La Guyane pendant la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945

Recension rédigée par Jean Martin


La collectivité territoriale de Guyane, le rectorat de Cayenne et l’association des professeurs d’histoire-géographie de ce département d’outre-mer (APHG-G) ont institué en 2013 le concours annuel du jeune historien guyanais et encouragé une équipe de jeunes historiens et archivistes à rédiger et publier une série de cahiers consacrés aux diverses phases de l’histoire de ce territoire. Nous avons ici-même recensé le premier de ces cahiers qui traitait de la Guyane dans la Grande Guerre. Le thème retenu pour l’année 2019-2020, (septième cahier de la série) est celui de la Guyane pendant la seconde guerre mondiale (1939-1945). La même équipe, enrichie d’un collaborateur, (l’archiviste Philippe Guyot), s’est attelée à la tâche et l’a menée à bien avec autant de bonheur  que précédemment.

La p. 4 de couverture nous rappelle justement que le sujet est vaste. La tâche en question était en effet plus ardue que pour la période 1914-1918. Les fronts sont multiples, les influences diverses et la société guyanaise déchirée par des passions contradictoires. Une première partie (pp.4-84) est intitulée « La Guyane sous Vichy ». Qu’il nous soit permis d’objecter que, de septembre 1939 à juillet 1940, la colonie n’était pas encore sous la loi de Vichy. Elle était sous celle de la IIIe république agonisante. Nous apprenons (p.12) qu’environ 1.200 Guyanais furent mobilisés à la déclaration de guerre (septembre 1939). La moitié d’entre eux furent renvoyés dans leurs foyers, sur les 600 restants, 50 furent embarqués pour la métropole le 10 octobre 1939, 250 autres les suivirent le 24 octobre 1940. 15 d’entre eux périrent sur les champs de bataille ou furent portés disparus. (On peut penser que les 300 restants demeurèrent stationnés en Guyane).  P. 13, le lecteur se divertira plaisamment des mésaventures rocambolesques du tirailleur saramaka (noir marron) Kousset Albina, originaire du Suriname, et engagé volontaire à titre étranger à Cayenne en octobre 1939 (récit fort peu crédible en certains de ses passages). Fait prisonnier dans la Marne près de Soissons le brave Kousset serait parvenu à s’évader avec son commandant et quelques camarades, à s’emparer d’une locomotive dont il avait tué le mécanicien et après avoir roulé deux jours (à bord de cette machine allemande volée !) à atteindre la côte d’où il serait passé en Angleterre ! Des vérifications effectuées par l’anthropologue Bernard Price dans les archives militaires donnent de son récit une version moins pittoresque mais plus crédible…La lettre adressée, le 15 novembre 1940, par le soldat Roger Horth, fils d’un grand notable, à ses parents restés à Cayenne, est moins cocasse mais plus intéressante (pp.16 et 17). A l’issue de la campagne de France, il a été fait prisonnier près de Bains-les-Bains, dans les Vosges, en juin 40 et interné dans un camp provisoire près d’Epinal le 17 juillet. Les conditions de vie y étaient atroces mais il ne nous dit pas comment il parvint à s’évader, et à gagner Marseille où il vient d’être démobilisé. Il souhaite se rendre à Montpellier où il a des attaches, dans l’attente d’une hypothétique occasion de regagner Cayenne.

Au lendemain de la « drôle de guerre », la colonie, justement définie (p.6) comme  sous-peuplée et avide d’immigrants se trouva sous l’autorité de Vichy et elle allait y demeurer jusqu’en juillet 1943. La révolution nationale du maréchal Pétain ne se traduisit pas par une mutation brutale. Nommé par Gaston Monnerville en janvier 1939, le gouverneur Robert Chot, à l’origine radical bon teint, n’en appliqua pas moins la législation vichyste, antijuive et antimaçonnique, sans états d’âme apparents : il tenait de toute évidence à rester en poste et prononça des révocations de maires et de fonctionnaires ainsi que la dissolution du conseil général (en application de la loi du 8 décembre 1940), prit des mesures répressives, notamment à l’égard de l’Armée du Salut, et fit même interner quelques opposants mais il ne put empêcher l’exode d’un certain nombre de jeunes Guyanais vers la colonie néerlandaise voisine ou les Antilles  britanniques.

On trouvera (notamment pp 60-64) de bonnes pages sur la vie quotidienne des Guyanais sous la Révolution Nationale. Au fil des mois, le régime de Vichy devenait de plus en plus dur. Du fait des restrictions alimentaires, de l’arrêt des importations du Brésil, la population dut recourir à  des ersatz, consommant les fruits de l’arbre à pain, s’efforçant de vivre des produits  du jardinage et Cayenne se couvrit de jardins potagers. La trilogie MHR (Manioc, haricots et riz) devait constituer  la base de l’alimentation. Pour pallier les carences en alimentation carnée, les autorités encourageaient l’élevage des chèvres mais dans ce territoire pourvu de longues frontières, la contrebande devait être assez active. Les bagnards contribuaient au ravitaillement des habitants de Cayenne (les Indochinois par la pêche et les Nord Africains par la fourniture de charbon). Les habitants de Saint-Laurent souffraient plus de la pénurie que ceux du chef-lieu.

