158), ont investi l’État de Borno, menacent le Tchad, le Cameroun, le Niger (p.193) et même les Salafistes (p.220).

La pauvreté comme vectrice du djihadisme est mise en avant par les gouvernements sahéliens qui en tirent une assurance sécuritaire ; les djihadistes utilisent le même argument pour attirer les damnés de la terre (p.222). En fait, la surinfection jihadiste au Sahel résulte de la volonté des groupes armés de s’implanter localement en instrumentalisant l’ethnicité (p.57). S’ajoute la transnationalisation qui constitue un autre facteur de l’insécurité sahélienne et africaine ; sur 33 guerres civiles récentes en Afrique, 26 avaient un caractère transnational (p.155). La Mission de l’Union Africaine, MISAHEL, s’est révélée inefficace (p.30). La Mission des Nations Unies au Mali, MINUSMA (p.29) a été mise à mal en 2019 par la katiba Macina car mal organisée malgré les subventions (p.210).

Le lecteur appréciera la remarquable cartographie due à l’auteur (p.268 à 296) ainsi que la liste des sigles et des abréviations (p.13 à 16) qui permettent de mieux comprendre la richesse des informations de l’ouvrage. La bibliographie est également substantielle (p.297 à 313).