Auteur | Abdallah Naaman |
Editeur | Erick Bonnier |
Date | 2017 |
Pages | 359 |
Sujets | Alaouites Histoire Syrie Histoire |
Cote | 62.801 |
Cet essai sur les Alawites rédigé par M.Abdallah Naaman, pendant plusieurs lustres conseiller culturel près l’ambassade du Liban à Paris, souligne que cette communauté installée surtout en Syrie est tributaire de deux événements déstabilisants, le fait que, comme l’indique Joseph Kessel (p.85) : « Nul pays n’est plus complexe, révolté par nature que la Syrie » (En Syrie 1926) ; de 1943 à 1970, ce pays subit 8 coups d’État (p.139) et que la montée terrifiante du fanatisme islamiste entraîne une épuration religieuse et communautaire sans retour (p.337)
La communauté alawite n’est pas originaire de Syrie. Pour Bar Haebraus (m.1286), les Nuseyris viendraient de Nassiriyah, ville de l’Irak méridional, proche d’Ur, lieu de naissance d’Abraham (p.18). Les Alawites gagnent la Syrie sous les Hamdanides. Ce terme de « nusayri » est péjoratif pour les sunnites. Les « Nuseyris» obtiendront des Autorités mandataires françaises de se faire appeler dorénavant « Alawites ». Leur territoire sera autonome de 1920 à 1936 (p.98). La Turquie et le Liban ont également des communautés alaouites. Les Alawites, revendiquant l’héritage religieux d’Ali (p.21), reconnaissent onze Imams, le 11e décédé en 873 ; ils ne sont pas duodécimains comme les Iraniens. Nuseyr al Nimri prêche l’alawitisme ; il est emprisonné par le Calife Al Muktafi (p.22). Comme le druzisme, l’ismaélisme, l’alawitisme procède par initiations successives (trois) à partir de l’âge de 16 ans (p.26). On y enseigne une triade divine (p.29), constituée d’Ali qui crée Mohamed (Soleil), lequel crée Salman Al Farisi (Lune), la croyance à la réincarnation (p.32). Ce sont en fait des doctrines (p.76) issues du paganisme phénicien et cananéen, du mazdéisme, du manichéisme et du christianisme (Noël et Epiphanie fêtées). Le vin participe aux cérémonies ; le jeûne n’est pas suivi (p.34, 35) ; les cinq prières quotidiennes symbolisent Mohamed, Fatima et ses trois fils, Al Hassan, Al Hussein et Al Mohsen (p.40)
La société alawite est tribale ; ses membres se répartissent en quatre tribus, Chemali ou Chami, Qibli ou Quamri, Ghaïbi, Chafaq (p.38), subdivisées en nombreux clans, Khayyatin, Banu Ali, Kalbiyya entre autres (p. 70). En 1920, le Djebel Ansariyeh, leur région, compte 180 000 Alawites, 53 000 Sunnites, 45 000 Chrétiens, 6000 Ismaéliens sur une population évaluée en Syrie de 4,3 millions d’habitants (p.46). En 2011, les Alawites sont 3 millions en Syrie, 700.000 en Turquie, 60 000 au Liban ; 100 000 étant expatriés (p.49). Néanmoins, la moitié des Alawites ne vivent pas dans les régions alawites. En 1960, la réforme agraire a accordé aux métayers alaouites des terres arables. Mais certains Alaouites se trouvent dans l’opposition ; parmi eux, le grand poète Adonis, nom de plume d’Ali Ahmed Said Esber, réfugié à Beyrouth puis à Paris (p.301) ou la romancière Samar Yazbek (p.325), dont on lira avec intérêt son Journal de la Révolution syrienne (2012). Le Mandat français (1921-1943) donna l’occasion à de nombreux jeunes Alawites de s’engager dans l’Armée du Levant (p.129). En 1980, 70% des 200 000 soldats professionnels syriens sont alawites ainsi que 80% des officiers (p.150). Les Alawites sont également surreprésentés (p.173) dans les appareils répressifs et la police politique, dont les dirigeants appartiennent à la famille proche du Président.
