Mutoi Farani : 150 ans de gendarmerie en Polynésie française, 1843-1993

L'ouvrage du Colonel Spillman entraîne le lecteur à travers les écrits et donc les témoignages des gendarmes qui se succèderont depuis la décision de se soumettre à la France prise par la Reine Pomare IV en 1847 et jusqu'à nos jours. En compagnie de ces gendarmes où les aléas du service les avaient conduits, ces populations parmi lesquelles ils vivaient, Spillman nous entraîne dans une découverte sans cesse renouvelée de la Polynésie et de son histoire.

 L'intérêt de ce minutieux travail de recherche qui s'appuie sur des rapports ou témoignages des gradés et gendarmes nous fait découvrir l'évolution de la mission qui leur incombe et l'influence qu'elle exerce sur le lent développement de la Polynésie française.

 Ces gendarmes, comme l'illustrent les compte-rendus et les correspondances officielles ou privées, ont accompli leur mission dans un contexte parfois difficile. On découvre qu'ils manifestent une disponibilité et une compétence qui leur permet d'être en osmose avec les populations dont ils ont la responsabilité. Cet éloge de la Gendarmerie est en soi digne d'intérêt.

 Cependant, ce qui fait toute l'originalité de ce que l'on pourrait considérer comme une étude sociologique se transforme en voyage passionnant dans ces îles du Pacifique. En effet, les gendarmes dans leur vie quotidienne, et au fur et à mesure d'une implantation et d'une intégration dans les communautés locales, nous font partager leurs découvertes. L'auteur nous fait vivre les étapes de l'histoire de la Polynésie illustrée par des dessins, photographies, relevés topographiques, cartes renseignées.

Le talent de Spillman, c'est de nous laisser porter par l'originalité de ces témoignages. On sera très certainement impressionné par ce que feront pendant plus d'un siècle ces « Robinsons de l'ordre public » et leur intégration, souvent par mariage, dans la population polynésienne.

 Cette étude chronologique pourrait être fastidieuse alors que Spillman propose au lecteur des évasions. On découvre un Gauguin que nous ignorons, haïssant l'administration mais supportant les gendarmes ! Mais aussi les Polynésiens en poilus de la première guerre mondiale, les batailles entre Gaullistes et Vichystes, le bataillon du Pacifique, les premiers troubles à Papeete et plus tard, les Volontaires du Bataillon qui pensaient avoir droit à une reconnaissance légitime mais furent trahis par l'administration. Spillman nous fait découvrir les ferments de l'idée d'indépendance et la création d'un nouveau statut.

 J'ai noté dans cet ouvrage une rupture de rythme qui rend la lecture plus facile et dans cette fresque, une originale évasion : « les affaires chaudes sous les tropiques » où l'on plonge dans l'univers du roman policier, où la gendarmerie, tous effectifs et régions confondus aidés de ces auxiliaires devenus gendarmes du cadre d'outre-mer, résolvent les enquêtes les plus délicates.

 Le Colonel Spillman remercie les Archives territoriales de Papeete, le Service historique des Armées, le Service des Archives d'Outre-mer et celles de la Gendarmerie qui sont passionnantes. Il faut le souligner.

 Une autre séduction m'attire dans ce livre : la passion vibrante de l'auteur dont on remarque son obsession pour que ne disparaisse pas la marque de ces gendarmes qui ont profondément aimé ces îles et les populations parmi lesquelles ils ont vécu.

 Et si la Gendarmerie en Polynésie ou ailleurs a pu traverser les siècles jusqu'à devenir ce pilier solide de notre constitution républicaine, c'est qu'elle a montré sa faculté d'adaptation, qu'elle a su la renouveler en permanence, ce qui lui a permis d'évoluer constamment.