La surveillance douanière et policière s’était alourdie. Les commerçants et même les rentiers étaient l’objet de descentes de police, de perquisitions et de saisies de plus en plus fréquentes. L’or était particulièrement recherché. Les brutalités n’épargnaient pas les vendeuses du marché, et les propriétaires de postes de radio (à galène ou à accus) étaient étroitement surveillés, leurs récepteurs quelquefois saisis. (L’écoute des émissions étrangères était interdite). La presse locale qui se limitait à trois modestes feuilles dont la plus notable était l’hebdomadaire « La France Équinoxiale » était sous le contrôle absolu du pouvoir. Au moyen de nombreuses affiches, le gouverneur recommandait à la population de limiter au maximum la consommation de certaines denrées qu’il fallait acheter en devises, le pétrole lampant en particulier. D’autres affichettes préconisaient la fabrication de savon à partir des graines de courge.

Au départ, les Guyanais avaient paru s’accommoder de ce régime restrictif avec une relative résignation mais celle-ci eut tôt fait de tourner à l’aigreur. En novembre 1941, l’administration avait concédé aux États-Unis un assez vaste terrain pour l’aménagement d’un aérodrome au Gallion, en théorie à l’usage de la Pan American. Les Guyanais embauchés sur ce chantier  (Gallion field), qui débuta en février 1942, étaient beaucoup mieux rétribués que les journaliers des entreprises locales et le prestige des Américains s’en trouvait accru d’autant.

Le gouverneur René Weber, qui succéda à Chot en avril 1942 avait été gouverneur intérimaire de la Guyane en 1936-38. Il n’y avait pas laissé de mauvais souvenirs mais il se trouva confronté à une mentalité toute différente. Les sympathies des Guyanais pour la France Libre étaient de plus en plus manifestes : tous connaissaient la glorieuse aventure de leur compatriote Félix Eboué et la prochaine entrée en guerre du Brésil créait des perspectives nouvelles. Les opposants à Vichy et à la Révolution nationale avaient mis sur pied trois comités qui œuvraient à la préparation du ralliement : comité du médecin-commandant Parfaite, comité d’Albert Darnal (conseiller général révoqué) et comité de René Sorps. Tandis que les deux premiers avaient des liens avec les officiers de la garnison, le troisième était en relation avec le consul des États-Unis.

Le 16 mars 1943, une manifestation de masse sonna le glas du pouvoir vichyste en Guyane. Weber et ses principaux collaborateurs quittèrent Cayenne mais les giraudistes, appuyés par les Américains, parvinrent à imposer  leur candidat, Jean Rapenne, au poste de gouverneur et à faire échec à la venue de  Maurice Berthaud désigné par De Gaulle. Ce dernier en conçut un vif dépit.

Le rétablissement de la légalité républicaine et la remise en place des institutions furent lents, du fait de la mauvaise volonté de Rapenne qui tardait à appliquer les ordonnances du CFLN., refusait de convoquer l’ancien conseil municipal dissous et ne faisait guère mystère de son aversion pour De Gaulle. Le conseil général qui avait été dissout en 1940, reprit ses fonctions le 28 août 1943. Peu après, Albert Darnal fut élu délégué à l’assemblée consultative provisoire. L’un de ses premiers soucis fut d’obtenir la mutation de Rapenne, remplacé par le secrétaire général, l’Antillais Jean Surlemont (novembre 1943).

Au lendemain du ralliement, une vingtaine de jeunes Guyanais s’étaient engagés dans les armées de la France Combattante. Acheminés en Martinique, puis au Maroc, ils y étaient en cours d’entrainement pour l’armée de l’air quand survint la fin des hostilités. Le 28 mai 1943 un contingent d’une soixantaine de volontaires quitta Cayenne pour Fort-de-France à bord du croiseur  auxiliaire « Quercy ». Certains d’entre eux, acheminés en Afrique du Nord, prirent part à l’expédition de Corse, au débarquement de Provence et aux opérations dans la vallée du Rhône. Treize Guyanais périrent au combat, notamment en Alsace.

La Guyane sortit du conflit transformée, modernisée, enfin délivrée du bagne, longtemps considéré et à bon droit,  comme le fléau du pays. Elle allait être  bientôt départementalisée.

Agrémenté d’une riche iconographie, de nombreux encarts de presse et documents divers, cet ouvrage rendra les plus grands services aux collégiens et lycéens guyanais et à tous ceux qu’intéresse l’histoire de ce département. Il pourra également être utilisé comme livre du maître. Un lexique, des orientations pédagogiques et des sujets d’exercice complètent ce bel instrument de travail.