Auteur | Janvier Ndikumana |
Editeur | l 'Harmattan |
Date | 2021 |
Pages | 261, 352, 350 . Tomes 1 à 3 |
Sujets | Burundi-Histoire |
Cote | 65.816 |
Les éditions l’Harmattan publient une étude volumineuse consacrée au Burundi, répartie en trois tomes selon un plan chronologique - période précoloniale, coloniale, postindépendance. Ces trois volumes mettent en exergue la question « raciale », celle des rapports entre Noirs et Blancs d’une part, entre Hutus et Tutsis d’autre part. Les conditions de la rédaction ne sont pas précisées. On apprend seulement que l’auteur est mort en 2009. Le contenu des deux premiers tomes donne à penser qu’ils furent écrits dans les années 2006-2008. Le troisième qui fait état de l’élection de Barack Obama peut être daté de 2008-2009. De nombreuses répétitions de phrases et de paragraphes entiers dans la dernière partie de l’ouvrage trahissent un travail inabouti que l’éditeur livre tel quel, sans souci de mise en forme éditoriale. Aucune explication n’est d’ailleurs donnée des conditions d’édition d’un livre brut de décoffrage, douze à quinze ans après sa rédaction.
La quatrième de couverture informe que l’auteur fut un temps directeur général de l’information du Burundi dans les années 1970-1980, avant une longue carrière dans le secteur privé (approvisionnement pétrolier, énergie). Son parcours ne le prédisposait pas à une recherche de type académique ce qui se ressent à la lecture d’un ouvrage brouillon, une logorrhée dont la matière aurait pu tenir dans un seul volume. Un lecteur non familier des réalités socio-culturelles burundaises, de l’histoire et notamment des événements politiques dramatiques du Burundi et du Rwanda depuis les indépendances aura le plus grand mal à se retrouver dans un récit foisonnant autant que désordonné. L’auteur y défend avec passion une vision du Burundi portée par un sentiment patriotique qui le presse à réécrire le roman national.
Dans un bref avant-propos Janvier Ndikumana annonce sans détour son projet de dévoiler « la vraie face du Burundi » que les étrangers auraient été incapables de comprendre. Il se présente comme précurseur d’un projet de « réécriture de notre histoire. Son auteur n’a rien d’un spécialiste patenté ; c’est un citoyen animé par sa seule bonne volonté, qui tient à partager avec les autres le résultat de ses cogitations menées à l’aide de ses cinq sens, épaulés par la curiosité intellectuelle. En quelle qualité a-t-il pris cette initiative ? En celle d’ayant droit du Burundi, qui ne veut pas emporter dans la tombe ce qu’il sait de son pays et sa société » (tome I, p 14). Le livre, qui n’est en aucun cas un livre d’histoire, se situe ainsi au carrefour du témoignage et de réflexions à bâton rompu sur l’essence du Burundi comme sur le sens de la vie. Quelques références linguistiques et étymologiques et de très nombreux proverbes que le lecteur non familier de ce mode d’expression métaphorique très prisé en Afrique risque de trouver ésotériques, esquivent les méthodes classiques d’analyse en sciences sociales-historiques, anthropologiques, géopolitiques etc.
L’auteur entend, avant toute chose, se départir de la vision héritée de la colonisation. Cela explique sans doute l’indigence de la bibliographie. Jean-Pierre Chrétien et Filip Reyntjens, incontournables, sont certes cités, et le « Burundi » de Jean-Paul Harroy, dernier Gouverneur-général du Ruanda-Urundi, est abondamment utilisé dans l’intention de dénoncer la politique belge et de déconstruire le regard colonial. Pour le reste, les positions défendues par l’auteur tiennent de la profession de foi et renvoient à quelques postulats destinés à étayer la thèse centrale du livre : « le problème Hutu-Tutsi » est une invention coloniale ; le Burundi ancien ne connaissait aucune tension « raciste » ; le Burundi et le Rwanda sont de « faux jumeaux », ce dernier étant responsable de l’émergence du « hutisme » au Burundi et conséquemment des « génocides » qui accompagnèrent les coups d’État à répétition dans un pays qui aurait été autrefois un modèle d’unité nationale. « Au total, la discorde du Barundi aura duré 41 ans contre 500 ans de vie sans histoire au niveau communautaire » (tome III, p 308). En 2009, à la veille de sa mort, Janvier Ndikumana fait un pari sur l’avenir : « A l’intérieur du Burundi, la baisse des tensions est donc en passe de devenir une réalité » (Tome III, p. 329). La dernière décennie a malheureusement contredit cet optimisme tout comme la vision angélique d’un pays dont tous les maux ne sont à l’évidence pas tous imputables au choc colonial.
