Critique de la notion d'art africain

Auteur Babacar Mbaye Diop
Editeur Hermann
Date 2018
Pages 302
Sujets Art
Afrique subsaharienne

Art

Philosophie

Ethnophilosophie
Cote 62.289
Recension rédigée par Jean Nemo


L’ouvrage sous revue est présenté comme une « 2ème édition revue et augmentée » d’une première édition remontant à 2011. « Augmentée » sans doute, « revue » probablement, mais sans doute pas quant au fond de l’argumentation.

Dès son introduction, l’auteur se positionne en continuateur, en droite ligne, de Cheikh Anta Diop. Dans le domaine de l’art, comme l’indique le titre et dont il est spécialiste. Il enseigne à l’université du même nom, à Dakar, laquelle a contribué financièrement à l’édition.

Les deux ou trois premières pages de cette introduction sont un résumé succinct des thèses de son mentor, notamment contenues dans « Nations nègres et culture » de 1954. Après avoir répété que les Égyptiens de l’antiquité lointaine étaient des Noirs et fait appel à quelques savants ou voyageurs de l’époque (Diodore de Sicile, Strabon…), l’auteur redit que les Grecs, philosophes ou voyageurs, étaient allés puiser leurs savoirs à la source dans cette Égypte noire. Il convoque un savant voyageur plus récent (Volney, aux environs de 1783-1785). Il attribue une falsification, par les Européens, de la géopolitique sur la longue durée. Falsification qui serait celle d’esclavagistes, ensuite devenus colonisateurs.

Il n’est pas lieu ici de commenter les thèses bien connues de Cheikh Anta Diop, retenons seulement qu’elles ont donné lieu à bien des exégèses, les unes approbatrices, d’autres de contestation. Notons encore qu’il a laissé chez les Africains le nom d’une université, en France le nom d’un institut associatif. Et que ces thèses représentent sans doute l’une des phases, peu après la « négritude » revendiquée par les Césaire et Senghor, d’une revendication géopolitiquement et culturellement miroir des visions européennes, coloniales, voire postcoloniales.

L’introduction se poursuit classiquement par l’annonce de trois parties à l’ouvrage : « la création des arts anciens et des arts traditionnels africains » ; « les différentes théories esthétiques négro-africaines » ; « qu’est-ce que l’art africain aujourd’hui ? »

Sous réserve de la référence aux thèses de Cheikh Anta Diop qui peut prêter à discussion, comme on l’a vu, l’argumentation de l’auteur est d’intérêt.

Elle retrace tout d’abord les diverses étapes de « l’art africain » telles que conçues et perçues par les Africains eux-mêmes et telles que d’abord reléguées avec mépris puis reconnues, mais dans une certaine ambiguïté, par les Occidentaux.

Elle traite ensuite de notions plus complexes. Citant Louis Perrois (qui appartint à l’ORSTOM, aujourd’hui IRD) et sa « Note sur une méthode d’analyse ethno-morphologique des arts africains », l’auteur rappelle que cette analyse « est un compromis entre les défenseurs du fonctionnalisme et ceux du formalisme. En d’autres termes, peuvent juger différemment une sculpture ceux qui y voient d’abord une manifestation visible de ce en quoi ils croient, le « fonctionnalisme », puis ceux qui, extérieurs à cette croyance, ne s’intéressent qu’à la valeur esthétique qu’ils perçoivent en la contemplant, soit le « formalisme ».

En marge de l’analyse de l’ouvrage, on peut rappeler que la découverte de « l’art nègre » en Occident, qui inspira bien des artistes et des collectionneurs, fut de peu contemporaine avec le développement sur le terrain et dans les œuvres écrites d’une ethnologie qui se voulait disciplinairement rigoureuse, soit le développement parallèle du « formalisme » et celui du « fonctionnalisme ».

Plus précisément, ce que ne dit pas notre auteur, une sculpture peut être jugée par le croyant « fonctionnaliste », selon la croyance ou la finalité magique ou religieuse qu’il privilégie, « objet de piété ». Il peut aussi porter, sans pour autant renier l’aspect qu’il a privilégié, un jugement esthétique sur la pratique du sculpteur à bien représenter le ou les objets qui donneront figure à sa sculpture.

De ce point de vue, on peut mener un parallèle entre l’art religieux ou magique nègre et l’art religieux occidental, souvent proche de la superstition. Nos sociétés largement déchristianisées ne voient pas d’un même œil un tableau ou une statue religieux que ne les contemplaient il y a quelques siècles leurs ancêtres pour lesquelles la religion occupait tout ou presque de l’espace sociétal et culturel. « Fonctionnalistes » elles étaient, accessoirement « formalistes ». Aujourd’hui, elles sont d’abord « formalistes », accessoirement «fonctionnalistes ».

Après cette incidente revenons à l’ouvrage sous revue.

Dans sa deuxième partie, l’auteur convoque différents auteurs des «différentes théories esthétiques négro-africaines ». Mauss par exemple part du principe que seul le porteur du masque peut répondre à la question de savoir s’il est beau, l’ethnologue doit se contenter d’enregistrer la réponse. « L’ethno-esthétique a pour objet « l’esthétique des arts produits dans les groupes sociaux qu’étudie l’ethnologie » ». Il a été souvent affirmé que l’équivalent du mot « art » était absent des langues africaines. Pour notre auteur il n’en est rien : simplement, ce mot exprime une notion différente de celle des Occidentaux.

D’autres auteurs occidentaux ou africains sont convoqués (Hume, Kant, Senghor, Bidima…),pour préciser ce qu’il convient d’entendre par « esthétique », ce d’un point de vue occidental et d’un point de vue africain, qui ne sont pas fondés sur les mêmes critères ou notions.

Cette deuxième partie est celle qui appelle le plus d’attention du lecteur pour être bien comprise et celle sans doute de lui le plus de discussion.

La troisième et dernière partie s’intéresse à l’art africain ou plutôt aux arts africains d’aujourd’hui. Comment se sont-ils adaptés aux périodes coloniale, postcoloniale, au marché international de l’art ?

On l’aura compris, cet ouvrage est « critique ». Existe-t-il vraiment un art africain ? Si oui comment fut-il perçu et mis en œuvre par ses artistes et par les sociétés auxquelles ils appartenaient, comment évolua-t-il avec la colonisation et les marchés internationaux ? De ce point de vue, l’ouvrage et son auteur donnent des indications intéressantes.

On regrettera peut-être l’absence de références à d’autres types d’arts ancestraux tels que transformés par la « globalisation », l’apparition d’un marché de l’art qui poussent ces arts ancestraux à s’adapter et à produire des œuvres inspirées des anciens, plus dorénavant pour l’esthétique et le perçu du « beau » par un public peu ou mal averti de ses sources « fonctionnalistes ».

On laissera le mot de la fin à l’auteur qui, dans sa conclusion, déclare entre autres : « Quelle est la représentation de l’art africain des pays post-coloniaux au sein du marché international de l’art ? Comment penser l’Africain dans sa modernité artistique ? Comment comprendre l’artiste et l’art africain d’aujourd’hui dans le nouvel ordre mondial, dans ce contact et la rencontre des cultures ? » Fort bonnes questions auxquelles l’auteur a donné quelques bonnes réponses.