Les insulés : exilés politiques en Corse

Recension rédigée par Yves Marek


À la recherche de souvenirs de son père, policier alsacien envoyé en Corse surveiller le Sultan Ben Youssef, futur Mohamed V, en exil, et partant de photos des archives familiales de la famille royale, Antoine Hatzenberger a élargi son sujet par des recherches multiples qui l’ont conduit aussi bien aux Affaires étrangères qu’à Tunis, et l’ont engagé sur la voie d’une rêverie sur tous les grands exilés non seulement en Corse mais sur toutes les îles de l’Empire.

On fait ainsi le tour des lieux d’exils de Bourguiba en Fance continentale et à l’intérieur de la Tunisie (le fort Saint-Nicolas de Marseille, la prison de Montluc à Lyon, le fort de Vancia dans l’Ain, Borj Leboeuf), mais aussi l’île de la Galite au large de Tabarka et l’île de Groix.

Mohamed V, après un court exil à Zonza en Corse, fut exilé sur la Grande île de Madagascar à Antsirabé, après sa criminelle destitution qui restera comme une des plus graves fautes politiques de la colonisation française sous la Quatrième République qu’Edgar Faure eut à cœur de réparer.

C’est bien à un voyage et à une rêverie que nous invite ce livre : on y croise Sénèque, exilé en Corse. On se passionne pour l’aventure improbable de Théodose Von Neuhoff, baron westphalien un temps prisonnier d’Alger, qui partit avec un trois-mâts de la Régence de Tunis en mars 1736, débarqua en Corse et y fonda pour quelques mois un royaume.

Les noms des « hôtels de France » et autres établissements aux noms enchanteurs qui évoquent la splendeur passée des villes d’eaux et des villégiatures coloniales rajoutent au charme de cette évocation de souverains déchus, accompagnés parfois de leurs cours et de leurs voitures de luxe.

Et défile la liste des « insulés » : Saad Zaghloul, un des pères de l’indépendance égyptienne, exilé par les Anglais à Malte, puis aux Seychelles, un de ses prédécesseurs, Ahmed Orabi, exilé à Ceylan, Abelkrim El Khattabi, un insurgé du Rif, exilé à la Réunion, Messali Hadj envoyé à Belle-Île en Mer.

Si l’ouvrage séduit surtout par ces évocations nostalgiques et pittoresques teintées d’orientalisme-et le film Casablanca y est d’ailleurs cité-, il n’est pas dénué de tout message. On se prend à méditer sur cette manie étrange à travers les siècles de considérer les îles comme des prisons.

On mesure la vanité et parfois la sottise bureaucratique de l’appareil répressif colonial et l’énergie déployée dans ces exils et leur logistique.

On touche du doigt la proximité des deux rives de la méditerranée dont les peuplements se sont toujours entremêlés.

On trouve aussi la confirmation du rôle déterminant du jeune Moulay Hassan, le futur Hassan II, au caractère bien trempé, auprès de son père dans cette période d’exil.