Le premier tome s’inscrit dans la veine d’une représentation d’un âge d’or, celui d’un pays formé d’une seule « ethnie », simplement subdivisée sur la base des activités professionnelles (éleveur, cultivateur, artisan potier, administrateur), constituant « une nation, tout le monde le sait » (Tome I, p 59). « Avant l’intervention de l’Homme blanc, le Burundi était un pays uni, bien structuré et respecté dans son voisinage. Le ciment de cette unité, la base de cette force, était sa philosophie de l’Ubuntu » (Tome I, p. 79). Le Mwami constituait « la courroie de transmission de la vie et du bonheur au Burundi » (p. 105). La vache était au cœur d’une économie de subsistance et la cheville ouvrière d’une société où tout le monde était plus ou moins agriculteur et éleveur, la hiérarchisation dépendant du nombre de vaches qui distinguait le statut de tutsi, minorité détentrice des plus grands troupeaux, de celui de hutu, une certaine fluidité, notamment par la voie du mariage, régissant les rapports entre ces deux catégories sociales. Au sommet de la hiérarchie le clan des Ganwa composait une aristocratie princière. « Le Burundi de nos ancêtres était celui d’un compromis social et de la convivialité politique, en même temps que celui de la tolérance, de l’humanisme, et de la discipline » (Tome I, p. 222).
Le tome II, portant sur la période coloniale, dénonce les processus de racialisation, considérés comme l’application du principe « diviser pour régner ». Pour l’auteur, les Européens, Allemands puis Belges, n’ont rien compris au fonctionnement de la nation burundaise en calquant une représentation issue de leur propre histoire, opposant les « seigneurs » tutsi aux « serfs » hutu à l’instar du modèle « féodal ». L’histoire écrite du Burundi, travestie par les Blancs doit donc « être remplacée par une autre », écrite par les Noirs, pour en extirper le poison d’un « racisme » étayé par les thèses pseudo-scientifiques relatives aux origines « hamites » des Tutsi qui auraient imposé leur pouvoir sur les peuples « autochtones » Hutu des hautes terres de la région des grands Lacs. Janvier Ndikumana revisite ainsi toute l’histoire du Ruanda-Urundi, pointant la prédilection des Européens envers les Tutsi, bénéficiaires de la scolarisation, alors que les Hutu étaient relégués aux tâches productives. L’émergence du nationalisme parmi les « évolués » Tutsi et le revirement politique de la Belgique qui, au nom de la « démocratie majoritaire », prit le parti des Hutu et de la « révolution sociale » à la fin des années 1950 déclencha le processus de violence et de haine inter-ethnique qui culminera en 1994 avec le génocide des Tutsi. L’ouvrage n’apporte à cet égard rien de nouveau et manque de clarté et de précision dans l’analyse des réactions politiques différenciées opposant le Rwanda, « hutuisé » dès 1959, et le Burundi où le pouvoir tutsi, fortement implanté dans l’armée, s’opposa aux tentatives de « génocide » hutu en perpétrant de son côté les massacres de 1972 sur lesquels l’auteur est fort peu disert. Il revient en revanche à plusieurs reprises sur les assassinats qui émaillèrent l’histoire politique burundaise depuis celui du mwami des Ganwa, le prince Louis Rwagosore en 1961, qui aurait pu, selon son analyse, perpétuer une royauté fondée sur la concorde entre les différents segments de la population burundaise, mais « ouvrit la porte à une impitoyable lutte pour la succession » (Tome II, p 16) , jusqu’à celui du président hutu Melchior Ndadaye en 1993, annonciateur de la tragédie rwandaise.
Dans le troisième tome, Janvier Ndikumana avance quelques clés de compréhension de l’histoire violente du Burundi indépendant confronté aux changements sociaux et culturels initiés par la colonisation. Il souligne combien les religions étrangères, principalement le christianisme, l’école, porteuse de nouvelles valeurs, la monnaie et l’urbanisation ont concouru à l’acculturation, à la perte de l’ubuntu qui « servait de ciment à la cohésion sociale » (Tome III, p. 52). La dimension démographique des massacres dans une des régions d’Afrique ayant les plus fortes densités n’est pas éludée mais écartée au prétexte que l’intensification agricole est possible et permettrait de nourrir une population de plus en plus nombreuse dont l’auteur ne veut pas voir que sa croissance conduit à une impasse, les tensions foncières sans cesse accrues sous l’effet d’une démographie non contrôlée constituant un paramètre essentiel des violences intercommunautaires.
La mise en cause du système électoral calqué sur les pratiques des démocraties occidentales fait l’objet d’amples développements. C’est une question cruciale qui concerne la plupart des États africains. Constatant que « l’idéologie du hutisme » renvoie à un « dérivé du vote ‘un homme, une voix’ » (Tome III, p. 68), l’auteur préconise la réhabilitation des Bashingantahe, ces hommes d’expérience, sages et justes grâce auxquels « jadis l’unité était un acquis ». Au-delà de la vision enchantée du passé, l’idée de faire appel à un « corps constitué de notables élus au sein du peuple des Abarundi » (Tome III, p.249), capable de tempérer une jeunesse inexpérimentée, ne manque pas d’intérêt. Vœu pieux sans doute mais qui soulève une vraie question, celle du modèle de démocratie à inventer pour répondre aux spécificités sociales, culturelles, politiques des populations et à leurs aspirations à une paix durable. S’il est très excessif - sans compter l’usage abusif du qualificatif de génocide - d’affirmer que « le génocide, non seulement du Burundi mais de l’Afrique inter-lacustre en général, est toujours lié au système électoral » (Tome III, p. 273), il n’en demeure pas moins que la pertinence d’une forme de démocratie importée est interrogée avec raison.
C’est ainsi qu’en fouillant dans le grand fatras des trois Burundi, le lecteur chanceux ne manquera pas de découvrir quelques pistes, convenues ou inattendues, propices à stimuler la réflexion.