Les Trente honteuses : aux origines de la fin de l'influence française dans le monde arabe et au Moyen-Orient : de la fin de la guerre d'Algérie (1962) à la fin de la guerre civile libanaise (1990)

Recension rédigée par Yves Marek


Roland Lombardi, docteur en histoire contemporaine spécialiste du monde arabe, de géopolitique et de défense, est consultant indépendant en géopolitique et contribue à de nombreux sites d’informations. Ceci explique que si le livre est issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2015 « les relations franco-israéliennes durant la guerre du Liban (1975-1990) au regard de la politique arabe de la France initiée à partir de 1962 », il adopte pour l’essentiel un style facile à lire et journalistique souvent à la limite du pamphlet.

Par rapport à la thèse, le champ est élargi et l’angle est grand public pour démontrer l’effacement de la France du monde arabe. Pour autant, le titre est plus ambitieux que le livre qui traite très peu du Maghreb ou de la Libye, assez peu de l’Irak et de l’Iran, encore moins de la Mauritanie ou du Soudan, et qui reste principalement concentré sur la relation à Israël et sur la guerre du Liban.

Un premier chapitre explique assez bien comment la France est passée du statut d’ami et de fournisseur d’armes d’Israël sous la Quatrième République, à la « politique arabe de la France » inaugurée en 1962. L’auteur s’étend longuement sur la thèse ancienne et répandue d’un antisémitisme traditionnel du Quai d’Orsay, le compare avec les sympathies des militaires pour le jeune État hébreu et met en cause l’hostilité à Israël de Présidents et de ministres. Pour autant, l’auteur explique aussi par des raisons de fond moins subjectives le revirement français. D’une part, il fallait que la guerre d’Algérie finisse pour que la France n’ait plus besoin d’un soutien israélien et pour que les dirigeants arabes puissent nouer des liens d’amitiés avec Paris. D’autre part, l’importance du soutien américain à l’État hébreu laissait à la France peu d’espoir d’y trouver des marchés équivalents à ceux des pays arabes.

Si l’auteur donne le sentiment de regretter ce tournant, il constate le succès de cette manœuvre qui, encore plus après les chocs pétroliers et l’abondance des pétrodollars, a permis à la France devenir un fournisseur considérable d’armes et à ses entreprises de génie civil de remporter des contrats par centaines.

Un autre volet important et très détaillé-dans lequel l’auteur montre sa très bonne connaissance des stratégies de toutes les factions-concerne la guerre du Liban. Le livre a le mérite de se baser sur des archives nombreuses, des déclarations des protagonistes, des confidences pour la plupart non sourcées de membres de services de renseignements pour décrire le jeu des alliances.  L’auteur fait ente les lignes ou plus explicitement le reproche à la France de n’avoir pas soutenu les Chrétiens du Liban et d’avoir choisi de sauver Arafat. On pourrait croire que la France aurait eu le tort de n’avoir pas souscrit à un projet de règlement définitif de la question palestinienne au détriment du Fatah et de l’OLP sur lequel s’entendaient aussi bien Ariel Sharon que Béchir Gemayel et Hafez-Al Assad.

Le livre décrit l’état d’esprit des Présidents Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac et de tous les ministres (Cheysson, Dumas, …) et autres acteurs. L’auteur n’est pas tendre avec la diplomatie française, reprochant à notre pays, tantôt le soutien à l’ayatollah Khomeini, tantôt les complaisances supposées avec les mouvements terroristes palestiniens, tantôt le rapprochement avec la Syrie après les attentats contre les soldats français… Seule la fermeté de Charles Pasqua à l’égard de l’Iran semble trouver grâce aux yeux de l’auteur. La critique du corps diplomatique français traverse tout l’ouvrage.

Pour autant, le livre ne démonte pas vraiment comme l’indique le sous-titre du livre la fin de l’influence française dans le monde arabe. Il montre même assez honnêtement que cette politique a assuré à la France parfois une certaine popularité et surtout des succès commerciaux non négligeables. En filigrane, et à plusieurs reprises, on devine le fil conducteur psychologique de l’ouvrage : reprenant une phrase de Michel Rocard, l’auteur exprime la conviction qu’en particulier dans le monde arabe, on ne s’attache pas le crédit de ceux que l’on veut séduire en rompant avec leurs ennemis. Implicitement pour l’auteur le refus d’avoir une forte relation avec Israël et l’abandon des chrétiens du Liban seraient presque les principales causes de la perte de crédit de la France dans le monde arabe.

Le caractère un peu pamphlétaire du livre a donc le mérite de stimuler le lecteur et de permettre au livre d’atteindre un large public, plus large que celui des écrits moins engagés.