Auteur | Yann Le Bohec |
Editeur | Memoring |
Date | 2021 |
Pages | 115 |
Sujets | Juifs Afrique (province romaine) Histoire |
Cote | 64.104 |
Dans cet ouvrage, le professeur Yann Le Bohec a voulu faire le point sur une question souvent abordée, mais jamais vraiment traitée pour elle-même : celle des Juifs dans l’Afrique romaine. Pour cela, il met en œuvre toutes les ressources de l’épigraphie et de l’archéologie, ainsi qu’une lecture attentive des textes, textes législatifs comme écrits religieux, avec un accent particulier sur ceux des Pères de l’Église. Une abondante bibliographie, qui couvre la production sur le sujet de 1868 à 2011 (p. 104-115), souligne la valeur et l’ampleur de la documentation. Ce livre érudit, qui ne craint pas d’exposer et de discuter les thèses qui s’affrontent (par exemple au sujet de l’origine punique du judaïsme nord-africain, p. 19-20), est aussi un beau livre, aéré par de nombreuses reproductions en couleur, extraites essentiellement de la mosaïque qui décorait la synagogue de Hammam-Lif, aux environs de l’actuelle Tunis.
De l’analyse de la documentation se dégagent plusieurs conclusions. La première, c’est que l’établissement des Juifs en Afrique du Nord n’est pas antérieur à l’occupation romaine ; il faudrait plutôt en marquer les débuts aux Ier et IIe siècle de l’ère chrétienne, marqués par l’écrasement par les Romains des révoltes juives en Palestine en 70, puis en 136. Cette présence se développa par la suite, et connut sans doute son principal épanouissement aux IIIe et IVe siècles. Répandus par toute l’Afrique, les Juifs s’y associèrent aux colonies romaines et exercèrent, à l’instar de leurs habitants, des activités principalement agricoles. Ils purent pratiquer librement leur religion, admise par les empereurs polythéistes, même si leur refus de pratiquer le culte impérial les tint quelque peu à part. Synagogues et nécropoles particulières ancrèrent leur présence dans le pays. Sans être remise en cause, leur position fut plus difficile avec les empereurs chrétiens, notamment sous Théodose (379-395), qui leur imposa une législation discriminatoire.
Il est naturellement difficile d’apprécier complètement les rapports des Juifs de ce temps avec le reste des populations. Selon Yann Le Bohec, « les relations entre les Juifs et les chrétiens n’étaient pas bonnes dans les rues de l’Afrique romaine, sans pour autant s’accompagner de flots de sang ». Les Juifs considéraient les chrétiens comme une secte dissidente, d’autant plus dangereuse qu’elle se présentait comme l’accomplissement du message biblique. Les chrétiens redoutaient la capacité des Juifs à attirer vers eux de nouveaux convertis, ce qui leur attira les critiques de Tertullien, puis d’Augustin, qui s’efforcèrent par leurs écrits de convaincre les Juifs de leurs prétendues « erreurs ». Le prosélytisme des Juifs s’étendit-il aux tribus berbères peu ou non romanisées, avec des références comme celle de la légendaire Kahena, figure de la résistance aux conquérants arabes ? L’Antiquité n’en fournit guère de preuves, en dépit des affirmations du géographe Idrissi et de l’historien Ibn Khaldoun, très tardives (p. 32-33).
Nul ne doute que l’ouvrage de ce grand spécialiste de l’histoire de l’Afrique romaine, de renommée internationale, n’attire, au-delà du cercle des antiquisants, l’attention de tous les historiens de l’Afrique du Nord, et même d’un plus large public sur les débuts d’un enracinement presque deux fois millénaire, aujourd’hui malheureusement révolu.