L'Amérique fantôme : les aventuriers francophones du Nouveau Monde

Recension rédigée par Jean Nemo


L’auteur avait déjà reçu, en 2016, le prix Delavignette pour son ouvrage « Histoire des coureurs de bois – Amérique du Nord 1600-1840 ». Une recension dudit ouvrage avait d’ailleurs été faite par l’auteur de la présente note de lecture et publiée peu après.

Nous sommes donc en terrain de connaissance. Quelques mots cependant à propos de cet auteur. À l’origine, universitaire à Laval, au Québec, aujourd’hui directeur de recherche au CNRS, « implanté » à l’EHESS, directeur du CENA (Centre d’Études Nord-Américaines), sa bibliographie est entièrement consacrée aux Français en Amérique du Nord. Ici comme dans d’autres ouvrages, des Français « aventuriers », ceci en raison de l’absence de volonté des Rois de France pour lesquels l’avenir du Royaume se jouait bien plus en Europe qu’outre océans. Comme aujourd’hui d’ailleurs dans les livres d’histoire scolaires, qui se soucie des quelques milliers de « coureurs des bois » (auxquels il consacra en 2016 un ouvrage). Ou aux Amérindiens qu’ils fréquentaient assidument, notamment en  épousant et en leur faisant des métis nombre d’Amérindiennes (« Empire et métissage dans le pays d’en-haut », 2003).

Ici à nouveau, le récit se poursuit, par l’intermédiaire de dix monographies biographiques, du « picaresque » à l’homme assassiné, de « l’homme libre » à celui « des montagnes ». Mais pas de style journalistique ou rapide. Ces biographies traduisent un travail de recherche approfondi, auprès des descendants mais aussi des archives, lointaines américaines ou plus proches européennes.

Ces hommes baptisés « coureurs des bois », « truchements », « trappeurs », « hommes libres », représentent « une contre-histoire de la colonisation » : celle des oubliés face au triomphe d’une autre sorte de colonisation, l’anglo-saxonne, nombreuse en effectifs, appuyée sur le refus et la relégation des Amérindiens et en partie sur l’esclavage. 

Dans son introduction, l’auteur rappelle sa rencontre dans une réserve, avec un « Indien, Alfred Junior Morsette, qui se réclame d’une ascendance française » (un métis du Manitoba, de père nommé Morissette). Conteur de haute volée, terminant la rencontre par « From a Frenchman to a Frenchman » et…une ceinture de perles. Plus loin il justifie son rappel de ce que furent ces coureurs des bois, car ils ne furent pas seulement « dissolus », « ensauvagés », illettrés donc incapables de laisser des archives ou autres correspondances ou mémoires.

« Comment est-on perçu dans sa société de naissance ? », « Est-il possible de devenir indien ? »

Dans sa conclusion, l’auteur tire quatre leçons « l’une porte sur les sources et le caractère typique, ou non, des personnages étudiés ; la deuxième s’attache aux fondations socioculturelles des circulations pelletières, en particulier à la dimension saisonnière de la vie de coureur des bois ; la troisième a trait aux ressorts de la sociabilité amérindienne, et à l’importance de la parenté et de la religion ; la quatrième est relative à l’écriture contrariée de l’Amérique française mais en France comme au Québec, on s’est souvent désintéressé aussi de cette Amérique franco-indienne de l’intérieur, comme le prouve le silence assourdissant du cinéma francophone. Puisse ce livre et ses personnages arrachés au sommeil des archives concourir à la redécouverte de ces mondes engloutis».

Un plaidoyer donc, argumenté, pour la redécouverte « de ces mondes engloutis ». Mais combien de « mondes engloutis » n’est pas faite l’histoire ? En outre, un ouvrage « savant », à l’appareil critique (notes, bibliographie, index, cartes) d’excellente qualité. À lire soit par intérêt pour de courtes histoires, soit bien plutôt pour y trouver matière à réflexion argumentée. Ce que recherchera probablement le lecteur dit « éclairé ».