Le Parti Nationaliste Arabe a été fondé en 1931 par un Alawite du Sanjaq (repris par la Turquie en 1938) Zaki Al Arsuzi (1900-1968) ; il fusionnera (p.133) avec le Baath (Résurrection) de Michel Aflaq (1909-1989) ; les officiers alaouites affiliés au Baath y consolideront leur pouvoir, fomentant les coups d’État de 1963, 1966, 1970, propulsant à la Présidence de la République l’Alaouite Hafez El Assad (p/135).
Les relations avec les autres communautés musulmanes ont été différenciées. Depuis la fatwa anti-alaouite d’Ibn Taymiyya (1263-1328), les Alawites seront toujours méprisés par la majorité sunnite (p.28 et 65). En 1188, Saladin, au XIIIe siècle, les sultans mamelouks Baybars et Ibn Qalaoun, au XVIe siècle, le Sultan ottoman Sélim essaieront de sunnitiser les Alawites. En 1571, les Ottomans leur imposeront un impôt spécial parce qu’ils ne respectaient pas le Ramadan (p.61 à 69). Il faudra attendre 1936 pour que l’Imam palestinien Amin El Husseini (1987-1974) émette une nouvelle fatwa assurant que les Alawites sont musulmans (p.101 et 115). Néanmoins, le pouvoir alawite depuis 1970, tout en réprimant violemment les attentats des Frères Musulmans, ne négligera pas de donner à des personnalités sunnites comme Mustafa Talas, Abdallah Al Ahmar ou Abdelhalim Khaddam des postes de responsabilité. Pour les relations avec les Chiites, dès 1911, un rapprochement des chefs religieux alawites s’opère avec les oulémas chiites du Jebel Amel au Liban ; les Alaouites adoptent alors le rite jaafarite. En 1948, des étudiants alawites se rendent dans les Facultés théologiques chiites de Nadjef en Irak (p.115). Actuellement, l’accueil pérenne des étudiants alawites en Iran conduit à leur adoption du chiisme duodécimain. Au Liban, la communauté alawite a été reconnue en 1936 et est représentée au Parlement libanais depuis 1972 par deux députés (p.117).
L’auteur évoque les événements tragiques que connaît la Syrie depuis 2011 et qui ont placé les Alawites au devant de la scène. Entre « chabbihas » (milices répressives du Régime) et « dabbihas » (égorgeurs daéchis) sunnites, comment choisir ? Le Conseil National Syrien, soutenu par l’Occident est dominé par les Frères Musulmans (p.199) et l’opposition syrienne est très hétéroclite sans programme commun. La population syrienne a subi d’horribles traumatismes. La guerre civile aura fait 500 000 victimes aux trois-quarts civiles et causé l’exode de plusieurs millions de citoyens. Toute solution devra donc passer par une restructuration politique, préconise M.Naaman, en faisant signer des accords comme ceux d’Al Tayf qui avaient mis fin à la guerre civile libanaise (p.242). La chute du Régime serait probablement le signe d’épouvantables massacres (p.332). Il faudra donc qu’il y ait une rotation des pouvoirs qui permettrait à toutes les confessions de participer à la gouvernance et la formation d’une élite intellectuelle et administrative (p.243).
Des compléments utiles ont été apportés par l’auteur comme la liste de 200 membres, dont 15 femmes, de l’intelligentsia alawite (p.257 à 326), celle des 34 Chefs d’État syriens de 1918 à 2018 (p.341) et une bibliographie généreuse en arabe, français, anglais, allemand (p.344 à 357). L’éditeur, pour une deuxième édition, voudra bien vérifier que « Mossoul n’est pas dans le bas Irak (p.58) qu’il faut lire « Pompée », p.61 et non « Pompéi », peut-être « mi-temps » pour « mitan » (p.117 et 240), qu’il n’y a pas « de régime éthiopien en Somalie » (p.248). M. Naaman, qui a passé, dit-il « 42 ans à surveiller le politique française au Proche-Orient », de son poste diplomatique à Paris, critique l’action de la France dans des termes peu diplomatiques ; ainsi, le Président Sarkozy y est-il traité de « burlesque » (p.186), Fabius (p.209) de « beau gadin » (sens ?), « Seule la France semble vouloir continuer à crâner » (p.253). On regrettera ce style pamphlétaire et un lexique nettement négligé p.85, 87, 200, 205, 206, 209 (« des déclarations encore plus idiotes »), 210, 222 (« le salafiste mal dégrossi »), p. 226 (« la sauce wahhabite »).
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