Auteur | Nizâmi Gandjavi |
Editeur | Maisonneuve et Larose |
Date | 2021 |
Pages | 125 |
Sujets | Littérature iranienne |
Cote | 65.391 |
Cet ouvrage a le mérite de faire connaître au public français un grand auteur de la littérature persane médiévale. Cette édition de cinquante poèmes (ghazal) et d’autant d’aphorismes de Nizâmi est due à l’initiative du Centre International Nizâmi Gandjavi de Bakou à l’occasion du 880e anniversaire de la naissance du poète. Le traducteur en français de ces textes a été le professeur azerbaïdjanais de littérature française Ali Moussayev ((1941-2005). CesGhazal, poèmes destinés à la bien-aimée, empruntés à la littérature arabeet ces Aphorismes proviennent d’un Divan (Recueil) qui aurait rassemblé 20.000 vers pour la plupart disparus. La forme poétique du ghazal d’origine arabe s’était répandue en Asie occidentale et centrale en versions persane et turque ; il se compose de cinq à quinze distiques (vers doubles) autour des thèmes de l’amour et de la séparation (p.56).
L’islamologue Karim Ifrak donne la biographie de Nizâmi (1141-1209), poète seljouqide, parlant le turc azéri, l’arabe, le pehlevi (perse ancien), considéré comme le plus grand poète épique et romantique de la littérature persane orientale à un moment où la langue arabe imposée perdait sa position dominante pour être remplacée par le persan (p.23). Il étudia à la Nizâmiya (collège universitaire) de Gandja, la théologie, la philosophie, la métaphysique, les mathématiques et les sciences. Il passa presque toute sa vie dans sa ville natale (p.28).
Son œuvre magistrale,Khamsé (Cinq en arabe), totalise 60.000 vers répartis dans cinq épopées, Makhzen al Asrar, Trésor des Mystères poème didactique sur fond mystique, Khosro et Chirine épopée romantique sur un amour contrarié, Leyla et Majnoun également sur le même thème adapté du célèbre poème chevaleresque homonyme de la littérature arabe préislamique, Haft Peykar (Sept beautés), recueil de sept nouvelles de la vie romancée du roi sassanide Bahram Gour et de ses sept épouses, Eskandar Namé (La Vie d’Alexandre), constitué de deux parties, Sharaf Namé (Livre de l’Honneur) et Iqbal Namé (Livre du Bonheur), narrant la vie d’Alexandre le Grand adaptée aux mythes islamiques (p.30 à 41).
L’influence de Nizâmi a été considérable. Comme la grande épopée de Ferdousi, Shahnamé (le Livre des Rois), le Khamsé figure parmi les œuvres manuscrites les plus fréquemment illustrées. Son œuvre inspira de nombreux poètes persans, turcs et indiens. En France, Barthélemy d’Herbelot (m.1695) lui consacre une notice due à Antoine Galland (m.1715) dans sa Bibliothèque Orientale. En 1809, Leyla et Majnoun fut traduit en allemand. André Miquel révéla la postérité de cette œuvre en Occident en rapprochant les personnages de Majnoun et de Tristan (p.12). L’Unesco déclara l’année 1991 « Année Nizâmi » (p.48-49).
Parmi les thèmes décrits dans les ghazals, on trouvera la beauté de l’héroïne : « Ses joues couleur de blé sont couvertes d’épis frais / Et le plus petit épi ressemble à une Vierge céleste » (p. 64) ; « Le vent de tes boucles musquées a rempli d’ambre ce monde, / Sens-tu ce parfum merveilleux ? J’ai besoin d’un ambre pareil » (p.75) ; « En voyant le visage de ma bien-aimée, j’ai déchiré mon manteau. / Regarde quel est ce miracle, le vin qui n’est pas encore bu, m’enivre » (p.77) ; mais aussi son indifférence : « La demeure du cœur est détruite, / où est la ravisseuse de l’âme et du cœur ? » (p.68) ; « Oh Nizâmi, essaie de lui tenir compagnie, même si tu en souffres, / Car celui qui a besoin de la rose, doit servir les épines » (p.77). La religion est souvent citée : « Tes rubis, comme Jésus, font des miracles extraordinaires » (p.69) ; « Moi j’attends patiemment et je prie mon Allah / Et j’accepte les souffrances et la vie qui s’en va » (p.74) ; « C’est seulement Nizâmi, ton esclave, qui fait ses prières pour toi » » (p.89) ; Nizâmi se cite presque à chaque poème : « Tu accordais ta grâce aux gens malheureux, / Refuserais-tu cela à Nizâmi amoureux ? » (p.64) ; « Nizâmi aujourd’hui est un Jacob souffrant » (p. 65) ; « Nizâmi tu as gagné beaucoup de biens dans ce monde / Mais un jour tu dois le quitter, où sont les provisions de voyage pour l’autre monde ? » (p.68) ; « Je suis Nizâmi … Qui supporte la douleur de tes épines sans avoir cueilli la rose » (p.84). Le poète évoque le monde dans lequel il vit : « La couronne des rois d’Akhsatan qui est le maître de mes poèmes » (p.87) ; « O Inde, vois-tu que notre Turkestan blanc de porcelaine est arrivé » (p.86) ; « O toi, devant laquelle tous les Turcs ressemblent aux Hindous » (p.89).
Les hyperboles de l’étiquette persane sont présentes : « Les poussières de tes pas serviraient de parfum pour moi » (p.83) ; « Je dévore les flèches de tes regards coquets comme du sucre, / Quoique leurs embouts sont empoisonnés » (p.91).
Les aphorismes portent sur la moralité : « Tout ce que tu feras de bon et de mauvais / Dans ce vieux monde n’est jamais oublié » (p.106) ; sur l’amitié : « Ton ami fidèle guérira par ses soins ta blessure / Et l’ami infidèle fera souffrir par les siens ta blessure » (p.101) ; « Un ennemi sage prêt à t’attaquer en tout moment / Est préférable vraiment à un ami ignorant » (p.105) ; sur la maîtrise de soi-même : « Sans maître, on ne peut arriver à la maîtrise / Mais le maître trouvé tu trouveras à ta guise » (p.105) ; sur les dangers de la vie : « La haine du scorpion est plus dangereuse que celle du dragon. / Le scorpion attaque en cachette, mais ouvertement le dragon » (p.107) ; « C’est la jeunesse qui nous donne la beauté / Et si la beauté s’éternisait, le cœur pourrait-il être gai ? » (p.108)
On remarquera quelques erreurs de traduction dans l’utilisation des prépositions, notamment, que reconnaîtront rapidement les persanophones. Sans doute, si le Pr. Moussayev n’était pas décédé en 2005, il aurait pu revoir la traduction avec un collègue francophone. Néanmoins, ce recueil donne l’occasion de connaître l’immense culture de Nizâmi que nous font découvrir également Mohamed Aziza, René Dor, Karim Ifrak, Ismaïl Serajeldin et Gulnara Sadikhova.
Les trente illustrations de Parnissa Asgarova, tout en modernisant le style classique des miniatures persanes, permettent également d’appréhender l’art azéri contemporain.