Deux mille ans d'évangélisation et de diffusion du christianisme

Recension rédigée par Paul Coulon


L’ouvrage de synthèse ici présenté n’a pas d’équivalent aujourd’hui dans le monde de l’édition ni en français ni en anglais. Sous le titre Deux mille ans d’évangélisation et de diffusion du christianisme, nous sommes en présence d’une somme, fruit de toute une vie de recherche et de publication de la part de deux auteurs lyonnais bien connus pour être des spécialistes de l’histoire religieuse.

Jean Comby (1931-2020) prêtre du diocèse de Lyon, ordonné en 1959, professeur aux Facultés catholiques de Lyon de 1975 à 1996, est l’auteur très connu de synthèses sur l’histoire de l’Église : son ouvrage le plus connu, Pour lire l’histoire de l’Église (Paris, Cerf, réédition 2003), a été traduit en huit langues dont le chinois. Auteur de plus d’une centaine d’articles, secrétaire et cheville ouvrière de multiples séminaires et colloques, il a toujours été très actif en histoire missionnaire, notamment au sein du Crédic (Centre de recherches et d’échanges sur la diffusion et l’inculturation du christianisme).

Engagé depuis les années 1970 dans l’effort collectif commencé par des historiens universitaires pour proposer une lecture scientifique du fait missionnaire, Jean Comby avait publié en 1992 un manuel à visée pédagogique intitulé Deux mille ans d’évangélisation. Il y dressait un bilan des connaissances à la lumière des travaux qui ont renouvelé dans la deuxième moitié du xxsiècle la vision de la diffusion du christianisme. Soucieux de ramener le lecteur aux sources, il ponctuait chaque chapitre de documents, d’autant que la crise des missions et la mise en cause de leur rôle s’accompagnent dans le contexte postcolonial de controverses où les idées reçues prennent souvent le pas sur la fréquentation des archives. Il avait entrepris de mettre à jour l’ouvrage au début des années 2000 pour une seconde édition restée à l’état de manuscrit non publié lorsque la Covid a précipité son décès…

Claude Prudhomme, lié à Jean Comby par toute une vie de travail et d’amitié, a décidé, alors, de poursuivre le projet sous le titre Deux mille ans d’évangélisation et de diffusion du christianisme, en reprenant pour l’essentiel la deuxième rédaction de Jean Comby mais en l’augmentant considérablement et en la conduisant jusqu’au pape François. Claude Prudhomme était particulièrement indiqué pour ce faire, professeur émérite des universités, Université Lumière Lyon 2, spécialiste de l’histoire des religions et des missions. Après avoir enseigné au Rwanda et à La Réunion, il devient maître de conférences à l’Université Lyon-3 et soutient en 1993 un doctorat d’État : Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous Léon XIII, 1878-1903. Centralisation romaine et défis culturels. Professeur à l’Université Lyon-2, il dirige le Centre d’histoire religieuse de 1998 à 2004. Il est l’auteur d’une Histoire religieuse de La Réunion (Karthala, 1984) et de Mission et colonisation (Le Cerf, 2005). Spécialiste d’histoire des missions, il a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques et a collaboré à de nombreux ouvrages dont le tome XIII de l’Histoire du christianisme (Éditions Desclée, 2000). Avec J.-D. Durand, il a dirigé Le monde du catholicisme (Robert Laffont, Bouquins, 2017). Il a été rédacteur en chef de la revue Histoire, Monde et Cultures religieuses (Karthala) de 2013 à 2017. Sa notoriété et sa connaissance notamment de l’histoire des Églises d’Afrique l’ont fait choisir pour être membre du Conseil pontifical des sciences historiques.

Quels sont les buts poursuivis par cet ouvrage de 760 pages ? Proposer un parcours continu à travers l’histoire de la diffusion du christianisme, au-delà des clivages confessionnels en l’appuyant sur 172 textes sources, 22 cartes, 25 tableaux et graphiques, plus de 400 illustrations et 44 pages d’index général, tout en fournissant des informations (notamment bibliographiques) pour permettre d’approfondir les points souhaités.

Les termes « mission » et « missionnaire » ont pris un sens particulier, technique en quelque sorte, à partir des Réformes du XVIe et du XVIIe siècle, d’abord au sein de l’Église catholique. Des hommes et des femmes, mandatés par une communauté, sont envoyés pour propager la foi et mettre en place des institutions ecclésiales. Généralement, ils partent d’Europe pour aller au-delà des mers.

Aujourd’hui, l’emploi des mots mission et missionnaire est devenu délicat. Certains gardent du missionnaire l’image d’un personnage à l’esprit aventureux, entièrement dévoué à son apostolat, mais le discrédit a été jeté sur le prosélytisme et les missions sont souvent associées au colonialisme et à l’impérialisme culturel. Quant au terme d’« évangélisation », il s’est imposé comme une formulation plus pacifique et respectueuse pour qualifier la proposition du christianisme aux peuples qui n’ont pas eu connaissance du message chrétien. Il s’étend aussi aux sociétés occidentales et aux réalités propres de notre temps : l’économie, l’éthique, les relations sociales, la culture etc.

Conscient de ces difficultés, cet ouvrage veut être une histoire de l’universalisation du christianisme des origines à nos jours. On y voit comment des hommes et des femmes sont devenus chrétiens au cours des siècles, comment le message évangélique proclamé pour la première fois en Palestine, un coin reculé de l’Empire romain, au temps de l’empereur Tibère, a été annoncé dans la terre entière. Cette histoire de l’évangélisation s’efforce d’éclairer les raisons de l’accueil et du refus du christianisme à travers le monde. En effet, l’évangélisation ne peut se dissocier d’une confrontation avec des peuples et des cultures, souvent dans un contexte de violence. Enfin, cette histoire doit prendre en compte le choc en retour provoqué par la connaissance des nouveaux peuples évangélisés sur les anciens chrétiens d’Europe.

Cet ouvrage n’est pas un traité de missiologie ni une théologie de l’évangélisation. Il ne s’adresse pas à des spécialistes. Il veut simplement donner à tout public un panorama de l’histoire du développement du christianisme. Le but n’est cependant pas de tendre à une exhaustivité illusoire, et forcément provisoire, ni d’atteindre une objectivité qui transcenderait les frontières confessionnelles et les divergences d’interprétation. Il est plus modestement de rendre compte avec justesse et mesure d’une histoire qui retrace les étapes de la diffusion du christianisme dans l’espace et dans le temps tout en mettant l’accent sur les modèles d’évangélisation promus au cours de l’histoire, sur les acteurs et les moyens mobilisés pour les mettre en œuvre, sur les questions soulevées et les réponses apportées. Les étudiants qui voudront l’utiliser comme guide trouveront indiqués des instruments de travail pour une étude plus approfondie.