L'Inde contre vents et marées

Les diplomates ont un point commun avec les grands reporters et les académiques, tout au moins ceux qui ont passé une partie de leur vie à parcourir le monde : celui de faire bénéficier leurs contemporains de leurs expériences et de leurs analyses. L’Ambassadeur Claude Blanchemaison en est l’archétype. Ses affectations l’ont conduit dans de nombreux pays clefs, qui pour certains ont connu un essor majeur, au point de briguer les premières places dans bien des domaines.

En 2018, l’auteur a publié « Vivre avec Poutine » qui relatait les débuts de la Russie sous Poutine, avec force développements, tant sur ce chef d’État que sur le pays qu’il gouverne. Aujourd’hui, Claude Blanchemaison reprend peu ou prou la même méthode pour son nouveau livre ; à la différence près que cette fois-ci, il nous convie à une (re)découverte d’un pays qui commence à compter sur la scène internationale tout en étant moins médiatisé que la Russie.

L’Inde, bien que située aux marges de la zone Pacifique qui est devenue l’épicentre du monde, n’en demeure pas moins une puissance en devenir susceptible de constituer un contrepoids à la Chine populaire. La taille de sa population, équivalente à celle de son rival régional, pourrait laisser à penser que la lutte serait égale. Mais tel n’est pas exactement le cas. D’une part, le PIB de l’Inde, proche de celui de la France, ne représente que le cinquième de celui de la Chine ; d’autre part le sous-continent est traversé par des tensions internes dues à l’hétérogénéité de sa population en termes de religions et de classes sociales.

Claude Blanchemaison débute son ouvrage par une question qui taraude tous les pays du monde depuis deux ans : la pandémie de la COVID-19 et sa gestion approximative de cette crise sanitaire par l’Inde. Puis il dresse un panorama sans complaisance de ce pays, qui espère jouer un rôle majeur sur la scène internationale. En effet, les défis sont encore nombreux pour pouvoir rivaliser avec les grandes puissances : rêve contrarié de l’autosuffisance alimentaire, de l’eau, de l’énergie et du climat ; ce qui ne signifie pas pour autant que cet État soit dépourvu d’atouts : traditionnel esprit d’entreprise, tout comme en Chine, succès de son virage numérique grâce à la formation de dizaines de milliers d’informaticiens compétents ; enfin attractivité du pays pour les investissements étrangers à la faveur d’une classe moyenne anglophone et bien formée, à son vaste marché intérieur, à son pluralisme politique et à l’indépendance du système judiciaire.

L’Inde possède des avantages qui pourraient lui permettre d’accéder au rang tant convoité, car elle a les attributs d’une puissance majeure : dissuasion nucléaire et conventionnelle, coopération tous azimuts, avec toutefois des pays privilégiés dont la Russie, puisqu’elle date de l’URSS, rapprochement avec les États-Unis et les Européens dans la zone pour faire pièce au Pakistan et surtout à la Chine ; elle dispose d’industries de pointe, dans le domaine des médicaments,  du spatial ou de l’informatique. Toutefois, son environnement proche est de plus en plus attiré par les sirènes des « routes de la soie » proposées par l’autre géant asiatique.

Au plan intérieur, l’Inde prétend être « la plus grande démocratie du monde ». Elle s’est inspirée de l’ancien colonisateur pour bâtir ses institutions. La question de savoir si le système de Westminster est toujours adapté aux réalités du pays peut se poser. En effet, la diversité de sa population est une des composantes caractéristiques du pays, et la structure fédérale choisie comme pis-aller à l’indépendance contribue à une dispersion des énergies. Contrairement au régime communiste chinois, l’Inde a gardé une grande partie de ses traditions, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient. Ce dernier découle du fait que les dirigeants indiens doivent en permanence composer avec les pesanteurs sociologiques inhérentes à leur société. La personnalité et les ambitions de Narenda Modi, qui se définit comme un nationaliste hindouiste, seront-elles suffisantes pour faire de l’Inde le grand pays développé qu’il souhaite devenir ? L’Inde pourra-telle atteindre la taille critique pour accéder au rang de grande puissance ? Telles sont les questions auxquelles il est encore trop tôt pour répondre, tant les inconnues de cette équation sont nombreuses.

Après avoir agrémenté cette présentation d’un pays qu’il a arpenté jusque dans les plus petits villages, d’analyses et de nombreux souvenirs personnels, l’auteur termine son ouvrage par ce qui reste de l’influence française dans le pays et par ses efforts pour la faire perdurer.

Moins connue et surtout moins controversée que la Chine, l’Inde trace son sillon.

Ce livre contribue à une connaissance assez fine d’un pays où tous les scenarii ne sont pas écrits d’avance.

Claude Blanchemaison contribue, grâce à sa connaissance approfondie du pays, à nous livrer une grille de lecture qui nous permettra de décrypter son évolution dans les années à venir.