Auteur | Thibault Bluy |
Editeur | Les Éditions du net |
Date | 2020 |
Pages | 246 |
Sujets | Reportage Burkina Faso Burkina Faso Histoire |
Cote | 63.383 |
Thibault Bluy est un jeune diplômé de l’école de journalisme de Sciences Po Paris qui a soif d’Outre-mer. Il veut découvrir le monde et s’enrichir de la différence des autres. Après un passage à la Hong Kong Baptist University, il a effectué des stages à Algérie Focus à Alger, puis à l’Express ; il devient journaliste à Telquel, basé à Casablanca, puis chef d’édition web Maghreb Moyen Orient à Jeune Afrique pendant 16 mois. Entre temps, il est tenté par une expérience en Afrique subsaharienne. Ce sera le Burkina Faso, où il intégrera l’équipe du quotidien burkinabè bien connu, L’Observateur Paalga. Autant dire qu’à 27 ans, il a déjà une solide expérience, à la fois de la profession de journaliste et des techniques de pointe de l’information, et aussi de terrain, puisqu’il séjournera au Pays des Hommes intègres de juillet 2015 à mai 2016.
Cette période charnière de la démocratie burkinabè sera émaillée de plusieurs événements : tentative de déstabilisation des autorités de transition le 16 septembre 2015, après la démission du Président Blaise Compaore un an avant ; campagne présidentielle mouvementée conduisant Roch Marc Kabore à la magistrature suprême ; premiers attentats « terroristes », comme celui du Capuccino le 15 janvier 2016.
Thibault Bluy nous relate ces évènements avec précision, confesse ses peurs face à des situations auxquelles il n’est pas habitué, bien que la France ait payé un lourd tribut à des actions violentes lors de la journée terrible du 7 janvier 2015 à Paris. Les développements consacrés à ces troubles nous transportent à l’intérieur même de l’action, comme si nous y étions. La description des lieux, des hommes, civils comme militaires, de l’ambiance électrique qui régnait à Ouagadougou, sont autant d’éléments qui nous permettent de nous immerger dans le monde que le jeune reporter décrit si bien. Il ne se contente pas de nous brosser un tableau de la capitale en ces moments historiques. Il nous fait voyager en brousse et à cette occasion attire notre attention sur des sujets auxquels le lecteur lambda est peu habitué : la création de « milices d’auto- défense » baptisées Koglweogo censées suppléer le manque de forces de l’ordre dans le « bush », ainsi que le trafic d’ânes avec des détails qui susciteraient l’indignation de tout ce que la planète (et surtout le monde occidental) compte de défenseurs des animaux.
Pour compléter la partie burkinabè de l’ouvrage, qui comporte aussi des reportages publiés majoritairement dans L’Observateur Paalga, Thibault Bluy nous conduit sur les routes du Tour du Faso, créé par le capitaine Sankara en 1987 et qui est devenu une épreuve sportive phare du pays et réputée dans le monde du cyclisme mondial. Il nous dépeint l’ambiance si particulière qui y règne, l’enthousiasme des spectateurs massés au bord de routes, des Tifosi, et du parcours qui nous fait découvrir les principales étapes de cette ronde.
Contrairement à ce que laisserait supposer le titre du livre, tous les reportages ne concernent pas le Pays des hommes intègres. Profitant de son année d’immersion au Burkina Faso, l’auteur en profite pour découvrir une partie de la sous-région : le Ghana, le Togo et le Bénin qui constituent avec la Côte d’Ivoire les points de passage obligés des denrées et autres produits arrivés par cargo dans leurs ports et qui sont en transit vers le Burkina. Pour s’y rendre, le routard diplômé de Sciences Po n’emprunte ni l’avion, ni la première classe en train, ni les hôtels de luxe où logent majoritairement les expatriés. Thibault Bluy choisit de partir avec son sac à dos arpenter les routes et les pistes d’Afrique de l’Ouest avec un pécule restreint afin de prendre le pouls de l’Afrique authentique, à l’occasion desquels il fait des rencontres aussi improbables qu’enrichissantes : des vendeurs de souvenirs et d’unités de téléphone, de chauffeurs de taxis au volant de leurs Au revoir la France, de cadres de haut niveau, et il découvre les délices de l’Administration locale, digne héritière de celle de l’ancien colonisateur. A chaque pays ses particularités. Au Ghana, l’auteur nous plonge dans le monde de la communauté rasta, de la culture de la boxe et du pèlerinage à Cape Coast, haut lieu de la traite négrière. En Côte d’Ivoire, pays frère auquel la Haute-Volta fut rattachée à une certaine époque de leur histoire commune, notre reporter nous emmène à Yamoussoukro, capitale sur laquelle flotte le fantôme du Président Houphouët Boigny. La traversée des deux autres États : le Togo et le Bénin sont également l’occasion de nous faire découvrir le contraste entre des capitales : Lomé avec son port où débarquent 1400 navires par an et Porto Novo ville « fin de siècle … avec ses immeubles coloniaux défraichis ».
L’ouvrage de Thibault Bluy atteste d’un attachement certain au continent qu’il vient de découvrir en menant la vie quotidienne des Africains. Une vie de labeur, de sacrifices, de débrouille et malgré les difficultés, une vie dans laquelle la joie, la bonne humeur et l’humour sont omniprésents. Dans son récit, l’auteur arrive fort bien à nous faire partager ses émotions, ses coups de cœur et ses interrogations. On reconnait ici la patte d’un essayiste qui tout en maniant la langue de Molière avec dextérité et précision, l’émaille de mots usités en Afrique de l’Ouest qui pourraient enrichir le « Dictionnaire des synonymes, des mots et expressions des français parlés dans le monde » que notre Académie fait vivre. Tout au long des développements de l’ouvrage, l’auteur prend la peine de faire des rappels historiques précis qui permettent au lecteur peu familier du continent de s’y retrouver avec de nombreuses notes de bas de pages, ce qui est souvent l’apanage du chercheur. Peut-être qu’un jour, Thibault Bluy, auquel vient d’être décerné un prix par La Journée du manuscrit francophone, nous surprendra par une étude académique en relation avec les pays qu’il sera amené à couvrir.
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